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2 juillet 2007 1 02 /07 /juillet /2007 00:25

 

 

 

Les Araméens, un peuple, une langue, une écriture, au-delà des empires


par André Lemaire

Directeur d’études à l'Ecole pratique des hautes études

 


La civilisation araméenne a une longue histoire puisque les premières attestations des Araméens remontent au début du XIe siècle avant notre ère et que, dans un état de langue très évolué, l'araméen est encore parlé dans quelques villages de la région de Mossoul, dans le nord de l'Irak, et de l'Antiliban syrien, près de la frontière avec le Liban.

La protohistoire araméenne

Comme souvent, les origines des Araméens se perdent dans les brumes de l'histoire. Les premières attestations claires de l'ethnique « Araméen » se trouvent dans les inscriptions du roi assyrien Tiglat-Phalazar Ier (1114-1076 av. n. è.) qui évoquent ses nombreux combats contre les « Araméens-Ahlamu » le long du Moyen-Euphrate en Syrie du Nord aujourd'hui. Plus précisément le roi assyrien se vante d'avoir franchi vingt-huit fois l'Euphrate, deux fois par an, pour défaire ces Araméens-Ahlamu qui habitaient apparemment dans un territoire correspondant à peu près à la Syrie actuelle.

D'après quelques indications de textes antérieurs, en particulier du XIIIe siècle av. n. è., certains groupes d'Ahlamu proto-araméens étaient des tribus semi-nomades aux frontières des royaumes mésopotamiens : l'Assyrie au nord et la Babylonie au sud. C'est dire que les textes assyriens les considéraient comme des populations constituant une menace pour la stabilité de leur royaume. La tradition biblique des Benê-Jacob, apparemment originaires de l'Aram-Naharayim ou « Aram des deux fleuves », dans la boucle de l'Euphrate, autour des villes de Harrân et Nahur, semble confirmer que, vers le XIIIe siècle av. n. è., cette région était peuplée de pasteurs proto-araméens. D'une manière générale, les Israélites conservèrent la mémoire qu'une partie de leurs ancêtres étaient des Araméens en disant : « Mon père était un Araméen errant » (Deutéronome 26,5). Cependant, bien qu'une partie de la population araméenne ait été constituée de semi-nomades faisant paître leurs troupeaux de petit bétail à la lisière des zones cultivées, une autre partie habitait dans des villes fortifiées contrôlant le territoire environnant et rassemblées en divers royaumes.

Si l'on tient compte de la confusion graphique postérieure des noms de pays « Aram » et « Édom », la tradition biblique de Genèse 36, 31-39 pourrait nous rapporter une liste de rois araméens de cette époque ayant exercé leur pouvoir dans le nord de la Transjordanie.

L'expansion araméenne des XI-Xe siècles

Après avoir bien résisté à la pression araméenne sous Tiglat-Phalazar III et Assûr-bel-kala (1073-1056), l'Assyrie semble avoir été sur la défensive pendant plus d'un siècle, de 1050 à 935, car les Araméens fondent alors des villes sur l'Euphrate, au nord de Karkémish, à l'époque du roi assyrien Assur-rabi II (1012-972). Cette expansion araméenne nous est confirmée par quelques informations sporadiques de la tradition biblique sur la frontière méridionale du territoire araméen. En effet, au début du règne de David, vers l'an 1000, le roi de Beth-Rehov (Beqa‘ libanaise) et d'Aram-Zoba (un peu plus au nord), Hadadézer, semble à la tête d'une coalition de royaumes araméens, – en particulier du Levant-Sud : Tov, Geshour et Maakah – et conduit ses armées vers le nord jusque sur l'Euphrate (2 Samuel 8,3). Cherchant à soutenir le roi ammonite, Hanoun, l'armée araméenne d'Hadadézer sera finalement battue par celle de David (2 Samuel 8 et 10) et le territoire araméen s'étendant jusqu'à Damas inclusivement contrôlé, un moment, par le roi de Jérusalem.

À la mort de David, Hadad, un prince araméen de la famille d'Hadadézer qui s'était réfugié un moment en Égypte, revient dans la région de Damas dont il finit par s'emparer, fondant le royaume de Damas (1 Rois 11,14-24) qui, pendant deux siècles et demi, sera le principal royaume araméen du Levant-Sud, annexant au moins partiellement les royaumes araméens de Maakah, Tov et Geshour dans le nord de la Transjordanie. Cet important royaume araméen sera souvent le principal adversaire d'Israël, au sud, et de l'Assyrie, au nord. Un de ses successeurs, Ben/Bar-Hadad fils de Tabrimmon/Tabramman s'emparera d'ailleurs bientôt de la haute vallée du Jourdain et de la région de Kinneret (1 Rois 15,20), contre le roi d'Israël, Baasha (env. 909-886).

Les royaumes araméens face à l'Empire néo-assyrien (de la fin du Xe à la fin du VIIIe siècle)

Au nord du territoire araméen, l'Assyrie se réveille sous le roi Assur-Dan II (934-912) ; dans son rêve de domination universelle, après de nombreuses campagnes militaires où elle connaît succès et revers, elle finira par éliminer tous les royaumes araméens et absorber toute la population araméenne à l'intérieur de son empire.

De par leur situation géographique, les premiers royaumes araméens à être ainsi absorbés dans l'Empire néo-assyrien furent ceux qui étaient situés au nord-est, dans la région de l'Euphrate : Hindanu, Laqê, Suhu, sur le Moyen-Euphrate et Naïri, Bit-Zamani, Bit-Bahiani (Gouzan), Azallu, Bit-Adini, dans la boucle de l'Euphrate. Cette région expérimentera ensuite une symbiose politique et culturelle assyro-araméenne où se côtoieront les inscriptions cunéiformes et les inscriptions alphabétiques araméennes.

L'exemple le plus évident de cette symbiose assyro-araméenne est celui de la statue de Tell Fekheriyeh, aux sources du Habour : vers la fin du IXe siècle, le roi de Gouzan, Hadadyis‘î fils de Shamash-nouri, se fait représenter par une statue comportant une double inscription : assyrienne, de face, et araméenne, de dos. Bien plus, dans l'inscription araméenne, il se proclame « roi de Gouzan », tandis que, dans l'inscription néo-assyrienne, il est simplement « gouverneur de Gouzan ». Le même dynaste pouvait donc être considéré comme un « roi » par la population araméenne locale et comme un « gouverneur » par le suzerain néo-assyrien.

À la suite de cette expansion néo-assyrienne jusqu'à l'Euphrate, ce fleuve va être considéré pendant plus d'un siècle comme la frontière naturelle de l'Empire néo-assyrien.

La réaction à la pression assyrienne des royaumes araméens du sud-ouest, d'au-delà de l'Euphrate, va varier d'un royaume à l'autre et va s'organiser de mieux en mieux. Déjà, au début de son règne, le roi néo-assyrien Salmanazar III (858-824) avait mis trois ans à intégrer le royaume araméen du Bit-Adini qui s'étendait sur les bords de l'Euphrate, au sud de Karkémish, et à soumettre au tribut les royaumes à la fois araméens et néo-hittites/louvites à la frontière actuelle de la Turquie et de la Syrie du Nord : Karkémish, Kummuh, Mélid, Samal, Gurgum, Patina (basse vallée de l'Oronte) et Alep. Les inscriptions monumentales louvites, spécialement celles de Karkémish, ou araméennes, spécialement celles de Zencirli – site de la capitale du royaume de Samal à l'est de l'Amanus – nous montrent que les Assyriens furent parfois assez bien accueillis car ils aidaient à secouer le joug de puissants voisins tandis que le tribut à verser à l'Empire assyrien paraissait proportionnellement assez léger. De fait, pendant un certain temps, les Assyriens se contenteront d'un tribut annuel, laissant le roi local en place, jouant éventuellement des rivalités internes, voire des guerres civiles, pour imposer des princes assyrophiles, acceptant volontiers de jouer le rôle de vassaux.

En 853, Salmanazar III va essayer de soumettre aussi les royaumes de la Syrie centrale, en particulier le royaume araméo-louvite de Hamat, mais son roi, Irhuleni, fait alors appel au soutien des autres rois du Levant, en particulier du roi de Damas, Adadidri, et du roi d'Israël, Akhab. L'armée des coalisés, comportant plus de chars que l'armée des envahisseurs, réussit à stopper l'avance de l'armée assyrienne qui, pendant une douzaine d'années, se brisera contre ce front uni. C'est seulement lorsque, en Israël, le coup d'état de Jéhu brisera l'unité de la coalition des « rois de la côte » que Salmanazar III remportera provisoirement un certain succès, pillant une partie du royaume de Damas et acceptant la soumission de Jéhu, soumission représentée sur l'« obélisque noir » conservé au British Museum. Cependant, malgré une ultime tentative en 838, l'armée assyrienne ne peut pénétrer dans Damas où le roi Hazaël lui oppose une farouche résistance. Des troubles intérieurs dans l'Empire néo-assyrien achèveront d'éloigner, pour quelques années, le danger assyrien.

Les royaumes araméens profiteront de ce répit pour renforcer leur unité. En fait, le roi Hazaël de Damas, ayant opposé une résistance victorieuse à Salmanazar III, va peu à peu étendre son pouvoir sur tout le Levant et se retrouver à la tête de quelque trente-deux rois vassaux. Vers 810, l'armée de l'empire araméen de Hazaël va même traverser l'Euphrate, portant le fer à l'intérieur de ce qui était considéré comme territoire assyrien depuis une cinquantaine d'années. C'est de cette époque qu'il faut dater les premières inscriptions monumentales araméennes, en particulier les fragments de la stèle de Tel Dan, aux sources du Jourdain, contemporaine des petites inscriptions sur ivoire ou sur bronze mentionnant Hazaël.

En l'absence de fouilles archéologiques du site antique de Damas, ces inscriptions araméennes, ainsi que diverses indications historiographiques des livres bibliques des Rois soulignent la grandeur de ce « roi d'Aram » dominant non seulement tous les royaumes araméens mais aussi ceux de Phénicie, de Palestine et de Transjordanie. Son règne semble aussi manifester un important développement économique avec des comptoirs araméens à Samarie (1 Rois 20,34) et culturel avec la diffusion de l'écriture alphabétique. C'est peut-être de cette époque que date la rédaction du livre araméen de « Balaam fils de Beor, l'homme qui voyait les dieux », connu par la Bible (Nombres 22-24), et dont on a retrouvé des extraits copiés sur la paroi d'un mur chaulé à Deir ‘Alla dans la moyenne vallée du Jourdain.

Chaque royaume araméen gardait son organisation politique et ses propres traditions culturelles. Le royaume lui-même était souvent désigné comme le beyt, à la fois maison et dynastie, du premier roi de la lignée. On parlait ainsi de beyt Hazaël, beyt Goush… Chaque royaume avait aussi ses propres traditions religieuses. Cependant, à la tête du panthéon araméen, on reconnaissait généralement le grand dieu de l'orage : Hadad, parfois appelé « maître des cieux » ou ba‘al shamayin, comme dans l'inscription de Zakkour, roi de Hamat, ou rattaché à un grand sanctuaire tel « Hadad d'Alep ». On retrouvait aussi d'autres dieux liés aux astres, en particulier Shamash, le « soleil », Sahar, la « lune » et les « pléiades » ou sibitti. On retrouvait enfin des dieux protecteurs de la dynastie tels Rakkibel dans le royaume de Samal ou Iluwer dans celui de Hamat, à côté de diverses divinités traditionnelles : El, Élyôn, Rashap…

Les fouilles archéologiques de quelques sites araméens comme Zencirli, capitale du royaume de Samal, ont mis au jour plusieurs palais, temples et murailles de ville renforcées par des fossés. Une partie de cette tradition architecturale est assez révélatrice d'une symbiose entre la tradition araméenne et la tradition néo-hittite/louvite qui se manifeste en particulier dans l'importance des stèles et des bas-reliefs, le plus souvent en basalte. Les fouilles archéologiques ont mis aussi au jour des ivoires travaillés ainsi qu'une tradition iconographique originale, manifestée en particulier dans l'iconographie des sceaux inscrits ou non.

L'expansion araméenne de la deuxième moitié du IXe siècle fut de courte durée. Dès son accession au pouvoir vers 805-803, le fils de Hazaël, Bar-Hadad, va se heurter à la révolte du roi d'Israël, Joas (805-803-790), puis à celle de Zakkour, roi de Hamat, dont l'inscription royale est conservée au Louvre. À l'époque du roi néo-assyrien Adad-nârâri III (810-783) et de ses successeurs dans la première moitié du VIIIe siècle, c'est, en fait, le turtanu, c'est-à-dire le général en chef, deuxième personnage de l'Empire assyrien, Shamshi-ilu, peut-être rattaché à une famille royale araméenne, qui va décider de la politique assyrienne vis-à-vis de l'ouest de l'empire, jouant le rôle d'une sorte de vice-roi pour les relations avec les royaumes araméens. Il entreprit plusieurs campagnes militaires, pénétra dans Damas en 773 et en rapporta un riche butin. Il joua aussi un rôle d'arbitre dans la fixation des frontières entre les divers royaumes de la région qui devaient s'engager vis-à-vis de l'Assyrie par des traités d'alliance ou de vassalité comme nous le révèlent les plus longues inscriptions araméennes anciennes, les fameuses stèles de Sfiré représentant l'engagement de Mati‘él, roi d'Arpad, capitale de beyt Goush, dans le nord de la Syrie.

Avec l'arrivée au pouvoir du roi assyrien Tiglat-Phalazar III (744-727), la politique néo-assyrienne va devenir systématiquement impérialiste, cherchant à intégrer, éventuellement en plusieurs étapes, tous les territoires des royaumes araméens. En 740, après plusieurs campagnes militaires, le royaume d'Arpad est transformé en provinces assyriennes. En 732, c'est le tour du royaume de Damas et des trois quarts du royaume d'Israël, le dernier quart étant intégré en 722. En 720, c'est le tour du royaume de Hamat, puis, dans les années qui suivent, celui de Samal. À la fin du VIIIe siècle, il n'y a plus aucun royaume araméen et leurs territoires ont été transformés en provinces de l'Empire néo-assyrien.

L'Empire assyro-araméen

La disparition des royaumes araméens ne marquait pas la fin de l'existence politique, économique et culturelle des populations de tous ces royaumes. Même si, en cas de révolte, une partie de la population pouvait être déportée dans une autre région de l'empire, la majeure partie des Araméens survécut ! En fait, en intégrant dans leur empire une aussi nombreuse population araméenne, les rois assyriens le transformèrent en un Empire assyro-araméen. Comme nous l'avons noté plus haut, ce phénomène a commencé dès le IXe siècle pour la Mésopotamie du Nord et l'intégration des royaumes araméens du Levant à partir de Tiglat-Phalazar III n'a fait que l'accélérer. On voit apparaître des Araméens à tous les niveaux de l'administration ainsi que dans l'armée qui avait d'ailleurs parfois intégré des régiments entiers des armées vaincues.

Comme nous le montrent un certain nombre de bas-reliefs représentant l'enregistrement du butin, les scribes akkadiens côtoyaient souvent les « scribes araméens », mentionnés plusieurs fois explicitement comme tels dans les textes. Même si l'akkadien cunéiforme reste l'écriture des inscriptions royales monumentales, l'araméen est assez souvent utilisé à tous les niveaux de l'administration, d'autant plus que l'écriture alphabétique est plus facile à apprendre. On l'utilisait généralement pour écrire sur des feuilles ou des rouleaux de cuir qui ont malheureusement disparu à cause du climat relativement humide. Cependant, surtout à partir de la fin du VIIIe siècle, les scribes se mettent aussi à écrire en araméen sur des tablettes d'argile un certain nombre d'actes juridiques de la vie quotidienne : contrats de prêt d'orge ou d'argent, achat de terrains, ventes d'esclaves, mise en gage… Les fouilles récentes de Tell Sheikh Hamad, ancienne Dur-Katlimmu, sur le Habour, principal affluent du Moyen-Euphrate, ont mis au jour des tablettes cunéiformes et des tablettes araméennes provenant des mêmes niveaux (VIIe siècle), actuellement en cours de publication.

En fait, cette intégration dans l'empire va conduire à un développement géographique de l'usage de l'araméen. Désormais l'araméen pourra être employé dans tout l'Empire néo-assyrien. Il va même se retrouver dans des inscriptions royales situées au nord-est de l'Assyrie, dans le royaume mannéen (inscription dite de Bukân), en Cilicie (petites inscriptions de Tarse) et jusqu'en Égypte, contrôlée un moment par Assurbanipal (668-627). L'araméen devient la langue de communication de la plus grande partie du Proche-Orient, celle que tout diplomate doit absolument connaître, comme nous le révèle le dialogue des ministres judéens d'Ézéchias avec le rab-shaqeh assyrien de Sennachérib sous les murs de Jérusalem en 701 (2 Rois 18,26).

Cependant, du point de vue linguistique, cet araméen d'empire va surtout être celui de Mésopotamie qui, dès le IXe siècle avait été en symbiose avec la culture et la langue néo-assyriennes. Il comportera un certain nombre de mots d'emprunts et, pour les actes juridiques, des formules souvent similaires aux formules néo-assyriennes. Bien plus, l'un des livres qui servira à la formation des scribes araméens à la fin de l'Empire assyrien sera le roman d'Ahiqar qui raconte, en araméen de Mésopotamie, les déboires et les aventures d'un haut fonctionnaire à la cour de Sennachérib et d'Assarhaddon.

Le caractère araméen de l'Empire assyrien devient de plus en plus clair au cours du VIIe siècle. Aussi n'est-on pas étonné que, après la chute de Ninive en 612, la résistance des derniers rois néo-assyriens s'organise autour de Harrân, c'est-à-dire au cœur d'une région araméenne, qui ne tombera sous les coups de l'armée néo-babylonienne qu'en 610-609.

L'araméen dans l'Empire néo-babylonien

Pendant une soixantaine d'années, l'Empire néo-babylonien prend la relève de l'Empire néo-assyrien. Toutes les inscriptions officielles des rois sont naturellement en néo-babylonien cunéiforme ; cependant l'usage de l'araméen ne cesse de se développer comme le montre, en particulier, l'habitude d'étiqueter, sur la tranche, les tablettes néo-babyloniennes avec une courte inscription araméenne que le scribe pouvait lire plus facilement. Du fait des nombreuses déportations de populations de l'Ouest dans la région de Babylone, la langue habituelle de communication de toutes ces différentes populations devient l'araméen que l'on devait souvent entendre dans les rues de Babylone et des principales cités de la région.

L'influence de la culture araméenne devient encore plus évidente sous le règne du dernier roi néo-babylonien, Nabonide (556-539) ; probablement en partie d'origine araméenne, il voua un culte particulier au dieu lunaire de Harrân dont il restaura le grand temple. Sin de Harrân rivalise alors avec Mardouk, le grand dieu de Babylone, et pendant son séjour de dix ans en Arabie, dans l'oasis de Teima, Nabonide y introduira l'emploi de l'écriture araméenne qui pouvait donc être utilisée dans tout son empire.

L'araméen dans l'Empire perse (539-331)

L'entrée de Cyrus à Babylone en 539 marque l'intégration du territoire de l'Empire néo-babylonien dans le plus vaste empire territorial que l'Antiquité proche-orientale ait connu. Sous Darius (522-486), cet immense empire s'étendra de la Thrace à l'Indus et du sud de l'Égypte (Éléphantine/Assouan) à l'Asie centrale (Bactriane). L'ancien pays araméen se retrouve surtout dans les provinces de Transeuphratène (Abar-Naharâ) et de Babylonie. Il n'y a plus d'entité politique araméenne mais la langue et la culture araméennes se répandent partout : l'écriture araméenne est utilisée comme langue de communication usuelle et administrative dans tout l'Empire achéménide.

La diffusion de l'écriture araméenne est bien attestée par l'épigraphie : on rencontre des inscriptions araméennes depuis l'Anatolie jusqu'aux bords de l'Indus et des parchemins araméens depuis l'Égypte jusqu'en Ouzbékistan. L'araméen est aussi utilisé par les royaumes vassaux ou alliés, tels le royaume arabe de Qédar. Le bon fonctionnement de l'administration et la perception des impôts qui faisaient une des forces de cet immense empire ont été grandement facilités par l'utilisation de cette écriture alphabétique facile à apprendre et à utiliser. Les nombreux échanges entre les diverses parties de l'empire ont entraîné un certain développement homogène de l'écriture tandis que la langue évoluait en intégrant un certain nombre de termes perses, en particulier de termes administratifs qui deviennent plus nombreux au IVe siècle.

Cette diffusion incontestable de l'araméen en tant que langue écrite ne signifie pas du tout que toutes les populations de cet immense empire parlaient cette langue. Il faut bien distinguer langue parlée et langue écrite. D'ailleurs l'administration pouvait aussi utiliser, concurremment, les langues et écritures locales. Tout en étant écrit dans tout l'empire, l'araméen ne devait probablement être la langue vernaculaire que des régions primitivement araméennes ou, plus généralement, sémitiques : Mésopotamie et Transeuphratène.

L'araméen à l'époque hellénistique

La conquête de l'Empire perse par Alexandre le Grand (333-331) n'a pas bouleversé immédiatement toute l'organisation de l'Empire achéménide. Suivant la formule de Pierre Briant, Alexandre a été, en quelque sorte, « le dernier des Achéménides » puisqu'il a maintenu l'unité de cet immense empire. De fait, les ostraca araméens d'Idumée, dans le sud de la Palestine, ainsi que les manuscrits sur parchemin d'Ouzbékistan en cours de publication, révèlent que l'administration a continué à utiliser non seulement l'écriture araméenne mais exactement le même système et les mêmes formules, se contentant de dater des années d'Alexandre au lieu des années de Darius III.

Le véritable changement culturel ne va se faire que peu à peu, sous les successeurs d'Alexandre, spécialement lorsque les Diadoques se partageront l'empire. Le grec va alors rapidement progresser comme langue administrative, spécialement dans les régions non-araméophones. Même dans ces dernières, il va s'affirmer comme la langue du commerce international et des relations politiques. C'est ainsi que l'utilisation de l'araméen va assez rapidement disparaître d'Anatolie et d'Égypte, tandis qu'il se maintiendra en Syrie-Palestine, où on voit apparaître des inscriptions bilingues gréco-araméennes, et en Mésopotamie, ainsi que parmi les populations nord-arabes, en tant que langue écrite.

Cependant le démembrement de l'empire et la multiplication des royautés à la fin de l'époque hellénistique vont conduire à une différenciation de l'écriture araméenne selon les royaumes et les régions. La forme des lettres va évoluer différemment en Palestine et en Basse Mésopotamie, en Nabatène et en Arménie.

L'araméen à l'époque romaine

À partir du IIe siècle av. n. è., la désintégration de l'Empire séleucide d'Antioche va entraîner l'apparition d'un certain nombre de royaumes locaux qui vont essayer de mettre en valeur leurs traditions nationales et utiliser l'araméen comme langue et écriture officielle. C'est ainsi qu'on voit apparaître plusieurs variantes de l'écriture araméenne :

– Au sud, dans la région de Pétra, l'écriture nabatéenne va être utilisée de 169 av. au IVe siècle apr. n. è. pour nombre d'inscriptions monumentales, ainsi que sur les monnaies. Même la transformation du royaume nabatéen en province romaine en 106 de n. è. ne marquera pas la fin de l'utilisation de cette écriture dont l'évolution de la cursive donnera, plus tard, naissance à l'écriture arabe. En effet, le paradoxe de l'araméen en Nabatène est qu'il a été utilisé comme langue écrite d'une population dont la langue vernaculaire devait être un dialecte nord-arabe.

– En Judée/Palestine, la dynastie hasmonéenne puis hérodienne conduit à un certain renouveau de la littérature hébraïque. Cependant la majorité de la population parlait araméen et la littérature araméenne de cette époque nous est, en partie, connue grâce à la grande découverte des manuscrits de Qoumrân et du désert de Juda, ces derniers constitués surtout de textes de la pratique – lettres, contrats, ostraca de comptabilité. Dans les deux premiers tiers du Ier siècle de notre ère, les inscriptions sur ossuaire de la région de Jérusalem nous révèlent le trilinguisme de ses habitants qui pouvaient utiliser l'araméen, l'hébreu ou le grec. D'après quelques mots araméens conservés dans les évangiles, Jésus de Nazareth parlait habituellement en araméen. Le judéo-araméen se retrouvera un peu plus tard, dans le Talmud de Jérusalem, rédigé vers 425 de n. è., qui reflète apparemment surtout l'araméen de Galilée.

– Dans le désert syrien, l'oasis de Palmyre jouit alors d'une très grande prospérité car il contrôle le commerce entre l'Empire parthe et l'Empire romain et réussit à maintenir une certaine autonomie par rapport à l'Empire romain du Ier siècle av. au IIIe siècle apr. n. è. L'araméen est la langue officielle de ce royaume et l'on connaît aujourd'hui environ 2 000 inscriptions palmyréniennes, en majorité des inscriptions monumentales et funéraires, au tracé quelque peu maniéré, accompagnant une statuaire remarquable par son réalisme et la précision de ses détails.

– Plus au nord, deux villes de Haute Mésopotamie, Édesse et Hatra, seront d'importants centres économiques et politiques, qui feront rayonner la culture araméenne « orientale ». Édesse, actuelle Urfa dans le sud-est de la Turquie, était le centre d'un petit royaume à la frontière de l'Empire romain. La tradition scribale édesséenne donnera plus tard naissance à l'écriture syriaque dont la littérature se développera surtout avec la diffusion du christianisme dans tout le Proche-Orient.

– Un peu plus à l'est, environ 90 km au sud-sud-ouest de Mossoul au nord de l'Irak, Hatra est un moment la capitale d'un petit royaume à la frontière entre les Empires romain et parthe de l'époque hellénistique au IIIe siècle de n. è. Le dynaste local portait le titre de « roi d'Arabie » ou de « roi des Arabes » mais son royaume était limité et ses inscriptions en araméen, l'écriture araméenne représentant une évolution de la cursive araméenne du début de l'époque hellénistique. On a relevé environ quatre cents inscriptions sur pierre datant du Ier au IIIe siècle de n. è. On peut en rapprocher quelques dizaines d'inscriptions trouvées à Assour, un peu plus au sud.

– Dans le sud de la Mésopotamie sous domination parthe, dans le Khouzistan iranien actuel, la principauté de Mésène (Characène) a développé une variante araméenne locale qui évoluera ultérieurement dans l'écriture des Mandéens, secte religieuse combinant des traditions babyloniennes, perses, juives et chrétiennes, avec de nombreux textes magiques et une littérature particulière.

Le dynamisme de ces divers royaumes araméens va se heurter à l'expansion des Empires romain et sassanide et l'araméen reculer devant l'expansion du pehlevi, du grec et du latin, bien avant les invasions arabes du VIIe siècle. L'arabe ne remplacera alors l'araméen que peu à peu comme langue parlée tandis que l'araméen écrit se conservait dans l'abondante littérature syriaque, ainsi que dans la littérature religieuse juive, samaritaine et mandéenne.

Sources Clio

Posté par Adriana Evangelizt

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1 juillet 2007 7 01 /07 /juillet /2007 23:54

Une précision qui a son importance s'impose... Ieschoua parlait en araméen car c'était la langue maternelle des juifs de Palestine au 1er siècle après JC. Claude Tresmontant : «Le Seigneur enseignait en langue araméenne lorsqu’il parlait aux hommes, aux femmes et aux enfants de la Judée, de la Galilée, de la Samarie, puisque l’araméen était alors, dans les premières années du 1er siècle de notre ère, la langue populaire, la langue parlée» («Le Christ  Hébreu», page 15). Il parlait cette langue y compris dans les synagogues car l'hébreu n'était pas compris du Peuple. Ce qui prouve donc bien que l'Hébreu a été importé en Palestine mais qu'il n'était pas propre au pays. Ceci a son importance. Une grande importance comme nous vous le démontrerons plus tard. Or justement, pour remédier à ce problème d'incompréhension,  on utilisait dans les synagogues de la Palestine, des commentaires araméens de la Bible. Ce commentaire est appelé «targûm». Lire ICI...

«L’héb. et l’aram. targûm, littéralement «traduction», «interprétation», désigne une version araméenne de l’Ancien Testament à l’usage des synagogues. Dès une époque pré-chrétienne, le besoin fut ressenti dans des synagogues de Palestine de faire suivre la lecture hébraïque de l’Ecriture de son targum, traduction – interprétation orale en araméen destinée à rendre plus accessible aux auditeurs la parole écrite. Le meturgeman, «targumiste», «interprète», traduisait dans la langue du peuple le texte sacré, tout en incluant dans la trame de sa version biblique des éléments exégétiques qui devaient orienter la compréhension du texte hébreu proclamé». (Dictionnaire Encyclopédique de la Bible, page 1311).

Posons nous la question d'où vient l'Hébreu ? S'il n'était pas compris par la population juive vivant en Palestine, c'est que ce n'était donc pas sa langue à la base.

La langue hébraïque de Moïse

 

 

Introduction : Le mystère du Verbe.

Le fait est si banal que personne n'y prête attention, mais les bipèdes que nous sommes sont doués d'une chose extraordinaire : la parole, le Verbe, la capacité d'exprimer à travers des sons et des signes codés, des besoins, des sentiments, des concepts ou des idées représentatifs des plus hautes sphères de la pensée, celles qui permettent d'avancer des éléments de réponse aux questions qui ont toujours hanté l'homme (" qui suis-je, d'où viens-je, où vais-je ? ") et de satisfaire à l'injonction gravée dans la pierre du frontispice du temple d'Apollon à Delphes: " Connais toi toi-même..et tu connaîtras le monde. "

Cette capacité pour l'homme d'atteindre au langage abstrait, lui permet d'entrer en contact avec le mystère de sa propre origine d'être de chair et d'esprit, avec le mystère de la création, et puisqu'il y a création, avec les arcanes du Principe créateur (Voir à ce propos dans la tradition biblique, Yahweh qui crée avec le Verbe et qui fait l'Homme à son image).

Cet aspect du Verbe dont l'Homme a hérité est peut-être la signification profonde du mythe de l'Humanité d'avant Babel, tel qu'il nous est présenté dans la Bible : les hommes y possèdent tous la même langue, le même potentiel d'accès à la conscience de la Source dont ils émanent. Mais lorsqu'ils oublient cette Source pour ne bâtir que des constructions humaines, aussi illustres et grandioses soient-elles, alors ils ne se comprennent plus et parlent des langues différentes.

En quoi ces considérations concernent-elles le thème de cette étude sur la langue de Moïse?

Eh bien, s'il est une langue au monde qui, à travers les signes qu'elle utilise et la façon dont elle les agence, permet dans sa forme sacrée et originelle d'accéder à cette "conscience de la Source" , c'est bien la langue hébraïque de Moïse et nous allons voir pourquoi.

La place de l'hébreu dans l'histoire linguistique

Parmi les langues qui ont laissé des traces écrites dans l'histoire de l'humanité, les linguistes distinguent trois langues "mères" :
-
le sanscrit, originaire de Birmanie, dont découlent les langues indo-européennes (il s'écrit de gauche à droite et de haut en bas)
-
le chinois, source des langues de l'Extrême Orient (il s'écrit de haut en bas et de droite à gauche)
-
l'hébreu,
issu de l'ancien égyptien, et source de l'arabe (il s'écrit de droite à gauche et de haut en bas)

Notons au passage qu'à ces trois grandes langues correspondent trois grands textes sacrés à la base de trois grands courants spirituels de l'humanité :

- les Védas pour le sanscrit
- le Yi-King pour le chinois
- le Livre de la Loi, ou Sépher de Moïse pour l'hébreu, se composant de cinq parties : la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome.

Si par ailleurs, la nature du chinois appelle et rend compte du concept de l'idée exprimée en s'adressant surtout à l'oeil qui analyse la forme du signe, le sanscrit lui, par l'adjonction parfois interminable de syllabes construisant les mots, s'adresse à l'oreille. Quand à l'hébreu, il utilise l'oeil et l'oreille.

Toute langue, enfin, quand elle s'élabore, part de la perception des sens, de racines matérielles, concrètes, pour évoluer ensuite vers l'abstraction.

C'est le cas du chinois, qui est parti d'une origine de 200 mots évoqués par la combinaison de signes, et qui maintenant, renforcé, complexifié au cours des âges, est devenu une langue extraordinaire, où la pensée humaine a trouvé les outils de son expression.

Ce fut le cas de l'égyptien antique, hiéroglyphique, langue mère de l'hébreu, qui a évolué jusqu'au sommet de sa courbe à l'époque de Moïse, où il offrait une image symbolique dans chacun de ses mots, mais qui depuis, à la différence du chinois, l'hébreu est retombé aujourd'hui dans l'utilitaire et le matérialisme du quotidien.

TOUT CE QUI Y ETAIT ESPRIT EST DEVENU SUBSTANCE.
TOUT CE QUI Y ETAIT INTELLIGIBLE EST DEVENU SENSIBLE.
TOUT CE QUI Y ETAIT UNIVERSEL EST DEVENU PARTICULIER.

L'évolution de l'hébreu dans le temps.

L'histoire du peuple juif démarre avec Abraham, père d'Isaac (mais aussi d'Ismaël dont descendront les arabes). Nous sommes entre 2000 et 1900 av. J.C. et nous ne disposons pour ce peuple d'aucun document émanant de cette époque, si ce n'est la tradition orale.

Des documents égyptiens mentionnent simplement la petite bourgade de URUSHALIM, la future Jérusalem, évoquant une divinité amorrite Shalem, au pays de Moriah, en Canaan.

En 1580 av. J.C., Joseph, le fils de Jacob, héros du combat avec l'Ange à BethEl (" la demeure des Elohim "), est vendu par ses frères contre un plat de lentilles comme esclave. Il finira grand vizir de Pharaon en Egypte, et convaincra une partie du peuple israélite de s'installer sur les bords du Nil. C'est le début d'une grande aventure. Il restera là 356 ans, jusqu'à ce qu'un certain Moïse, élevé par la fille d'un Pharaon et grand initié du Temple Egyptien, le ramène, en 1180 av. J.C., après 44 ans d'errance, au pays de ses pères.

Les premiers textes hébraïques, le "Sépher" de Moïse, remontent à cette époque. C'est l'idiome pur des prêtres égyptiens, livré par Moïse aux Hébreux, dans toute sa perfection et son accomplissement.

Mais les Hébreux, peuple de nomades rustiques, conserveront mal la pureté du dépôt initial, et leur langue disparaîtra définitivement après leur déportation à Babylone en 721 av. J.C. pour les tribus d'Israël, en 597 av. J.C. pour les tribus de Juda, où ils apprendront en un siècle le syriaque araméen, la langue que Jésus parlera plus tard.

A tel point qu'à partir de cette époque, dans les synagogues, une traduction après chaque verset lu était nécessaire. Plus personne ne comprenait la langue de Moïse comme plus personne aujourd'hui ne comprend le latin dans les églises.

Seuls quelques rabbins initiés, détenteurs de la loi orale, que Moïse avait confiée à un entourage sûr avant sa mort, connaissaient les clés de déchiffrement du texte du Sépher: c'est là l'origine de la Kabbale, étymologiquement: "ce qui vient d'ailleurs".

Les livres qui en constituent le corps, comme le Zohar, le Bahir, les Medrashim, et les deux Gemares, sont des ouvrages capitaux à étudier avec la plus grande attention pour entrer réellement dans l'intelligence du texte de Moïse.

Bref, devant les incertitudes de ces traductions, de violentes disputes aboutirent progressivement, durant les derniers siècles avant J.C. à la constitution de quatre groupes sectaires, à savoir :

- Les Pharisiens (à l'origine des Juifs modernes) se vantant faussement de posséder la loi orale de Moïse (Jésus le leur reproche), admettant le sens spirituel du Sépher, croyant à la providence divine et à l'immortalité de l'âme, mais traitant en allégorie ce qui leur paraissait obscur.

- Les Saduccéens réfutant l'immortalité de l'âme, et n'interprétant les textes qu'au premier degré matériel, comme en lisant un bon roman...

- Les Esséniens plus instruits et moins nombreux, mais semblant avoir conservé la loi orale de Moïse, et adoptant deux approches des textes sacrés:

- exotérique des Sadducéens pour l'extérieur;
- ésotérique, pour le secret du sanctuaire, enseignant que le Sépher "était fait de corps et d'esprit", de sens matériel et de sens spirituel.

Ils se concentrent en Egypte, à Alexandrie, autour du lac et du mont Moriah ("La lumière, le reflet de la splendeur de Yah..." en hébreu), rebaptisant cet endroit du nom de la montagne du Temple de Jérusalem.

- Les Samaritains qui n'ont jamais reconnu les modifications apportées par Esdras à la Bible, et à l'écriture hébraïque après le retour de Babylone.

Enfin, toujours pour le texte de Moïse, deux autres déformations devait encore intervenir avant notre époque: celle des Septantes, pour la traduction en grec, puis celle de Saint Jérôme pour la traduction en latin, malgré ses efforts pour revenir à un texte plus original.


Le texte grec des Septantes

Ptolémée, fondateur de la bibliothèque d'Alexandrie, (Conservateur, Démétrius de Phalère), demande une traduction en grec du Sépher de Moïse au souverain pontife Eléazar.

Les juifs n'aimant pas traduire leurs textes sacrés, transmirent alors à la bibliothèque d'Alexandrie une copie du Sépher de Moïse, traduite par les Esséniens du mont Moriah, mais uniquement dans sa version exotérique, matérielle, corporelle (et non spirituelle) et de plus, à partir de la version samaritaine, jugée non orthodoxe par les juifs réguliers.

" Ainsi, en donnant le corps, ils obéirent à l'autorité civile.
En retenant l'esprit, ils obéirent à leur conscience ".

Cinq interprètes seulement, pour les cinq premiers livres, traduisirent le Sépher de Moïse en grec mêlé d'hébraïsmes, puis les transmirent au Sanhédrin de Jérusalem pour "imprimatur". Ce dernier, composé de 70 membres, est à l'origine de l'appellation connue sous de nom de "version des Septantes".

Telle est l'origine de l'Ancien Testament que nous lisons en français aujourd'hui, une copie en langue grecque d'écritures hébraïques partiales et non orthodoxe puisque d'origine samaritaine, où les formes du Sépher ne sont conservées que dans leur version matérielle.

Ce livre fut alors utilisé dans toutes les synagogues où les juifs parlaient grec, usurpant la Bible véritable en hébreu que personne ne comprenait. Les disciples du Christ citant la Bible grecque, cette version s'imposa, en toute ignorance du texte hébraïque originel (selon Saint Augustin).

Les rabbins initiés, laissant transpirer la loi orale, maudirent cette version, la proclamèrent fausse, pire que le veau d'or, et instituèrent même trois jours de jeûne annuel pour lutter contre cette calamité.

Saint Augustin et Origène notamment, partageaient ce sentiment, constatant que ces "textes bibliques blessaient la piété, attribuaient à Dieu des choses indignes de Lui, absurdes, contradictoires". Ils plaignaient les ignorants séduits par le texte attribuant à Dieu des sentiments/actions "qu'on ne voudrait pas attribuer au plus injuste et au plus barbare des hommes".

Les efforts vains de Saint Jérôme

Saint Jérome sollicité à son tour pour rédiger une version de la Bible en latin, essaie de redresser la barre en demandant à un rabbin de Tibériade, parlant encore l'hébreu ancien, de retraduire la version grecque des Septantes. Mais il abandonne devant les critiques du Pape et le conservatisme déjà en vogue dans l'Eglise de l'époque ; il ne ne fait qu'amender le texte des Septantes.

Comme on l'a vu, l'hébreu d'aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec l'hébreu de Moïse, et la traduction française des livres de la Loi dont nous disposons ne nous permet pas de nous faire une idée exacte de l'enseignement de Moïse, puisqu'elle ne repose que sur des textes plusieurs fois traduits et déformés, et ne s'appuyant que sur le corps concret du message (les images) et non pas sur son esprit et sa philosophie (les concepts).


Le retour aux sources

Fabre d'Olivet, érudit et linguiste du début du 19ème siècle, a tenté de retrouver les dimensions originelles de la langue hébraïque de Moïse, en s'appuyant sur les traces accessibles auprès de certains rabbins de la tradition orale mosaïque.
En travaillant la kabbale, en étudiant le tracé des caractères, selon les principes hiéroglyphiques de leur formation primitive, il a essayé de reconstituer les éléments de base d'un langage symbolique qui selon son expression,
"pénétre les sanctuaires esséniens, e
n ouvrant l'arche sainte des trésors de la sagesse égyptienne en se méfiant de la doctrine extérieure des juifs".

Il réussit ainsi à proposer une nouvelle grammaire et un nouveau lexique hébraïque, fondamentaux ouvrant des horizons neufs sur les Livres de la Loi, démontrant toute la richesse de l'hébreu traditionnel, dont les mots, soigneusement composés peuvent s'interpréter à trois niveaux, selon que l'on s'intéresse:

- au sens littéral;
- au sens révélé par la symbolique des lettres;
- au sens révélé par la symbolique des nombres, qui composent chaque mot, puisque chaque lettre a son équivalent numérique.

Un siècle plus tard, R.A. Schwaller de Lubicz devait faire le même travail pour l'égyptien hiéroglyphique, en mettant en évidence le même type de grammaire symbolique pour les "médou-nétérou", confirmant ainsi le bien fondé des travaux de Fabre d'Olivet.

A titre indicatif, on peut voir en annexe la correspondance symbolique pouvant exister entre les lettres hébraïques, leur signification et leur valeur numérique.

CONCLUSION.

La rénovation des textes bibliques est à la mode. André Chouraqui a publié une remarquable traduction de certains textes bibliques, tentant d'ouvrir les portes qui permettent une autre lecture que celle faite couramment depuis plus de 2 000 ans.

Si l'on va encore au delà, en se lançant dans ce type de travail pour tenter d'approcher le sens profond du Sepher de Moïse, en appliquant à sa traduction les clés de la symbolique des lettres, telles qu'elles furent mises en évidence par Fabre d'Olivet et d'autres, il semble devenir évident alors, qu'on ne se trouve plus devant une bande dessinée expliquant à partir d'images, la création du monde et de la vie de façon caricaturale, mais devant un véritable livre de physique et de métaphysique, démontrant le haut niveau de science et de conscience qu'avaient pu acquérir Moïse et les prêtres de l'Ancienne Egypte.

RMT NHL

Sources Symbuli

Posté par Adriana Evangelizt


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1 juillet 2007 7 01 /07 /juillet /2007 22:30

 

 

Moïse et l'Exode au regard de l'histoire, entre Nil et Jourdain


par
André Lemaire

Directeur d’études à l'Ecole pratique des hautes études

 

 

Moïse fait partie de ces personnages qui ont profondément marqué l'histoire et sont souvent cités, mais dont la véritable personnalité reste très mal connue, même si elle a inspiré des artistes aussi différents que Michel-Ange et Alfred de Vigny. Est-ce à dire que l'historien doit capituler et tomber dans un scepticisme général, évoquant la possibilité d'un mythe sans fondement historique ? Comme pour Bouddha, Jésus ou Mahomet, cette solution de facilité ne serait guère crédible et n'expliquerait rien. Il reste donc à discerner ce qui, dans le flot des traditions mosaïques, remonte probablement au Moïse de l'histoire. Tel est le propos d'André Lemaire qui utilise ici deux critères classiques : l'étude des traditions les plus anciennes et la mise en valeur de celles qui peuvent difficilement avoir été inventées parce qu'elles s'opposent à l'histoire ou à l'idéologie des époques postérieures.

La civilisation occidentale, marquée par la tradition judéo-chrétienne, considère souvent Moïse comme le père du monothéisme, et il couvre de son autorité à la fois le Décalogue et la Loi juive consignée dans les cinq premiers livres de la Bible ou Pentateuque. Comme souvent pour les grands fondateurs, la légende a eu tendance à mettre sous son nom les développements de la tradition postérieure, et il est difficile de discerner le personnage historique sous ses habits de légende…

Le lien de Moïse avec l'Égypte

En ce qui concerne les traditions mosaïques anciennes et leur mise par écrit, il faut souligner le rôle qu'a pu jouer la famille sacerdotale « aaronide » des Élides de Silo, au cœur des collines de la Cisjordanie centrale, qui fut probablement le principal sanctuaire israélite de l'époque pré-monarchique, à la fois centre de pèlerinage (Juges 21, 19 ; 1 Samuel 1, 3.21) et lieu de conservation de l'« arche » – emblème national des armées israélites au moins dès le XIe siècle av. J.-C. (1 Samuel 4, 3 ss). La présence d'un descendant de cette famille sacerdotale, Ébyatar, auprès de David (1 Samuel 22, 20 ss à 1 Rois 2, 26-27) peut facilement expliquer la mise par écrit des traditions mosaïques anciennes, au moins dès le début du Xe siècle, ainsi que leur diffusion dans l'Israël de l'époque royale.

Le premier fait mis en valeur dans ces traditions anciennes est le lien de Moïse avec l'Égypte et avec un groupe sortant d'Égypte, à l'origine de l'ancien Israël. D'une manière générale, la tradition biblique ancienne rattachant les origines israélites à ce groupe, à côté d'autres, dont un venant du pays araméen et vraisemblablement appelé Benê Jacob, paraît si ferme et tellement en contradiction avec l'idéologie postérieure qu'elle doit avoir un fondement historique. Or cette sortie d'Égypte paraît indissolublement liée à la figure de Moïse, celle d'Aaron ne jouant qu'un rôle secondaire.

Dans ce contexte, on n'est plus étonné que celui que la tradition postérieure considère comme le fondateur du judaïsme porte un nom égyptien. En effet, l'étymologie hébraïque populaire, proposée en Exode 2, 10 (« tiré des eaux ») ne peut cacher le caractère égyptien de ce patronyme. En effet, Moïse, Môseh en hébreu, correspond à un élément, bien connu par les noms de pharaons tels que Ahmosès, Toutmosès, Ramsès… de l'onomastique égyptienne – laquelle s'explique dans un milieu de Sémites/«Asiatiques » installés depuis un certain temps dans le delta oriental, phénomène récurrent dans la longue histoire de l'Égypte. La référence aux constructions des villes de Pitom et de Ramsès (Exode 1, 11), probablement à identifier avec Per-Atum (Tell el-Maskhouta ou Tell el-Retabeh) et avec Pi-Ramsès (Tell ed-Dab‘a/Qantir), précise quelque peu ce cadre géographique et fournit une indication chronologique tout à fait vraisemblable : le début du long règne de Ramsès II (vers 1279-1212 av. J.-C.). Une telle datation peut facilement s'harmoniser avec la présence d'un groupe appelé « Israël » en Cisjordanie centrale, mentionné dans la stèle du pharaon Merneptah à l'occasion d'une campagne en Canaan vers 1210 av. J.-C.

De l'Égypte au pays de Madian

Le nom biblique des parents de Moïse, Amram et Yokèbèd, n'est attesté que dans des généalogies « sacerdotales » assez tardives (Exode 6, 20 ; Nombres 26, 59) ; quant aux traditions bibliques sur la naissance et l'éducation du jeune Moïse à la cour de Pharaon (Exode 1, 1-10), elles présentent divers motifs légendaires que l'on retrouve dans l'épopée de Sargon d'Akkad et que l'on peut rapprocher de ce que l'on savait de la situation des princes levantins à la cour du pharaon au Xe siècle (cf. 1 Rois 11, 14-40). À l'opposé de ces motifs légendaires mettant en valeur Moïse et faisant de lui presque l'égal d'un pharaon, la révolte contre la dureté de la corvée et l'assassinat d'un surveillant égyptien paraissent beaucoup plus vraisemblables (Exode 2, 11-15a), ce qui l'insérerait dans le milieu des « Asiatiques » soumis au travail forcé de la fabrication des briques. De plus, une telle rébellion expliquerait assez bien le séjour de Moïse au pays de Madian pour fuir les poursuites de la police du pharaon.

« Cette tradition madianite est certainement ancienne… elle doit avoir un fondement historique. Si l'on considère l'hostilité envers les Madianites qui transparaît dans les récits de Baal Pe‘or, Nomb., xxx, 6-9, de la guerre sainte contre Madian, Nomb., xxxi, de Gédéon, Jug., vi-viii, la tradition n'a pas inventé que Moïse avait eu une femme madianite, qu'il avait reçu sa révélation en Madian, qu'un Madianite avait participé à l'organisation du peuple » (R. de Vaux, Histoire ancienne d'Israël, I, Paris, 1971, p. 313). En fait, même dans la tradition biblique, Madian semble disparaître de l'histoire dans la première moitié du Xe siècle (cf. 1 Rois 11, 18) et n'est plus, ensuite, qu'une sorte de cliché littéraire. Le mariage du fondateur du judaïsme avec une étrangère madianite peut difficilement avoir été inventé à une époque tardive ! Pas plus que le fait de devenir le gendre d'un prêtre madianite, même s'il y a quelque hésitation sur le nom de ce beau-père : Réouël (Exode 2, 10) ou, plutôt, Yétrô (Exode 3, 1 ; 4, 18 ; 18, 1).

Dans ces conditions, le fait que « Moïse ait fait paître le troupeau de son beau-père Yétrô, prêtre de Madian » (Exode 3, 1) n'a rien de particulièrement glorieux et paraît tout à fait vraisemblable. Or c'est dans ce contexte historique que la tradition biblique place la révélation sur la montagne de Dieu, l'Horeb. La divinité s'y manifeste sous la forme du tétragramme YHWH, prononcé primitivement probablement plutôt Yahwoh que Yahwéh, et assigne comme mission à Moïse de faire sortir les Hébreux d'Égypte et d'aller, à trois jours de marche dans le désert, sacrifier à son nom (Exode 3, 18).

La révélation divine et la tradition madianite

Le lieu exact de la « montagne de Dieu », l'Horeb, reste malheureusement conjectural, même si une localisation dans les montagnes du Sinaï oriental ou du Négev central paraît vraisemblable. Diverses propositions ont éon de sacralité. Cependant d'autres identifications, plus à l'ouest ou au plus au sud, sont aussi possibles. Il paraît cependant exclu qu'il s'agisse du djebel Mousa actuel, dans le sud de la péninsule du Sinaï, même si cette tradition, liée au monastère Sainte-Catherine, remonte au IVe siècle après J.-C.

Il est plus intéressant de remarquer que l'on peut assez naturellement interpréter le nom divin Yahwoh comme étant celui de la divinité dont Yétrô était le prêtre. De fait, des listes égyptiennes du XIV-XIIIe siècle avant J.-C., conservées dans des temples d'Amara et de Soleb, mentionnent dans cette région des « Shasou de Yahô », et l'on peut rapprocher le nom de lieu Yahô du nom divin YHWH, probablement prononcé Yahwoh.

Malheureusement, en dehors de ce rapprochement et de la mise au jour par l'archéologie de restes d'une civilisation particulière dans le nord-ouest de l'Arabie et l'est de la péninsule Sinaïtique vers 1300-1000 avant J.-C., dans l'état actuel de notre documentation, nous ne pouvons nous appuyer que sur la tradition biblique. Selon celle-ci, les Madianites étaient des sortes de Bédouins, à la fois pasteurs et caravaniers, effectuant éventuellement des razzias, qui vivaient dans le sud de la Palestine et de la Transjordanie et se rattachaient aux autres groupes nord-arabes (Genèse 25, 1-4).

Ainsi, d'après la tradition biblique la plus ancienne, la divinité qui se révèle à Moïse apparaît comme étant probablement d'origine madianite, c'est-à-dire nord-arabe. Le fait semble en opposition avec l'idéologie postérieure, ce qui est un bon gage de son historicité. Cependant, dans ce contexte, on est moins étonné que la tradition ancienne d'Exode 18 nous présente Yétrô et Moïse bénissant YHWH et lui offrant ensemble des sacrifices. On souhaiterait seulement en savoir plus sur les caractéristiques de ce culte madianite de YHWH, car il est possible que l'exclusivisme (ou « monolâtrie ») et l'aniconisme du yahwisme postérieur remontent à ce culte nord-arabe.

Cependant Moïse n'est pas resté toute sa vie auprès de son beau-père, « prêtre de Madian », et la tradition unanime lui attribue la responsabilité de la sortie d'Égypte d'un groupe d'Hébreux. En fait, on peut comprendre que, s'étant révolté contre la dureté du travail forcé imposé par les Égyptiens et s'étant installé en Madian, Moïse ait songé à faire bénéficier son clan de la même expérience en le faisant sortir d'Égypte et en l'installant dans le désert madianite.

Le fait que cet événement n'ait aucun écho dans la documentation égyptienne contemporaine ne doit pas étonner, puisqu'était apparemment insignifiante et fréquente la fuite de quelques familles ou clans sémitiques, en direction du désert, plus précisément vers le « pays de Madian ». En fait, l'historicité de l'Exode ne pose aucun problème si l'on admet qu'il ne concernait primitivement qu'un groupe très limité d'Hébreux/'Apirous travaillant pour les Égyptiens : probablement quelques centaines, un millier au grand maximum. Les estimations récentes à la suite des explorations archéologiques de surface en Cisjordanie centrale semblent confirmer cet ordre de grandeur.

Les circonstances de l'Exode

La manière dont cette sortie d'Égypte aurait été réalisée nous est racontée avec un luxe de détails dans les chapitres IV à XV de l'Exode. Le drame se serait noué lors d'affrontements directs entre Moïse et le pharaon, et il n'aurait pas fallu moins de « dix plaies » s'abattant sur l'Égypte pour que ce dernier laisse partir les Hébreux. Encore se repent-il et les pourchasse-t-il avec ses chars qui finalement s'enlisent dans les sables lors du passage de la mer. On a parfois cherché à justifier le détail de ce récit en soulignant le fait que chacune des plaies évoquées peut éventuellement frapper les bords du Nil, ainsi que le caractère mouvant des eaux situées entre la mer Rouge et la mer Méditerranée. Cependant tout cela indique seulement que ces histoires sont nées « dans un milieu qui avait une certaine connaissance de l'Égypte » (R. de Vaux, Histoire…, p. 341), et n'implique pas que le récit des plaies soit historique : il s'agit plutôt d'une épopée qui monte en épingle un événement mineur pour en souligner l'importance au regard de ses conséquences historiques pour l'ancien Israël. À l'origine, il pourrait s'être agi simplement, d'une part, d'une négociation entre Moïse (ou Aaron) et un responsable égyptien pour obtenir quelques jours chômés en vue d'un sacrifice au dieu des Hébreux dans le désert – les ostraca de Deir el-Medineh fournissent des exemples d'une telle pratique – et, de l'autre, d'une simple escarmouche pour échapper à la police de la route égyptienne poursuivant les fuyards car, comme le remarque déjà R. de Vaux, « la présentation de l'exode comme une fuite est, de beaucoup, la plus vraisemblable » (p. 352).

Le détail de la route suivie par ce groupe de fuyards nous échappe en grande partie. Cependant il est peu vraisemblable que les Hébreux aient suivi longtemps la route de la côte – ou « route des Philistins » suivant une appellation anachronique, car celle-ci était protégée et gardée, comme le montre probablement l'escarmouche célébrée ensuite comme la « bataille de la mer ». Dès lors le groupe de Moïse a dû s'enfoncer dans le désert (Exode 13, 17 ; 15, 22). Même si certaines étapes de cette route peuvent être identifiées avec divers points d'eau, il faut surtout souligner que les traditions anciennes semblent unanimes pour situer un séjour assez prolongé à Qadesh-Barnéa (cf. Nombres 13, 26 ; 20, 1 ; Deutéronome 1, 46…), probablement dans les oasis de la région d'Ein Qudeirat, en Égypte mais près de la frontière actuelle avec Israël.

D'une manière générale, le séjour des Hébreux au désert est présenté comme ayant duré « quarante ans », chiffre rond symbolique de la durée d'une génération. Outre des interventions pour assurer l'eau et la nourriture (cf. la manne et les cailles, deux phénomènes naturels au Sinaï), la tradition biblique rattache alors à Moïse la conclusion d'une alliance entre YHWH et le groupe sorti d'Égypte – alliance fondatrice de l'originalité de la religion israélite. Sans chercher à voir tout ce que la tradition postérieure a inséré dans cette notion, on peut penser que Moïse a naturellement imposé à son groupe les caractéristiques du culte de YHWH dont il avait reçu sa mission. Ces caractéristiques comprenaient vraisemblablement l'exclusivisme du culteYHWH sera le seul Dieu auquel ce groupe rendra un culte, ce qui correspond à une « monolâtrie » – et son aniconisme – rejet des statues divines tout en admettant le culte des pierres dressées. En effet, ces deux caractéristiques semblent remonter aux origines mêmes du yahwisme israélite.

Le rôle de Moïse par rapport au monothéisme et au Décalogue

La tradition postérieure les évoque souvent ; cependant, historiquement, les rattacher à Moïse paraît peu vraisemblable. En effet, un certain nombre de textes du yahwisme israélite ancien (Psaume 82, 1 ; 89, 6-8…) manifestent encore une certaine croyance polythéiste selon la conception antique que chaque peuple a son propre dieu (cf. Deutéronome 32, 8 ; Michée 4, 5). Bieu Deutéro-Isaïe (Isaïe 40-55). En fait le yahwisme ancien était monolâtrique, c'est-à-dire que l'exclusivisme du culte de YHWH ne valait que pour Israël. Le rattachement du monothéisme à Moïse n'est donc que très indirect, et lié à une évolution religieuse postérieure de quelque sept siècles !

En ce qui concerne le Décalogue, le délai est plus discuté et pourrait avoir été plus court. En effet, même si la forme actuelle est relativement récente et date de l'époque postérieure à l'exil, au moins en ce qui concerne le commandement du sabbat, une forme primitive, plus brève, pourrait remonter au début de l'époque royale, voire à l'alliance de Sichem vers 1200 (cf. Josué 24). Cependant, même cette forme primitive se situe dans le cadre d'une population sédentarisée dans des maisons, ce qui peut difficilement correspondre au groupe hébreu de l'époque de Moïse. Il reste que les deux premiers commandements du Décalogue mettent en valeur l'exclusivisme du culte de YHWH et son aniconisme, qui remontent probablement à Moïse lui-même. En ce sens, on peut parler d'un certain lien indirect entre Moïse et le Décalogue.

 

La mort de Moïse, en deçà du Jourdain

Malgré des conditions difficiles, le séjour au désert a pu entraîner un certain accroissement démographique naturel, d'autant plus que les Hébreux avaient la réputation d'être prolifiques (cf. Exode 1, 7.9.10.12.20) ; dans ces conditions, les problèmes d'eau et de nourriture durent devenir de plus en plus graves. C'est peut-être dans ce contexte économique et démographique qu'il fut décidé de quitter Qadesh-Barnéa pour chercher des terres plus hospitalières. Suivant la tradition biblique, le groupe de Moïse se mit en route en contournant la mer Morte et suivant la zone frontière entre désert et zones cultivables.

Une video pas mal faite -en anglais- mais malheureusement portant la griffe des évangéliques puisqu'à la chute finale, on y voit le drapeau d'Israël avec la fameuse étoile plus communément appelée "Sceau de Salomon" dont on n'a  jamais trouvé la plus petite preuve d'existence.

Contournant ainsi le pays de Moab – mentionné dans une inscription de Ramsès II, et la stèle de Balou a révélé alors une probable influence égyptienne – les migrants atteignirent la Transjordanie centrale, au nord de l'Arnon. C'est dans cette région que les Hébreux, s'alliant peut-être à d'autres groupes, auraient commencé à occuper des terres cultivables, en s'emparant, éventuellement par la force, de la région de Heshbôn et en campant dans « les plaines de Moab, en Transjordanie face à Jéricho » (Nombres 22, 1 ; cf. Deutéronome 34, 1). Sans garder le souvenir exact de son lieu de sépulture (Nombres 34, 6), la tradition unanime place là la mort de Moïse, qui n'a pas franchi le Jourdain.

Des bords du Nil à ceux de la vallée du Jourdain, le plus souvent dans des zones désertiques, le destin de cet Hébreu égyptien semble avoir été profondément marqué par son alliance matrimoniale madianite qui aboutira, sous son successeur Josué, à l'introduction du yahwisme en Cisjordanie centrale avec le groupe qui en était porteur et que Moïse avait forgé : les Benê Israël.

 

Sources Clio

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1 juillet 2007 7 01 /07 /juillet /2007 17:01

 

 

 

Le yahwisme ancien

 

par André Lemaire

 

Directeur d’études à l'Ecole pratique des hautes études

 

 

 

 

Rappelons que, en histoire des religions, le monothéisme, croyance en un seul dieu, s'oppose au polythéisme, croyance en plusieurs dieux. Ces deux antonymes comportent une sorte de moyen terme, l'« hénothéisme », croyance en un dieu pour un groupe particulier, sans nier pour autant l'existence des autres dieux. D'autres termes décrivent la pratique cultuelle : la monolâtrie, culte d'une seule divinité, s'oppose à l'idolâtrie, adoration des « idoles », c'est-à-dire des images ou statues représentant des divinités. On peut aussi décrire la religion en fonction du nom de la divinité adorée : c'est ainsi que, pour Israël, on parlera très souvent de yahwisme.

Les origines du nom divin

Les plus anciennes attestations épigraphiques du tétragramme, des quatre consonnes notant le nom propre du dieu d'Israël, YHWH, se trouvent sur la stèle de Mésha, roi de Moab (IXe siècle av. J.-C.), qui évoque l'affrontement entre Moab et Israël, entre Kamosh et YHWH (ligne 18). Selon Exode 3, 15, le nom propre du dieu d'Israël a été révélé à Moïse : « YHWH… m'a envoyé vers vous. C'est là mon nom à jamais ». La prononciation primitive du tétragramme est difficile à préciser car, dès le IVe siècle av. J.-C., on évite de le prononcer en le remplaçant par un titre : Adonaï, « mon maître/seigneur », traduit Kyrios dans le grec de la Septante. 

Comment prononçait-on le tétragramme avant le IVe siècle av. J.-C. ? De plus, à l'époque ancienne, on n'écrivait que les consonnes. On hésite généralement aujourd'hui entre deux vocalisations :
Yahwoh et Yahwéh. Avec la plupart des traductions, nous adopterons ici la vocalisation conventionnelle Yahwéh.

Pouvons-nous préciser les origines de ce nom divin ? Le théonyme Yahwéh n'est pas attesté dans l'onomastique cananéenne des lettres d'El-Amarna (XIVe siècle av. J.-C.) et semble arriver en Cisjordanie en même temps que les Israélites. En fait, une origine méridionale est évoquée dans plusieurs poèmes bibliques anciens :

« Yahwéh est venu du Sinaï,
Pour eux, il s'est mis à briller de Séïr ;
il est apparu (venant) du mont Parân » (Deutéronome 33, 2).

« Yahwéh, quand tu sortis de Séïr,
quand tu marchas hors de la steppe d'Édom…
les montagnes ruisselèrent devant Yahwéh, celui du Sinaï » (Juges 5, 4-5).

« Dieu vient de Témân,
le Saint du mont Parân » (Habaquq 3, 3).

Ces toponymes permettent de situer approximativement l'origine de Yahwéh dans les montagnes du Négev central ou du Sinaï oriental.

Selon Exode 3, 1, Yahwéh s'y révéla à Moïse alors que ce dernier « faisait paître le troupeau de son beau-père Jétro, prêtre de Madiân ». Nous ne savons presque rien sur Madiân, confédération nord-arabe du XIIIe au début du Xe siècle av. J.-C. ; cependant cette tradition ancienne paraît crédible car les Madianites sont devenus ensuite les ennemis des Israélites avant de disparaître au début du Xe siècle.

Bien plus, cette tradition biblique ancienne peut être rapprochée de la mention de Shosous (Bédouins) de YHW', dans une liste d'Aménophis III à Soleb, liste recopiée à Amara-Ouest et à Aksha à l'époque de Ramsès II. Ce rapprochement est d'autant plus intrigant que l'expression Shosous de YHW'évoque les « Shosous de Séïr » et de la « montagne de Séïr », attestés dans des inscriptions de Ramsès II (vers 1279-1212).

Ainsi, les traditions bibliques les plus anciennes et quelques indices provenant de textes égyptiens concordent-ils sur l'origine méridionale du yahwisme introduit en Canaan avec le groupe de Moïse, auquel le théonyme particulier « Yahwéh » a été révélé alors qu'il était gendre de Jétro, prêtre madianite.

Quelles sont les caractéristiques du yahwisme ancien ?

Plusieurs poèmes antiques présentent Yahwéh, le dieu d'Israël, comme faisant partie d'une assemblée de dieux, d'un « panthéon », impliquant un certain polythéisme (cf. Psaumes 82,1 ; 89,6-8...). D'autres affirment que Yahwéh est le dieu d'Israël, mais reconnaissent tout aussi clairement que les autres nations ont d'autres dieux :

« Tous les peuples marchent chacun au nom de son dieu ;
mais nous, nous marchons au nom de Yahwéh notre Dieu,
pour toujours et à jamais » (Michée 4,5 ; cf. Deutéronome 32,8).

Selon le yahwisme ancien, chaque peuple a sa propre divinité nationale : c'est ainsi que Yahwéh est le « dieu d'Israël » tandis qu'Israël est le « peuple de Yahwéh ». Ce lien particulier est magnifiquement exprimé par les images du mariage et de l'« alliance » entre Yahwéh et Israël. Il se retrouve dans le qualificatif « jaloux » appliqué à Yahwéh, et ce lien exclusif est souligné par les nombreuses interdictions faites à Israël de « servir » des divinités étrangères.

Monothéiste ou polythéiste ? La religion primitive de l'ancien Israël ne se laisse pas enfermer dans cette alternative. Comme elle n'est pas le fruit d'une réflexion philosophique ou théologique, le mot « hénothéiste » n'en traduirait qu'un aspect limité ; il est plus clair de la reconnaître comme une monolâtrie : Israël ne doit rendre un culte qu'à un seul dieu, Yahwéh, tout en admettant que les autres peuples aient d'autres dieux.

Précisons quelques aspects de ce yahwisme monolâtrique. Dès les origines mosaïques, il était « aniconique », rejetant les représentations figurées de la divinité. Cependant, cet aniconisme admettait l'évocation de la divinité par une pierre dressée, une stèle non taillée, car les traditions bibliques anciennes décrivent les sanctuaires israélites comme constitués d'un « autel », d'une « stèle » et d'un « arbre sacré » Les légendes patriarcales mettent en évidence ces trois aspects : Jacob dresse une pierre comme stèle à Béthel (Genèse 28, 19.22) ; Abraham « plante un tamaris à Béérshéba » (Genèse 21, 33) où Isaac bâtit ensuite un autel (Genèse 26, 25) ; « Josué prend une grande pierre qu'il fait dresser là sous le chêne, dans le sanctuaire de Yahwéh » (Josué 24, 26). L'archéologie confirme ce culte des stèles, non seulement à l'époque du bronze moyen (Gézer, Sichem) ou récent (Hazor), mais encore à l'époque royale israélite. On a ainsi retrouvé deux pierres dressées dans la cella du temple yahwiste d'Arad (Négev), tandis que les restes d'un grand autel à cornes, en pierre taillée, ont été mis au jour à Béérshéba.

Le culte israélite ancien s'exprimait surtout à l'occasion de deux grandes fêtes de la pleine lune : celle du printemps (la Pâque, liée à l'Exode) et celle de l'automne (fête de la récolte). Elles étaient l'occasion d'un repas festif avec sacrifice d'un animal. Après l'installation en Canaan, elles furent célébrées dans divers sanctuaires locaux, en particulier à Silo, dont le sacerdoce élide se rattachait à la descendance d'Aharon.

Le yahwisme, dont le groupe mosaïque était porteur, s'est peu à peu étendu à d'autres groupes semblables. C'est le sens de l'alliance de Sichem où Josué demande à d'autres immigrants de rejeter leurs dieux d'au-delà du fleuve et de ne reconnaître que Yahwéh (Josué, 24), avec un minimum de règles cultuelles et sociales, probablement une forme primitive du Décalogue.

L'évolution de la religion yahwiste durant l'époque royale (XIe-VIe siècles)

La construction du temple de Salomon à Jérusalem va d'abord officialiser le culte de Yahwéh comme dieu national rassemblant Israël et Juda. Un moment concurrencé par le sanctuaire de Béthel et celui de Dan, dont on peut voir encore aujourd'hui quelques restes, ce temple célèbre, duquel nous a peut-être été conservée une partie du mur de soutènement oriental, rassemblera à nouveau Israélites et Judéens pour les « fêtes de pèlerinage », après la chute de Samarie en 722.

Durant cette période, la personnalité du dieu d'Israël s'enrichit en assimilant des fonctions caractéristiques d'autres divinités. À l'origine, Yahwéh/Yahwoh était un dieu guerrier : Yahwéh Sabaot, « Yahwéh des armées », celui qui libère son peuple d'Égypte ; c'était aussi un dieu de montagne et orage. En s'installant en Cisjordanie, il va absorber les divinités ancestrales de la région – dans la Bible, on dit que le dieu des ancêtres a révélé maintenant son nom : Yahwéh. C'est en particulier le cas pour les théonymes patriarcaux composés de El. Par là même, Yahwéh assume les fonctions que la population locale attribuait à El, plus particulièrement El Elyôn « Dieu Très-Haut », créateur du ciel et de la terre, comme le montre la comparaison de Genèse 14, 19 et 22.

Cette absorption des fonctions des autres grands dieux témoigne non seulement de la supériorité de Yahwéh sur eux, mais aussi du fait qu'ils deviennent inutiles !

Par ailleurs, le yahwisme monolâtrique de l'époque monarchique s'est heurté au culte de plusieurs dieux étrangers. Ainsi, sous le règne d'Achab, le culte exclusif de Yahwéh en Israël est-il menacé par la diffusion de celui du Baal de Tyr. La réaction du prophète Élie se manifeste lors de la joute du mont Carmel, à la frontière entre Israël et le royaume phénicien de Tyr ; le peuple doit choisir son dieu : Yahwéh ou Baal (1 Rois 18, 21). L'exclusivisme officiel du culte de Yahwéh sera rétabli lors du coup d'État de Jéhu en 841 (2 Rois 10, 27), illustré aujourd'hui par la stèle araméenne de Tel Dan, suivi, en 835, de celui du prêtre Yehoyada contre Athalie, à Jérusalem.

Au VIIe siècle, la domination assyro-araméenne entraîne la diffusion du culte des astres, attesté dans la sigillographie et dans la Bible. Le roi Manassé lui-même « se prosterna devant toute l'armée des cieux qu'il servit… et bâtit des autels à toute l'armée des cieux dans les deux parvis du temple de Yahwéh » (2 Rois 21, 3-5). Cependant, avec la disparition de la domination assyrienne, la réforme de Josias réagit et « supprima ceux qui brûlaient de l'encens en l'honneur du soleil, de la lune, des constellations et de toute l'armée des cieux » (2 Rois 23, 5).

Le péril pouvait aussi venir d'Israël lui-même avec deux tendances : la sacralisation exagérée de certains objets cultuels et la diversité des sanctuaires traditionnels.

Assez naturellement, la stèle et l'arbre sacré des sanctuaires traditionnels en sont venus à être si sacralisés qu'ils devinrent presque des hypostases divines : dans les inscriptions paléo-hébraïques de la première moitié du VIIIe siècle, l'ashérah, c'est-à-dire l'arbre sacré du sanctuaire, est mentionné à côté de Yahwéh dans les formules de bénédiction : « Je vous bénis par Yahwéh de Samarie et par son ashérah » (inscriptions sur le site de Kuntillet ‘Ajrud, pithos 1 ; cf. pithos 2 et Khirbet el Qôm 3).

Émergence d'un aniconisme strict

Cette évolution provoqua une vive réaction des prophètes qui aboutit aux réformes religieuses d'Ezéchias (2 Rois 18, 4) et de Josias (2 Rois 23, 6), codifiées dans Deutéronome 16, 21 :

« Tu ne te planteras pas d'ashérah, d'un arbre quelconque, auprès de l'autel de Yahwéh ton Dieu que tu te feras ;
Tu ne t'érigeras aucune stèle (
massébah) que hait Yahwéh ton Dieu ».

On aboutit ainsi à un aniconisme strict où même la stèle et l'arbre sacré sont interdits. La bénédiction sacerdotale de Nombres 6, incisée sur deux amulettes en argent de Ketef Hinnom vers 600 av. J.-C., n'invoquera plus que Yahwéh seul.

Les formules de bénédiction de Kuntillet ‘Ajrud mentionnant « Yahwéh de Samarie » et « Yahwéh de Téman » révèlent aussi que la liaison de Yahwéh avec ses divers sanctuaires risquait d'oblitérer le fait qu'il s'agissait de la même divinité. Cette évolution de la religion populaire entraîna la critique prophétique des sanctuaires locaux et aboutit à leur suppression officielle lors des réformes d'Ezéchias et de Josias (cf. aussi Deutéronome 12, 2-5), comme semblent l'attester les fouilles de Béérshéba et d'Arad. Cette opposition au culte yahwiste des divers sanctuaires locaux explique l'insistance du Deutéronome sur l'unicité de la divinité nationale : « Yahwéh est un/unique » (6, 4). La centralisation du culte au temple de Salomon à Jérusalem met en valeur cette unité.

En supprimant même ce dernier point d'ancrage du yahwisme ancien, la destruction du Temple en 587 conduira bientôt les Exilés à franchir une nouvelle étape aboutissant à un monothéisme universel, clairement affirmé par le Deutéro-Isaïe, vers 550-539 (Isaïe 43, 10-11 ; 44, 6-8).

Ainsi, la réflexion sur le caractère unique de Yahwéh a-t-elle mûri pendant plusieurs siècles. Même si on en décèle quelques amorces auparavant, c'est surtout l'approfondissement de l'aniconisme dans le contexte de l'Exil babylonien qui semble avoir permis le passage du monolâtrisme des origines mosaïques au monothéisme suivant lequel Yahwéh est seul vrai Dieu, dominant l'univers.

Sources Clio

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8 mai 2007 2 08 /05 /mai /2007 22:20

Dernière partie de l'exposé de Freud sur Moïse l'Egyptien... avec une chute finale très intéressante... après la mort du Père -Moïse- et par la même celui de Dieu... survint celle du Fils pour le rachat du crime commis... après la mort d'une religion remplacée par une autre venue d'Egypte, vint la dernière dont s'empara l'Eglise de Rome. La boucle est-elle bouclée ? Certains disent que Ieschoua n'a pas dit son dernier mot. Fiat Lux.

 

 

Moïse, son peuple et le monothéisme

 

par Sigmund Freud

16ème partie

 

15ème partie

14ème partie

13ème partie

12ème partie

1ère partie

 

Moïse, son peuple et le monothéisme : deuxième partie

II. Le peuple d'Israël

VIII. La vérité historique

 

Par toutes ces digressions nous avons voulu démontrer que la religion mosaïque n'a exercé une influence sur le peuple juif que lorsqu'elle fut devenue une tradition. Sans doute n'avons-nous affaire qu'à des probabilités ; mais supposons que nous ayons acquis une preuve certaine, il ne s'en dégagerait pas moins l'impression qu'en la matière nous avons négligé le facteur quantitatif en tenant compte uniquement, du facteur qualitatif. Tout ce qui a trait à la création d'une religion - et ceci s'applique naturellement aussi à la création de la religion judaïque - est empreint d'un caractère grandiose que toutes nos explications ne suffisent pas à éclairer. Il doit y avoir un autre élément, quelque chose qui comporte peu d'analogie et n'a nulle part d'équivalent, quelque chose d'unique qui ne se peut mesurer que d'après ses conséquences et dont l'ordre de grandeur est celui de la religion elle-même.

Essayons d'aborder notre sujet par le côté inverse. Nous comprenons que le primitif a besoin d'un dieu créateur du monde, chef de sa tribu et protecteur personnel. Ce dieu a sa place derrière les aïeux disparus dont la tradition a conservé quelque souvenir. L'homme des époques plus tardives, celui de notre temps, par exemple, se comporte de la même manière. Lui aussi est resté infantile et, même à l'âge adulte, a besoin de protection, lui aussi sent qu'il ne peut se passer de l'appui de son dieu. C'est là un fait indiscutable, toutefois l'on comprend moins pourquoi il ne doit y avoir qu'un seul Dieu et pour quelle raison le passage de l'hénothéisme au monothéisme prend une aussi formidable importance. Certes, nous l'avons dit déjà, le croyant participe à la grandeur de son Dieu et plus ce Dieu est puissant, plus est efficace la protection qu'il peut assurer. Mais la puissance de Dieu ne présuppose pas son unicité. Un grand nombre de peuples ont eu d'autant plus de considération pour leur dieu que celui-ci régnait sur une plus grande multitude d'autres divinités inférieures. Ils ne pensaient pas que l'existence de ces autres divinités diminuât la grandeur du dieu principal. En admettant l'universalité de Dieu, l'homme abandonnait en outre un peu de son intimité avec celui-ci qui avait à se soucier de tous les pays et de tous les peuples. Il fallait, pour ainsi dire, partager son Dieu avec des étrangers et se consoler en pensant que l'on était préféré. Notons encore que l'idée d'un Dieu unique implique un progrès dans la spiritualité, toutefois il ne convient pas d'attacher une énorme importance à ce point.

Cependant les croyants ont trouvé un moyen de combler cette évidente lacune dans la motivation. Ils prétendent que si l'idée de Dieu a eu sur les hommes une telle emprise, c'est parce qu'elle émane de la vérité éternelle qui, bien longtemps cachée, est enfin apparue pour balayer tout ce qui existait auparavant. Nous sommes obligés d'avouer que c'est là un facteur proportionné à l'ampleur du sujet autant qu'à celle de ses effets.

Nous serions satisfaits, nous aussi, d'adopter cette solution, toutefois nous nous heurtons à une difficulté. L'argumentation religieuse est basée sur une hypothèse optimiste et idéaliste. Jamais on n'a pu établir que l'intellect humain possédât une aptitude particulière à discerner la vérité ni que l'esprit humain tendît spécialement à accepter la vérité. Nous savons, au contraire, que l'intelligence humaine s'égare très facilement à notre insu et que nous ajoutons aisément foi, sans nous soucier de la vérité, à tout ce qui flatte nos désirs et nos illusions. Voilà pourquoi notre adhésion n'est pas totale. Nous aussi pensons que la solution proposée par les croyants est vraie, mais vraie historiquement et non pas matériellement. Et nous revendiquons le droit de corriger une certaine déformation subie par cette vérité quand elle réapparut. C'est-à-dire que si nous ne croyons pas à l'existence aujourd'hui d'un Dieu suprême tout-puissant, nous pensons qu'aux époques primitives il y eut un personnage qui dut alors sembler gigantesque et qui, élevé ensuite au rang divin, resurgit dans le souvenir des hommes.

Nous supposions que la religion mosaïque, après avoir été rejetée et en partie oubliée, réapparut plus tard sous la forme de tradition. Nous admettons maintenant que ce processus n'était que la répétition d'un processus antérieur. En apportant au peuple l'idée d'un Dieu unique, Moïse ne lui donnait rien de nouveau et ne faisait que ranimer un événement ancien remontant aux époques primitives de la famille humaine et qui avait, depuis longtemps, échappé à la mémoire consciente des hommes. Mais cet événement avait été si important, avait provoqué ou bien préparé de tels changements dans l'existence des hommes que tout permet de croire qu'il avait laissé dans l'âme humaine une trace profonde, comparable à une tradition.

La psychanalyse des individus nous apprend que les impressions les plus précoces, recueillies à une époque où l'enfant ne fait encore que balbutier, provoquent un jour, sans même resurgir dans le conscient, des effets obsédants. Nous sentons qu'il doit en aller de même quand il s'agit des événements les plus précoces vécus par l'humanité. L'un des effets dus à ces événements serait justement l'apparition du concept d'un seul Dieu tout-puissant ; il s'agit là, il est vrai, d'un souvenir déformé mais malgré tout réel. Ce concept possède un caractère obsédant et il faut se contenter d'y ajouter foi. Dans la mesure où il est déformé, on peut l'appeler démence ; dans la mesure où il apporte quelque lumière sur le passé on doit l'appeler vérité. La démence des psychopathes elle-même renferme une parcelle de vérité et la conviction du malade s'établit sur cette parcelle pour au-delà se répandre sur toute la construction démentielle.

Ce qui va suivre n'est qu'une répétition à peine modifiée de mon premier exposé.

En 1912, j'ai essayé dans a Totem et Tabou » de reconstituer la situation ancienne dont découlèrent toutes ces conséquences. Dans ce but, j'ai utilisé certaines réflexions théoriques de Charles Darwin, d'Atkinson et surtout de Robertson Smith en les combinant avec certaines découvertes et certaines suggestions de la psychanalyse. A Darwin, j'empruntai l'hypothèse suivant laquelle les hommes avaient originairement vécu en petites hordes, dont chacune était soumise à l'autorité tyrannique et brutale d'un mâle plus âgé qui avait réduit à merci des jeunes hommes dont certains étaient ses fils, ou s'était débarrassé d'eux. J'adoptai la description donnée par Atkinson de la fin du régime patriarcal : les fils révoltés se liguèrent contre leur père, le vainquirent puis le dévorèrent en commun. Me basant sur la théorie du totem de Robertson Smith, j'admis que le clan totémique des frères succéda à la horde du père. Afin de vivre en paix, les frères victorieux renoncèrent aux femmes pour lesquelles cependant ils avaient assassiné leur père et édictèrent l'exogamie. La puissance paternelle ayant aussi été brisée, les familles s'organisèrent d'après le droit matriarcal. L'ambivalence des fils à l'égard de leur père persista au cours de toute l'évolution ultérieure. En lieu et place du père, un certain animal fut choisi comme totem, considéré comme l'ancêtre, l'esprit protecteur, et il fut interdit de lui faire du mal ou de le tuer. Toutefois, une fois l'an, tout le clan s'assemblait pour un festin où l'animal totem, révéré en général, était mis en pièces et dévoré en commun. Personne n'était autorisé à s'abstenir de participer à ce festin qui était une répétition solennelle du meurtre du père, meurtre qui avait marqué le début d'un nouvel ordre social, d'une nouvelle loi morale et d'une nouvelle religion. Plusieurs auteurs ont, avant moi, été frappés de la relation qui existe entre le festin totémique de Robertson Smith et la communion chrétienne.

Je continue présentement à m'en tenir à cette façon de considérer les choses. On m'a maintes fois véhémentement reproché de n'avoir pas, dans les récentes éditions de mon oeuvre, modifié mes opinions, puisque de modernes ethnographes, avec un ensemble parfait, ont rejeté les théories de Robertson Smith pour les remplacer par d'autres entièrement différentes. A cela je réplique que tout en étant bien au courant de tous ces soit-disant progrès, je ne suis convaincu ni de leur bien-fondé ni des erreurs de Robertson Smith. Contester n'est pas nécessairement réfuter et innover ne signifie pas toujours progresser. Et surtout je ne me donne pas pour ethnographe, mais pour psychanalyste et j'étais en droit de tirer de données ethnographiques ce dont j'avais besoin pour mon travail psychanalytique. Les travaux du génial Robertson Smith m'ont fourni de précieux points de contact avec le matériel psychologique de l'analyse en même temps que des suggestions pour utiliser ce matériel. Je n'en saurais dire autant des travaux de ses contradicteurs.

 

IX. Le développement historique

 

Je ne puis reproduire ici de façon détaillée le contenu de « Totem et Tabou », mais j'essaierai de combler le fossé qui sépare ces présumés événements primitifs et la victoire. à une période historique, du monothéisme. Une fois qu'eurent été institués le clan des frères, le matriarcat, l'exogamie et le totémisme, il se réalisa une évolution qu'on peut considérer comme un lent « retour du refoulé ». Ce n'est pas dans son sens propre que le mot « refoulé » est employé. Il signifie ici quelque chose de passé, de révolu et de surmonté dans la vie d'un peuple et ce quelque chose nous tentons de le traiter comme un équivalent du matériel refoulé dans le psychisme de l'individu. Nous ne sommes pas encore en mesure de dire sous quelle forme psychologique le passé subsiste pendant sa période d'obscurcissement. Il n'est guère facile de transférer à la psychologie collective les concepts de la psychologie individuelle et je doute qu'il puisse y avoir quelque profit à instaurer le concept d'un inconscient « collectif ». Le contenu de l'inconscient n'est-il pas, dans tous les cas, collectif ? Ne constitue-t-il pas une propriété générale de l'humanité ? Ne nous servons donc, pour le moment, que des analogies. Les phénomènes qui se produisent dans la vie des peuples, sans être absolument identiques à ceux que la psychopathologie nous fait connaître, sont cependant très semblables à ces derniers. Concluons-en que les résidus psychiques de ces époques primitives ont constitué un héritage qui, à chaque génération nouvelle, a dû être non pas reconquis, mais rendu au jour. Considérons, par exemple, le symbolisme du langage qui semble certainement inné. Il remonte à l'époque même où le langage naquit et est familier à tous les enfants sans jamais leur avoir été enseigné. Malgré la diversité des langues, ce symbolisme est le même chez tous les peuples. Les investigations de la psychanalyse nous fournissent, sur des points douteux, d'autres renseignements encore. Nous constatons qu'en bien des circonstances importantes nos enfants ne réagissent pas de la manière que devrait leur inspirer leur propre expérience, mais instinctivement, à la façon des animaux, ce qui ne peut s'expliquer que par atavisme phylogénétique.

Le retour du refoulé s'effectue avec lenteur, non pas spontanément mais sous l'influence de tous les changements des conditions de la vie, changements qui abondent dans l'histoire de la civilisation humaine. Je ne puis examiner ici les conditions de ces changements ni donner plus qu'une énumération incomplète des étapes de ce retour. Le père redevint le chef de la famille, sans récupérer toutefois l'omnipotence du père de la horde primitive. Au cours d'étapes transitoires bien délimitées, l'animal totem a été évincé par le dieu. Au début, le dieu sous sa forme humaine conserve encore la tête de l'animal ; plus tard il prend volontiers la forme même de cet animal, puis l'animal lui devient sacré et il en fait son compagnon préféré, ou alors il a tué l'animal dont il ajoute le nom au sien. Entre l'animal totem et le dieu, le héros a fait son apparition, ce qui n'a constitué souvent qu'un stade précoce de la déification. L'idée d'une divinité supérieure semble surgir de bonne heure, d'abord confuse et sans rapport avec les préoccupations quotidiennes de l'homme. Lorsque les tribus et les peuples se groupèrent en plus vastes unités, les dieux eux-mêmes s'organisèrent en familles, en hiérarchies. Souvent l'un des dieux grandit et devient le maître des autres dieux et des hommes. L'étape suivante, celle qui conduit à l'adoration d'un seul Dieu, se franchit avec hésitation. Enfin on en arrive à révérer ce Dieu unique, à lui attribuer l'omnipotence et à ne souffrir à ses côtés aucune autre divinité. C'est alors seulement que la grandeur du père de la horde primitive se trouve rétablie et que les émois qu'il suscitait peuvent être répétés.

Cette reprise de contact avec ce dont les hommes avaient été si longtemps privés, avec ce à quoi ils aspiraient, eut un effet écrasant et tel exactement que nous le rapporte la tradition en nous décrivant comment la loi fut édictée sur le Sinaï. Le peuple ressentit de l'admiration, du respect, de la reconnaissance envers ce Dieu qui lui donnait ce témoignage de sa faveur : la religion de Moïse ne connaît que ces sentiments positifs envers Dieu le Père. La croyance en l'invincibilité de Dieu, la soumission à sa volonté n'avaient pu être plus absolues chez le fils sans défense, craintif du père de la horde primitive et elles se conçoivent aisément si l'on se replace, par la pensée, dans un milieu infantile et primitif. Les émotions infantiles sont bien plus intenses, bien plus inépuisables que celles des adultes et seule l'extase religieuse peut les ramener. C'est ainsi qu'un transport de dévotion fut la première réaction au retour du Père tout-puissant.

Le sens dans lequel devait évoluer cette religion du Père se trouvait donc à tout jamais fixé, mais l'évolution elle-même n'en était pas achevée pour autant. L'ambivalence est un caractère essentiel des relations entre père et fils. Il fallait bien qu'au cours des siècles l'hostilité, qui avait un jour incité les fils à tuer un père à la fois admiré et redouté, se manifestât à nouveau. Une haine meurtrière à l'égard du père ne devait plus trouver place dans le cadre de la religion mosaïque. Une seule puissante réaction pouvait se manifester : un sentiment de culpabilité, le remords d'avoir péché et de continuer à pécher envers Dieu. Ce sentiment de culpabilité sans cesse entretenu par les prophètes, et qui devint bientôt partie intégrante du système religieux, avait encore une autre motivation superficielle qui dissimulait adroitement son origine réelle. Le peuple eut de durs moments à traverser, les espoirs qu'il avait mis en Dieu tardaient à se réaliser et il lui devenait vraiment difficile de continuer à se croire le peuple élu. Pour ne pas renoncer à ce bonheur, il fallait bien qu'un sentiment de culpabilité, que la conscience d'avoir péché, vint bien à propos disculper Dieu. En effet, c'est parce que l'on avait enfreint les lois du Seigneur que celui-ci vous punissait. Et par besoin d'atténuer le remords implacable jailli d'une source si profonde, on se voyait contraint de rendre ces lois toujours plus rigoureuses, plus pénibles et aussi plus mesquines. Dans un nouveau transport d'ascétisme, les Juifs s'imposaient constamment de nouveaux renoncements instinctuels et parvenaient, par ce moyen, tout au moins en théorie et en doctrine, à atteindre des sommets éthiques inaccessibles aux autres peuples de l'antiquité. Nombre de Juifs considèrent ces hautes aspirations comme la seconde grande caractéristique et la seconde grande réalisation de leur religion. Nous cherchons à démontrer comment elles se relient à la première idée, à la conception d'un Dieu unique. Il est indéniable que cette éthique tire son origine d'un sentiment de culpabilité dû à un sentiment réprimé d'hostilité envers Dieu. Elle a le caractère jamais achevé, inachevable, des formations réactionnelles qu'on observe dans les névroses d'obsession. On devine aussi qu'elle sert secrètement de châtiment.

Ce qui advint ensuite dépasse le judaïsme. D'autres éléments resurgis de la tragédie qui s'était jouée autour de la personne du père primitif ne sont nullement compatibles avec la religion mosaïque. A cette époque le sentiment de culpabilité ne demeura pas l'apanage des Juifs ; il affecta, à la manière d'un vague malaise, d'un triste pressentiment dont nul ne pouvait expliquer la cause, tous les peuples méditerranéens. Les historiens modernes parlent d'un vieillissement de la culture antique, je les soupçonne fort de n'avoir vu, dans cette dépression des peuples, que les causes occasionnelles et accessoires. C'est le judaïsme qui clarifia cette situation pénible. Bien que les voies eussent été préparées de différents côtés, ce fut cependant dans l'esprit d'un Juif, Saul de Tarse, qui en tant que citoyen romain était appelé Paul, que naquit l'idée suivante : « Si nous sommes aussi malheureux, c'est parce que nous avons tué Dieu le Père. » Nous concevons parfaitement qu'il n'ait pu saisir cette vérité que sous la forme fabulée, erronée, de cette bonne nouvelle : « Nous voilà débarrassés de toute culpabilité depuis que l'un d'entre nous a donné sa vie pour le rachat de tous nos péchés. » Évidemment, on ne trouve pas dans cette formule d'allusion au meurtre de Dieu, mais un crime que seul le sacrifice d'une vie pouvait racheter pouvait-il être autre chose qu'un meurtre? Il était dit, de plus, que le sacrifié était le propre Fils de Dieu, ce qui établissait un lien entre l'illusion et la vérité historique. Puisant sa force dans une vérité historique, la nouvelle foi put surmonter tous les obstacles; au sentiment enivrant d'avoir été choisi succéda le soulagement de la rédemption salvatrice. Toutefois le fait de l'assassinat du père, quand son souvenir resurgit dans la mémoire des hommes, eut à surmonter de bien plus grands obstacles que l'autre, celui qui avait constitué l'essence du monothéisme. Ce fait-là subit aussi de bien plus considérables déformations. Le meurtre dont on ne pouvait faire mention fut remplacé par le concept vraiment vague du péché originel.

Péché originel, rédemption par le sacrifice d'une vie, telles devinrent les bases de la nouvelle religion fondée par Paul. Au sein de la horde des frères révoltés, s'était-il vraiment trouvé un meneur, un instigateur du meurtre ou bien ce personnage a-t-il été créé ultérieurement et introduit dans la tradition par les poètes pour se magnifier eux-mêmes ? C'est là une question qui demeure sans réponse. Après que la doctrine chrétienne eut fait sauter les cadres du judaïsme, elle emprunta certains éléments à bien d'autres sources, renonça à divers caractères du monothéisme pur et adopta nombre de particularités rituelles propres aux autres peuples méditerranéens. Tout se passa comme si l'Égypte se vengeait des héritiers d'Ikhnaton. Il convient de noter la façon dont la nouvelle religion avait résolu le problème de l'ambivalence en ce qui concerne les relations entre père et fils. Certes, le fait principal y était la réconciliation avec Dieu le Père et l'expiation du crime perpétré envers celui-ci, mais, d'autre part, un sentiment inverse se manifestait également du fait que le Fils, en se chargeant de tout le poids du péché, était lui-même devenu Dieu aux côtés ou plutôt à la place de son Père. Issu d'une religion du Père, le christianisme devint la religion du Fils et ne put éviter d'éliminer le Père.

Une partie seulement du peuple juif adopta la nouvelle doctrine et ceux qui la rejetèrent s'appellent encore aujourd'hui les Juifs. Du fait de cette décision, ils se trouvent à l'heure actuelle plus séparés que jadis du reste du monde. Les nouvelles communautés religieuses qui, en dehors des Juifs, comprenaient des Égyptiens, des Grecs, des Syriens, des Romains et ultérieurement aussi des Germains, reprochèrent aux Juifs d'avoir assassiné Dieu. Voici quel serait le texte intégral de cette accusation : « Ils n'admettent pas qu'ils ont tué Dieu, tandis que nous, nous l'avouons et avons été lavés de ce crime. » On aperçoit facilement la part de vérité dissimulée derrière ce reproche. Il serait intéressant de rechercher, en en faisant l'objet d'une étude particulière, pourquoi il a été impossible aux Juifs d'évoluer dans le même sens que les autres en adoptant une religion qui, en dépit de toutes les déformations, avoue le meurtre de Dieu. Les Juifs ont par là assumé une lourde responsabilité qu'on leur fait durement expier!

Peut-être notre travail a-t-il jeté quelque clarté sur la façon dont le peuple juif a acquis les qualités qui le caractérisent. Mais comment a-t-il réussi à maintenir jusqu'à nos jours son individualité? C'est là une question qui n'est pas encore élucidée. Il est raisonnable de renoncer à résoudre entièrement cette énigme. Ce que j'ai pu offrir dans mon étude n'est qu'une simple contribution qui ne doit être appréciée qu'en tenant compte des limitations mentionnées au début de cet ouvrage.

Notes

1 Dans l'ancien temps, il arrivait souvent qu'on insultât les Juifs en les traitant de lépreux. Cette injure doit être considérée comme une projection : « Ils se tiennent éloignée de nous comme si nous étions des lépreux. »

2 Gardons-nous de laisser faussement croire à certains que la complexité du monde est telle que toute explication doit nécessairement comporter une parcelle de vérité. Non, notre esprit a conservé la liberté d'inventer des rapports, des relations qui n'ont aucun équivalent dans la réalité et il attache évidemment un grand prix à cette faculté en en faisant, dans les, sciences et ailleurs encore, un important usage.

3 Voir Frazer, l. c.

4 Allusion à un passage de Faust: « Ne méprise que la raison et la science. »

5 Laissons une fois encore la parole au poète. Voici comment il explique son inclination :

Du warts in abgelebten Zeiten.

Meine Schwester oder meine Frau.

« Tu fus en des temps révolus ma soeur ou bien ma femme. » (Goethe, vol. IV, Ed. de Weimar, p. 97).

Posté par Adriana Evangelizt

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8 mai 2007 2 08 /05 /mai /2007 21:05

 

 

Moïse, son peuple et le monothéisme

 

par Sigmund Freud

 

15ème partie

14ème partie

13ème partie

12ème partie

1ère partie

 

Moïse, son peuple et le monothéisme : deuxième partie

II. Le peuple d'Israël

VI. La part de vérité dans la religion

 

Avec quelle envie ne considérons-nous pas, nous, hommes de peu de foi, ceux qui sont convaincus de l'existence d'un Être Suprême! Pour ce Grand Esprit, l'univers n'offre plus de problème puisqu'il a lui-même tout créé et tout organisé. Combien vastes, profondes, définitives, semblent les théories professées par les croyants quand on les met en parallèle avec ces pénibles, mesquins et fragmentaires essais d'explication qui constituent le maximum de ce que nous pouvons donner! L'Esprit Divin, qui est en soi l'idéal de la perfection éthique, a inculqué aux hommes la connaissance de cet idéal et en même temps l'aspiration à s'y hausser. Ils distinguent immédiatement ce qui est noble et élevé de ce qui est bas et vil. Leur vie affective s'évalue d'après la distance qui les sépare de leur idéal et ils éprouvent une grande satisfaction à s'en rapprocher, à être, pour ainsi dire, périhélies. Au contraire, quand ils s'en éloignent, quand ils sont aphélies, ils en éprouvent un grand déplaisir. Tout est ainsi réglé si simplement , si inébranlablement! Regrettons seulement que certaines expériences de la vie, certaines observations de l'univers, nous empêchent absolument d'admettre l'hypothèse de cet Être Suprême. Comme si le monde ne nous offrait pas assez de problèmes, nous voilà obligés de rechercher comment ceux qui possèdent la foi ont pu l'acquérir et d'où cette foi tire son pouvoir de vaincre « et la raison et la science 4 ».

Revenons au problème plus modeste dont nous nous sommes jusqu'ici occupés. Demandons-nous d'où le peuple juif a pu tirer ce caractère particulier qui lui a, selon toutes probabilités, permis de subsister jusqu'à nos jours. Nous avons vu que Moïse avait créé ce caractère en donnant aux Juifs une religion qui augmenta leur confiance en eux-mêmes au point qu'ils se considérèrent comme supérieurs à tous les autres peuples. Ils survécurent alors en ne se mêlant pas aux autres. Les mélanges de sangs importèrent peu en l'occurrence, car ce qui unissait les Juifs entre eux c'était un facteur idéal : la possession commune d'un certain trésor intellectuel et affectif. Si la religion mosaïque put produire cet effet, c'est

1º parce qu'elle permit au peuple de participer à la grandeur d'un nouveau concept de la divinité,

2º parce qu'elle affirma que Dieu avait «choisi » ce peuple qui devrait, entre tous, jouir de sa faveur spéciale,

3º parce qu'elle imposa au peuple un progrès dans la spiritualité, progrès qui, déjà important en soi, put encore ouvrir la voie au respect du travail intellectuel et à de nouveaux renoncements aux pulsions.

Telle est donc notre conclusion, mais bien que nous n'en voulions rien rétracter, nous ne nous dissimulons guère qu'elle n'est pas totalement satisfaisante. La cause ne s'accorde pour ainsi dire pas avec le résultat. Le fait que nous tentons d'expliquer semble différer, par son ordre de grandeur, des motifs que nous découvrons. Il se peut que l'ensemble des recherches faites jusqu'ici n'ait pas encore permis de découvrir tous ces motifs mais seulement une partie superficielle de ceux-ci. Ne se dissimulerait-il pas, là derrière, un facteur très important? Étant donné l'extrême complexité de toutes les causations dans la vie et dans l'histoire, il faut bien s'attendre à quelque chose de ce genre.

L'accès vers ces motifs plus profonds nous est ouvert dans un certain passage de l'exposé ci-dessus. La religion de Moïse n'a pas eu d'effets immédiats, mais a agi, au contraire, de façon curieusement indirecte. Je n'entends pas dire par là que ces effets aient été tardifs, qu'elle ait mis longtemps, plusieurs siècles, à en achever la production, ce qui va de soi quand il s'agit du caractère d'un peuple. Non, notre remarque s'applique à un fait historique de la religion judaïque ou, si l'on préfère, à un fait que nous avons inséré dans cette histoire. Nous avons dit qu'au bout d'un certain temps, le peuple juif rejeta à nouveau la religion de Moïse, mais nous ne pouvons spécifier si ce fut en totalité ou si quelques-unes des prescriptions du prophète furent maintenues.

En admettant que pendant la longue période de temps où s'acheva la conquête de Canaan et où se poursuivirent les luttes contre les peuples déjà installés dans le pays, la religion de Jahvé ne différa pas essentiellement de celle de Baal, nous restons sur le terrain historique et cela malgré toutes les tentatives tendancieuses faites ultérieurement pour dissimuler ce honteux état de choses. Toutefois la religion de Moïse n'avait pas disparu sans laisser de traces ; il en était demeuré une sorte de souvenir obscur et déformé, peut-être conservé chez certains membres du clergé par d'anciens documents. Et c'était cette tradition d'un grand passé qui continuait à agir à l'arrière-plan, prenant toujours plus d'empire sur les esprits. Finalement elle réussit à transformer le Dieu Jahvé en Dieu de Moïse et à ranimer, après plusieurs siècles d'abandon, la religion instituée par ce dernier.

Dans un chapitre précédent de ce livre nous avons formulé une hypothèse qui semble inéluctable quand on cherche à comprendre ce que la tradition a pu ici réaliser.

 

VII. Le retour du refoulé

 

Parmi les phénomènes que l'étude psychanalytique de la vie psychique nous a permis de connaître, il en est beaucoup d'analogues à celui dont nous venons de parler. Certains sont qualifiés de pathologiques, d'autres sont considérés comme normaux. Mais peu importe, car la délimitation entre les deux est peu marquée et les mécanismes sont, en grande partie, identiques. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir si les changements en question affectent le moi lui-même ou lui restent étrangers, devenant alors ce qu'on appelle des symptômes. Parmi tout le matériel dont je dispose, je choisis des cas se rapportant à la formation du caractère.

Une jeune fille a pris en toutes choses le contre-pied de sa mère, a cultivé toutes les qualités qu'elle ne trouvait pas en celle-ci et évité tout ce qui lui ressemblait. Ajoutons à cela que, comme toute autre petite fille, elle avait dans sa petite enfance commencé par s'identifier à sa mère, tandis que maintenant elle se révolte avec énergie contre cette identification. Une fois mariée cependant, devenue femme et mère, la même jeune personne, ne soyons pas surpris de le constater, ressemble de plus en plus à cette mère ennemie pour enfin s'identifier à elle, comme autrefois. Un fait analogue se produit chez les garçons et le grand Goethe lui-même qui, dans sa jeunesse, avait certainement méprisé un père rigide et tatillon, développe, dans son vieil âge, certains traits de caractère de celui-ci. Ce résultat est plus frappant encore quand le contraste entre les deux personnes est plus marqué. Un jeune homme que le sort condamna à être élevé auprès d'un père indigne devint tout d'abord, par révolte contre lui, un garçon honnête, laborieux, plein de bonne foi. A l'âge adulte, son caractère se modifia et il se comporta dès lors comme s'il avait pris son père pour modèle. Afin de ne pas perdre de vue le lien qui unit ces faits à notre sujet, rappelons-nous qu'au début d'un pareil processus, il existe toujours une identification précoce avec le père. Cette identification se trouve ensuite abandonnée et même surcompensée pour finalement s'instaurer à nouveau. Chacun sait depuis longtemps que les faits des cinq premières années de la vie exercent sur notre existence une influence décisive à laquelle rien ne saurait plus tard s'opposer. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur la manière dont ces expériences précoces résistent ultérieurement à tous les efforts tendant à les modifier, mais ce n'est pas ici le lieu de le faire. On sait moins bien toutefois que la plus forte des influences obsédantes découle d'impressions reçues à une époque de l'enfance où, à ce que nous croyons, l'appareil psychique de l'enfant n'est pas encore prêt à les accueillir. Le fait lui-même, cependant, est indiscutable mais semble si surprenant que nous allons nous efforcer de le faire comprendre en comparant le processus à un cliché photographique qui peut être développé et transformé en image au bout d'un temps plus ou moins long. Quoi qu'il en soit notons avec plaisir qu'un écrivain plein d'imagination, avec la hardiesse que l'on permet au poète, a fait avant moi cette déconcertante découverte. E. T. A. Hoffmann attribuait la richesse en personnages imaginaires de ses oeuvres à la diversité des images et des impressions reçues par lui, au cours d'un voyage de plusieurs semaines en chaise de poste, lorsqu'il n'était qu'un nourrisson tétant encore sa mère. Tout ce qu'un enfant de deux ans a déjà pu voir sans le comprendre peut bien ne jamais revenir à sa mémoire, sauf dans ses rêves. Le traitement analytique seul sera capable de lui faire connaître ces événements. Mais à un moment donné ces derniers, doués d'une grande force compulsionnelle, peuvent surgir dans la vie du sujet, lui dicter ses actes, déterminer ses sympathies ou ses antipathies et souvent décider de son choix amoureux lorsque ce choix, cas très fréquent, est indéfendable du point de vue rationnel. Il ne faut pas méconnaître les deux points par où ces faits se rattachent à notre problème. En premier lieu, l'éloignement dans le temps 5 , qui est ici le facteur essentiel par exemple en ce qui concerne cet état spécial de la mémoire que nous appelons « inconscient ». N'y a-t-il pas là une analogie avec l'état de choses que, dans la vie affective d'un peuple, nous attribuons à la tradition ? Il convient de dire cependant qu'il n'a pas été facile d'appliquer à la psychologie collective le concept d'inconscient.

Les mécanismes mêmes qui font surgir les névroses jouent toujours dans les phénomènes que nous étudions ici. Dans les deux cas, les événements déterminants ont eu lieu dans la prime enfance, mais dans le dernier cas, l'accent porte non sur l'époque mais sur le processus qui s'est opposé à l'événement, sur la réaction à celui-ci. Schématiquement voici comment les choses se passent - l'événement crée une exigence instinctuelle qui veut être satisfaite. Le moi s'oppose à cette satisfaction soit parce qu'il se trouve paralysé par la grandeur excessive de l'exigence, soit parce qu'il la trouve dangereuse. De ces deux raisons c'est la première qui est plus primitive, mais toutes deux aboutissent à l'évitement d'une situation périlleuse. Le moi se défend contre le danger en utilisant le phénomène du refoulement, l'émoi pulsionnel est, d'une manière quelconque, entravé et l'incitation ainsi que les perceptions et les représentations concomitantes sont oubliées. Mais le processus n'est pas pour autant achevé car, en effet, ou bien la pulsion a conservé sa force ou bien elle tend à la récupérer ou bien enfin elle est ranimée par quelque incident nouveau. Elle redevient ainsi exigeante, mais comme la voie de la satisfaction normale reste barrée du fait de ce que nous appelons la «cicatrice » du refoulement, elle se fraye quelque part, en un point mal défendu, un autre accès vers une soi-disant satisfaction substitutive qui apparaît sous la forme d'un symptôme, et tout ceci sans l'assentiment ni la compréhension du moi. Tous les phénomènes de la formation des symptômes peuvent être considérés comme des « retours du refoulé ». Leur caractère distinctif est la déformation qu'ont subie, par rapport à leur forme originale, les éléments resurgis. Peut-être va-t-on nous reprocher de nous être, en examinant ce groupe de faits, trop éloigné de notre parallèle avec la tradition. Ne le regrettons pas si nous avons pu, de cette façon, serrer de plus près le problème du renoncement aux pulsions.

16ème partie La vérité historique

Posté par Adriana Evangelizt

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27 avril 2007 5 27 /04 /avril /2007 03:46

 

Moïse, son peuple et le monothéisme

par Sigmund Freud

II. Le peuple d'Israël

13ème partie

12ème partie

11ème partie

10ème partie

9ème partie

8ème partie

1ère partie

 

Dans le travail que nous avons entrepris, nous avons dû emprunter à notre matériel de traditions ce qui nous a semblé utile, rejeter ce qui ne nous sert pas et grouper, d'après les probabilités psychologiques, tous les divers éléments recueillis. En constatant que notre technique ne fournit pas à coup sûr la vérité, chacun est en droit de se demander pourquoi pareil travail a été entrepris. Pour répondre à cette question, nous citerons les résultats obtenus. Si l'on consent à diminuer beaucoup les exigences d'ordinaire imposées à une recherche historique et psychologique, on parviendra peut-être à résoudre certains problèmes qui ont, de tout temps, retenu l'attention et qui, à la suite d'événements récents, s'offrent de nouveau à l'observateur. Nous savons que de tous les peuples antiques qui vécurent dans le bassin méditerranéen, le peuple juif est probablement le seul qui ait conservé son nom et peut-être aussi sa nature. Avec une ténacité sans exemple, il a résisté à toutes les calamités et à tous les sévices ; en manifestant certains traits de caractère particuliers, il s'est attiré l'animosité cordiale de tous les autres peuples. A quoi peut bien tenir cette résistance des Juifs et quels rapports peut-il y avoir entre leur caractère et leur destinée? Voilà certes d'intéressants problèmes qu'on voudrait arriver à comprendre.

Examinons d'abord un trait de caractère qui, chez les Juifs, prédomine dans leurs rapports avec leur prochain : il est certain qu'ils ont d'eux-mêmes une opinion particulièrement favorable, qu'ils se trouvent plus nobles, plus élevés que les autres dont certaines de leurs coutumes les séparent encore 1 . En même temps, ils conservent une sorte de confiance dans la vie, semblable à celle que confère la possession secrète d'un don précieux, une sorte d'optimisme. Les gens pieux parleraient de confiance en Dieu.

Nous connaissons la raison de ce comportement nous savons ce qu'est ce trésor caché. Les Juifs se croient vraiment le peuple élu de Dieu et pensent être tout près de lui, ce qui leur donne orgueil et confiance. Suivant des récits dignes de foi, leur comportement était le même à l'époque hellénistique que de nos jours. Le caractère juif était déjà alors ce qu'il est maintenant et les Grecs, au milieu et à côté de qui les Juifs vivaient, réagissaient à leurs particularités de la même manière que leurs hôtes actuels. On pourrait dire qu'ils réagissaient comme si eux aussi croyaient au privilège revendiqué par le peuple d'Israël. Le fils favori déclaré d'un père redouté n'a guère le droit de s'étonner si la jalousie de ses frères et soeurs est ainsi suscitée. La légende juive de Joseph vendu par ses frères montre déjà très bien les conséquences possibles d'une telle jalousie. Les événements semblèrent d'ailleurs, par la suite, justifier les prétentions juives puisque quand le Seigneur consentit à envoyer aux hommes un Messie, un Sauveur, ce fut à nouveau au sein du peuple juif qu'il le choisit. Les autres peuples auraient pu alors, à juste titre, se dire: « Les Juifs ont raison. Ils sont bien les élus de Dieu. » Mais, tout au contraire, la Rédemption provoqua chez tous les peuples une recrudescence de haine contre les Juifs et ceux-ci ne tirèrent aucun avantage de la prédilection divine parce qu'ils ne reconnurent pas le Rédempteur.

En nous basant sur ce qui précède, nous pouvons affirmer que Moïse conféra au peuple juif le caractère qui, à jamais, le distingua des autres peuples. Il lui donna une confiance accrue en lui-même en lui affirmant qu'il était le peuple élu, le déclara béni et l'obligea à se tenir à l'écart des autres peuples. Nous ne voulons pas dire par là que les autres peuples manquaient de confiance en eux-mêmes, non, tout comme aujourd'hui, chaque nation était imbue de sa supériorité. Toutefois la confiance en eux-mêmes des Juifs subit, grâce à Moïse, un affermissement religieux et devint un élément de leur foi. Du fait d'un lien particulièrement étroit avec leur Dieu, ils participèrent à la grandeur de celui-ci. Or nous savons que, à l'arrière-plan du Dieu qui choisit les Juifs et les sauva d'Égypte, on trouve le personnage de Moïse qui, soi-disant au nom du Seigneur, avait fait la même chose ; c'est pourquoi nous sommes en droit de prétendre qu'un homme, Moïse, a créé les Juifs. Ce peuple lui doit non seulement la ténacité qu'il met à continuer de vivre, mais aussi une grande part de l'hostilité qu'il a suscitée et qu'il suscite encore.

 

III. Le grand homme

 

Comment concevoir qu'un homme ait réalisé cette tâche extraordinaire de faire de familles et d'individus différents un peuple unique et de déterminer ainsi pour des millénaires son destin? Une pareille hypothèse ne constitue-t-elle pas une régression vers une manière de voir qui a permis la création et la vénération des héros ? N'est-elle pas un retour à des temps où l'histoire n'était que le récit des exploits et de la vie de certains personnages ? Nous avons actuellement tendance à rapporter les faits historiques humains à des causes plus cachées, plus générales, plus impersonnelles, à l'influence déterminante des facteurs économiques, aux divers modes d'alimentation, au progrès du machinisme et des matériaux, aux migrations provoquées par l'accroissement des populations, aux diversités des climats. L'individu n'est plus considéré que comme un figurant, un représentant des aspirations collectives qui doivent nécessairement se manifester fortuitement en chaque personne.

Ces points de vue parfaitement justifiés nous rappellent cependant qu'il existe, entre la nature de notre appareil cogitatif et l'organisation de l'univers que notre pensée cherche à saisir, une importante discordance. Il suffit à notre impérieux besoin de causalité de trouver à chaque phénomène une cause unique démontrable, ce qui, dans la réalité extérieure, est rarement le cas. Bien au contraire, tout événement semble surdéterminé et paraît résulter de plusieurs causes convergentes. Effrayés par l'immense complexité des faits, nous prenons parti, dans nos recherches, pour une série d'événements contre une autre, en établissant des oppositions qui n'existent pas et qui n'ont été créées que par la suppression de relations plus larges 2 .

Si donc nous trouvons, dans l'étude d'un cas particulier, la preuve du rôle prédominant joué par un grand personnage, il ne faut pas que notre conscience nous reproche de minimiser par là l'importance de la doctrine des facteurs généraux et impersonnels. Il y a place, c'est un fait certain, pour les deux façons de voir. En ce qui concerne la genèse du monothéisme, nous ne pouvons, il est vrai, découvrir d'autre facteur extérieur que celui dont nous avons déjà fait mention : cette évolution est liée aux relations étroites nouées entre diverses nations et à l'existence d'un grand empire.

C'est pourquoi nous réservons au « grand homme » une place dans la chaîne ou plutôt dans le réseau des causes déterminantes. Mais peut-être nous demanderons-nous dans quelles conditions ce titre honorifique est conféré. Nous constatons avec surprise qu'il n'est pas facile de répondre à cette question. Dirons-nous que nous qualifions de grand homme celui dont nous apprécions hautement les qualités? Cela serait en tous points inexact ; la beauté, par exemple, la force musculaire, quelque enviables qu'elles soient, ne confèrent nullement le droit d'être considéré comme un « grand homme ». Il s'agit donc probablement de qualités de l'esprit, d'avantages psychiques ou intellectuels. Toutefois, notons qu'un homme doué en un domaine donné d'un savoir-faire extraordinaire n'est pas forcément pour cela un grand homme.

Ce titre ne sera donné ni à un maître ès jeu d'échecs, ni à un musicien virtuose, il n'est pas nécessairement conféré à un artiste distingue ou à un savant remarquable. En pareil cas, nous nous contentons de dire que le personnage en question est un grand poète, un grand peintre, un grand mathématicien, un grand physicien, un pionnier en tel ou tel domaine, mais nous hésitons à le qualifier de grand homme. Quand nous déclarons, par exemple, que Goethe, Léonard de Vinci ou Beethoven sont de grands hommes, c'est que quelque chose de plus que l'admiration pour leurs chefs-d’oeuvre nous incite à le faire. Si nous ne disposions pas de semblables exemples nous serions tentés de croire que le titre de « grand homme » est de préférence réservé à des hommes d'action -. conquérants, capitaines, chefs, du fait de la grandeur de leurs actes et de leur puissante influence. Mais cela encore est insatisfaisant et se trouve contredit par la condamnation de bien des personnages indignes dont l'influence sur leurs contemporains et sur les générations ultérieures reste indéniable. Ce n'est pas non plus la réussite qui sert de critère car nous nous rappelons alors que nombre de grands hommes, au lieu de triompher, ont achevé leur vie dans l'infortune.

Nous sommes ainsi amenés à penser qu'il est inutile de déterminer avec précision le concept de « grand homme ». Contentons-nous de considérer que cette expression qualifie de façon quelque peu élastique et arbitraire une floraison exubérante, chez certains individus, de certaines qualités humaines: en agissant ainsi nous nous rapprochons du sens primitif du mot « grandeur ». Rendons-nous compte aussi que ce qui suscite notre intérêt, c'est moins le grand homme en soi que le pourquoi de son influence sur les autres hommes. Mais abrégeons cette discussion qui menace de nous entraîner trop loin de notre but.

Il faut donc admettre que le grand homme exerce son influence sur ses contemporains de deux façons différentes : par sa personnalité et par l'idée qu'il défend. Cette idée peut soit flatter quelque désir ancien des masses, soit leur montrer un nouveau but, soit encore les attirer de quelque autre façon. Parfois, dans le cas le plus primitif, c'est la personnalité seule qui exerce une influence et l'idée ne joue qu'un rôle tout à fait secondaire. Nous comprenons immédiatement pourquoi le grand homme a pu prendre tant d'importance, car nous savons que la plupart des humains éprouvent le besoin impérieux d'une autorité à admirer, devant qui plier, et par qui être dominés et parfois même malmenés. La psychologie de l'individu nous a appris d'où émanait ce besoin collectif d'une autorité : il naît de l'attirance vers le père, sentiment qui est, dès l'enfance, inclus en nous, inclination vers ce père que le héros légendaire se flatte d'avoir vaincu. Et nous entrevoyons que tous les traits de caractère dont nous voulons parer le grand homme sont des traits propres au personnage paternel et que c'est justement cette similitude qui fait le grand homme dont nous avons vainement cherché à établir la nature essentielle. Fermeté dans les idées, puissance de la volonté, résolution dans les actes, c'est cela qui fait partie de l'image paternelle, et plus encore la confiance en soi du personnage, sa divine conviction d'avoir toujours raison, conviction parfois poussée jusqu'au manque total de scrupules. Tout en nous voyant contraints de l'admirer, parfois de placer en lui toute notre confiance, nous ne pouvons nous empêcher de le craindre aussi. Le mot lui-même aurait dû nous mettre sur la piste. Quel autre que son père, en effet, peut sembler « grand » aux yeux de l'enfant ?

Ce fut, indubitablement, l'imposante image paternelle qui, en la personne de Moïse, condescendit à assurer aux misérables laboureurs juifs qu'ils étaient les fils préférés du père. Et quelle séduction dut exercer sur eux l'idée d'un Dieu unique, éternel, omnipotent, qui, en dépit de leur humble condition, daignait conclure avec eux une alliance en leur promettant, à condition qu'ils continuassent à l'adorer, de veiller sur eux! Sans doute leur fut-il difficile de séparer l'image de Moïse de celle de son Dieu. Juste intuition, car Moïse dut attribuer certains des traits de son propre caractère au Seigneur : l'irascibilité et l'implacabilité, par exemple. En tuant leur grand homme, les Juifs ne firent que répéter un crime qui, aux époques primitives, avait été une loi dirigée contre le roi divin et qui, nous l'avons vu, avait un prototype plus lointain encore3 .

Si, d'une part, la figure du grand homme s'est ainsi trouvée divinisée, rappelons-nous maintenant, d'autre part, que le père eut, lui aussi, une enfance. La grande idée religieuse dont Moïse se fit le champion n'était pas proprement sienne, nous l'avons déjà dit. Il l'avait empruntée à son souverain lkhnaton et ce dernier, dont l'importance en tant que fondateur d'une religion est nettement démontrée, obéit peut-être à des suggestions qui lui avaient été transmises par sa mère ou par quelque autre voie, de la proche ou lointaine Asie.

Nous ne pouvons suivre plus loin l'enchaînement des faits, niais si notre manière de voir s'avère exacte, c'est que l'idée du monothéisme était parvenue, à la façon d'un boomerang, dans son pays d'origine. Il semble stérile de chercher à établir quelle part revient à un individu dans le lancement d'une idée ; il va de soi que bien des gens y ont apporté leur contribution. D'autre part, il serait évidemment erroné d'interrompre à Moïse la chaîne des causations et de négliger l'oeuvre réalisée par ses successeurs et continuateurs. Le germe du monothéisme ne leva pas en Égypte, mais la même chose eût pu se produire en Israël après que le peuple se fut débarrassé du joug d'une religion importune et tyrannique. Mais au sein du peuple juif, surgirent toujours des hommes qui ravivaient la tradition affaiblie et renouvelaient les admonestations et les sommations de Moïse en n'ayant de cesse que les croyances perdues ne fussent retrouvées. Après d'incessants efforts poursuivis pendant des siècles, après deux grandes réformes, réalisées l'une avant, l'autre après l'exil à Babylone, la transformation du dieu populaire Jahvé se réalisa ; Jahvé devint le Dieu que Moïse avait imposé à l'adoration des Juifs. Et c'est une preuve de l'existence, chez les Juifs, de certaines dispositions psychiques, que cette apparition, au sein de la collectivité destinée à former ce peuple, de tant de personnages prêts à supporter les inconvénients de la religion mosaïque dans le seul dessein d'être le peuple élu de Dieu et d'obtenir d'autres avantages analogues.

14ème partie Le progrès dans la spiritualité

Posté par Adriana Evangelizt

 

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8 avril 2007 7 08 /04 /avril /2007 21:50

Aux sources de la Bible



par Mathieu Perreault




Il y a environ 2500 ans, les Hébreux ont écrit l'histoire de Moïse, qu'ils se transmettaient oralement depuis plusieurs siècles. Les tribulations de ce prophète, qui a mené les Hébreux hors de l'Égypte vers la Terre promise, sont rappelées par la Pâque juive, dont les Pâques chrétiennes ont repris plusieurs éléments comme la tradition pastorale de manger de l'agneau. Ces dernières années, les archéologues s'intéressent aux traces laissées par Moïse. Ils racontent une histoire inspirée de mythes et d'événements bien réels.

Cet hiver, le réalisateur torontois Simcha Jacobovici a fait couler beaucoup d'encre avec un documentaire au sujet du «tombeau de Jésus». Ce n'est pas la première fois que le cinéaste juif se frotte à la controverse. L'an dernier, il avait affirmé, dans son film The Exodus Decoded, que Moïse était un pharaon étranger chassé d'Égypte par une révolte de la population autochtone et que les 10 plaies avaient toutes une explication naturelle.

Plusieurs explications surprenantes ont été proposées pour donner une base archéologique à l'histoire de l'Exode et de Moïse. Ce foisonnement de théories, plus douteuses les unes que les autres, désespère les universitaires. D'autant plus qu'elles jettent de l'ombre sur les succès de l'archéologie biblique.

«Depuis un siècle et demi, on est progressivement arrivé à une compréhension inédite du contexte où ont été écrits l'Ancien et le Nouveau Testament», explique Jean-Marc Michaud, professeur de théologie à l'Université de Sherbrooke et membre du Laboratoire des études sémitiques anciennes du Collège de France. «Avec les grandes découvertes comme Ninive ou Babylone et la traduction des hiéroglyphes égyptiens, on s'est rendu compte qu'i l existait de nombreux mythes de déluge et de création dans la région. Les rédacteurs de la Bible reflétaient le monde culturel de leur époque.»

Aucune mention de l'Exode

Si la Bible s'inspire d'autres textes plus anciens, serait-il possible que l'histoire du peuple juif soit différente de la chronologie biblique ? se sont demandé les archéologues. «Le problème, c'est qu'il n'existe aucune mention de l'Exode dans les textes égyptiens, dit M. Michaud. On ne mentionne qu'une seule fois Israël, sur une stèle de la fin du XIIIe siècle qui commémore une victoire sur les Libyens. Mais on ne sait pas l'importance ou l'identité de ce groupe. Certains doutent même qu'il s'agisse des Hébreux. Jusqu'à preuve du contraire, nous n'avons que des hypothèses sur la protohistoire d'Israël

Par exemple, dans les montagnes cananéennes, à cheval sur la frontière actuelle entre Israël et la Cisjordanie, on a trouvé de petits villages où il n'y avait pas d'os de porc. Certains experts pensent que ce pourrait être le premier État hébreu. Par contre, il n'y a pas de trace de destruction rapide des villages cananéens (comme Jéricho, dont les murailles auraient été détruites par des trompettes) comme le raconte la Bible pour expliquer l'implantation des Hébreux après la fuite d'Égypte.

L'une des clés de l'archéologie biblique est le village d'Ougarit, en Syrie, qui a prospéré aux XIIIe et XII e siècles avant notre ère et a laissé de nombreux écrits. «Ougarit est plus important que les manuscrits de la mer Morte, qui ne constituent que l'expression d'une communauté marginale, dit M. Michaud. Les tablettes d'Ougarit nous donnent un aperçu de la littérature locale des Hébreux, des Phéniciens et des Araméens quelques siècles avant le judaïsme. Il ne s'agit pas d'un culte au dieu de l'écriture, comme en Égypte, mais d'une culture laïque de lettrés qui traduisent la piété locale.»

LES HÉBREUX EN ÉGYPTE

Selon la Bible, les Hébreux sont arrivés en Égypte quand Joseph, fils de Jacob, a été vendu au pharaon par ses frères. Grâce à ses dons pour interpréter les rêves, Joseph est devenu l'un des hauts fonctionnaires du pharaon.

Quelques générations plus tard, la situation des Hébreux s'est détériorée. Ils sont devenus esclaves. Pour lui épargner cette vie dure, les parents de Moïse le cachent, bébé, dans un couffin parmi les roseaux où la fille du pharaon vient se baigner. Elle adopte Moïse. Devenu adulte, il découvre sa véritable identité. Révolté devant le sort des Hébreux, il tue un contremaître qui bat - tait l'un d'entre eux. Il fuit dans le désert pour échapper à la justice égyptienne, se joint à une tribu nomade et se marie. À l'âge de 80 ans, il voit Dieu dans un buisson enflammé. Dieu lui dit de faire sortir les Hébreux d'Égypte. Le pharaon ne veut rien entendre, et Dieu envoie 10 catastrophes qui dévastent l'Égypte. Le pharaon laisse finalement les Hébreux partir, puis change d'idée et envoie son armée à leurs trousses. Dieu écarte les eaux de la mer Rouge pour que les Hébreux puissent la franchir à pied sec, puis les laisse se refermer sur l'armée égyptienne.

Pendant la traversée du désert vers la Palestine, la «terre promise» par Dieu, Moïse se rend au sommet du mont Sinaï, où Dieu lui dicte les Dix commandements. Il meurt à 120 ans sans avoir pu fouler la Terre promise.

Sources Cyberpresse

Posté par Adriana Evangelizt

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8 avril 2007 7 08 /04 /avril /2007 21:39

L'Exode en questions



par Mathieu Perreault




Q Les Hébreux ont-ils habité l'Égypte?

R Il n'y en a aucune preuve sans équivoque. On sait que des pharaons étrangers, les Hyksos, ont régné sur l'Égypte au milieu du deuxième millénaire avant notre ère. Les Hyksos étaient d'origine sémite et ont introduit dans le panthéon égyptien le dieu moyen-oriental Réchef, originaire d'Ougarit, en Syrie. Mais rien ne prouve qu'ils étaient hébreux. Par contre, souligne Françoise Briquel Chatonnet, du CNRS en France, il est très possible que des sémites de la Palestine aient fait l'aller-retour vers l'Égypte pour y travailler ou faire du commerce et que l'Exode raconte leur expérience. D'autres experts soulignent qu'il est normal d'inclure l'Égypte, grande puissance de l'époque, dans un récit fondateur.

Q En quoi consistaient les 10 plaies?

R Pour Simcha Jacobovici, il peut s'agir des séquelles de l'éruption du volcan de Santorini, en Grèce, au XVI e siècle avant Jésus-Christ (par exemple, les cieux obscurcis par la pluie, ou un tremblement de terre causant un raz-de-marée qui aurait emporté l'armée égyptienne). Pour ce qui est de la mort des animaux et des premiers-nés, le cinéaste torontois penche vers une libération de gaz similaire à celle qui a tué des poissons et des gens près du lac Nyos, au Cameroun, en 1986. Pour la plupart des experts, on situe les plaies d'Égypte trois siècles trop tôt parce que les premiers villages hébreux en Palestine datent de la fin du XIIIe siècle.

Q Les Hébreux ont - ils fui l'Égypte?


R La Bible parle de 600 000 familles. Or, la population totale égyptienne à cette époque ne dépassait pas quatre millions de personnes, selon l'archéologue canadien Donald B. Redford, qui enseigne maintenant à l'Université d'État de Pennsylvanie. Comme il n'y a aucune mention d'une telle catastrophe démographique dans les annales égyptiennes, une telle migration est improbable, d'autant plus qu'il n'y en a pas de trace dans le désert menant à la Palestine. Par contre, Françoise Briquel Chatonnet souligne qu'il peut très bien y avoir eu un petit incident frontalier en Égypte impliquant des travailleurs immigrants sémites. Autre théorie, basée sur des écrits de Manéthon, prêtre égyptien du IIIe siècle avant Jésus-Christ : l'Exode rappellerait une alliance entre un groupe d'«impurs» égyptiens et une tribu sémitique, les Hyksos, au début du XIIIe siècle avant Jésus-Christ. Les Hyksos habitaient à 200 ou 300 kilomètres au sud de Jérusalem depuis qu'ils avaient été chassés du trône égyptien, au XVI e siècle. Les pharaons égyptiens ont fini par triompher de la coalition des impurs et des Hyksos.

Q Où était le mont Sinaï ?

R Probablement pas au sud de la péninsule où se trouve le mont Sinaï aujourd'hui. C'est trop loin des routes de migration et de commerce bordant la Méditerranée. Françoise Briquel Chatonnet avance que, comme les contacts entre humains et dieux se déroulent souvent sur des montagnes et qu'il n'y en a pas dans le nord de la péninsule, il est normal d'évoquer le sud montagneux. L'imprécision de l'Exode est d'autant plus surprenante, si le récit est historique, que l'Égypte avait des techniques toponymiques très précises, souligne Sydney Aufrère, d'Aix-en-Provence.

Sources Cyberpresse

Posté par Adriana Evangelizt

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12 mars 2007 1 12 /03 /mars /2007 18:42

Qumrân et les manuscrits de la mer Morte
Historien, bibliste et théologien

Les découvertes des manuscrits de la mer Morte près des ruines dites de Qumrân, de 1947 à 1956, ont constitué le grand événement archéologique du XXe siècle. En 1997 on en célébra le cinquantième anniversaire. À cette occasion, congrès et séminaires, bilans et publications se succédèrent en plusieurs endroits du monde, et la recherche s'est poursuivie sur cet élan. De grandes lumières en émanent, qui permettent aujourd'hui une approche à la fois précise et nuancée de l'objet et des enjeux de l'événement, dont André Paul, auteur des Manuscrits de la mer Morte (Paris, 2000), nous présente ici le bilan.

Le site archéologique

C'est sur la rive septentrionale du Wâdi Qumrân que se trouvent les vestiges des installations communautaires dites du même nom. Rappelons que le terme de « Qumrân » n'est attesté qu'à partir de 1884, dans un récit d'explorateurs britanniques ; c'est sans nul doute la variation phonique de l'anglais Gomorrha, « Gomorrhe », la ville mythique dont on recherchait alors les traces dans ces régions. Le site archéologique contient les ruines d'un complexe communautaire de grande taille, ayant en gros la forme d'un quadrilatère de cent mètres de long et quatre-vingt de large. Ce sont les restes d'importantes installations conçues pour une expérience de vie commune, durable et réglée. Au cours de l'année 1997, on apprit la découverte toute récente d'un précieux ostrakon ou « tesson » sur l'un des murs d'enceinte : on pourrait y lire le mot hébreu yahad, que nous traduisons par « commune ». Ce même terme figure entre autres dans le titre de l'un des grands écrits connus depuis 1947, dont les restes d'une bonne dizaine d'exemplaires seront recueillis dans les grottes de Qumrân : la Règle de la commune. Bien des données suggèrent des liens entre cet écrit normatif et l'établissement près duquel on l'a trouvé. Si l'on s'appuie sur les conclusions des archéologues, il est quasi certain que la phase significative de l'occupation des lieux prit fin lors de la défaite de la résistance juive contre Rome, avant ou plutôt après la chute de Jérusalem, en 70. Elle a pu débuter entre 130 et 120 av. J.-C., plus tôt même. L'aventure aurait duré deux siècles sans guère d'interruptions, mais non sans évolution. L'établissement de Qumrân possédait les infrastructures et les équipements collectifs nécessaires à une existence communautaire rythmée par des pratiques et définie par des rites. On repère parmi d'autres la salle des assemblées, qui sert aussi de réfectoire, avec l'office adjacent et la cuisine ; l'atelier de céramique avec les fours, et surtout l'aqueduc et les canaux, les citernes et les bassins à escaliers destinés à des bains fréquents de purification : on descendait impur dans l'eau pour en remonter purifié. On est frappé par le système que les ingénieurs d'alors ont su concevoir et mettre en œuvre pour la collecte saisonnière, le stockage, la conservation et la distribution de l'eau. Il faut ajouter la ou les bibliothèques. On discute encore sur l'existence ou l'emplacement d'un possible scriptorium. On n'a pas trouvé de trace de locaux d'habitation dans l'enceinte construite. En dehors des prenantes activités diurnes et hormis tel acte ininterrompu, ainsi la lecture de la Loi de nuit comme de jour, les membres de la communauté vivaient ailleurs, dans les environs proches et à la manière de troglodytes. Les grottes, surtout celles qu'ils creusaient dans la craie, étaient en effet leur abri, une température clémente s'y maintenant malgré les variations saisonnières. Les indices d'une habitation certaine ont été relevés dans une quarantaine d'excavations. Il ne faut pas exclure l'utilisation de tentes.

Voilà pour le domaine des vivants. Celui des morts le jouxtait d'une façon surprenante. Il y a d'abord un cimetière que l'on dit principal, à une cinquantaine de mètres à l'est des installations bâties. On y compte quelque onze cents tombes, d'hommes seulement semble-t-il : elles sont disposées en rangées ordonnées que des allées divisent en trois sections. Toutes sont alignées sur un axe nord-sud, les corps étendus sur le dos, la tête au sud. Il existe deux autres cimetières bien moins importants, qui comptent ensemble une centaine de tombes, l'un au nord et l'autre au sud du cimetière principal : on y a identifié des corps de femmes et d'enfants. Il semble que le cimetière principal ait été réservé aux membres à part entière de la commune : ceux qui, à en juger par certains écrits retrouvés sur place, remplissaient les conditions d'âge, d'initiation et de probation afin de participer aux divers actes ou exercices collectifs, les repas en priorité. À la grande différence des coutumes instaurées dans la société juive, qui inhumait les défunts à l'écart des agglomérations, à Qumrân, le monde des morts, lui-même organisé sinon réglé, ne faisait qu'un avec le monde des vivants, dont il était à sa façon comme le cliché en négatif.

L'établissement de Qumrân n'est pas le seul à avoir été exploré dans la région. À quelques kilomètres au sud se trouve un autre site important, du nom de Khirbet Feshkhâ. Les ruines rappellent celles de Qumrân, mais la finalité des installations paraît toute autre. Avec hangars, magasins et locaux administratifs, elles évoquent davantage une annexe économique, base de l'activité agricole et de l'artisanat. À quinze kilomètres au sud de Qumrân, à Aïn Ghûwéïr, oasis de deux kilomètres de long sur les bords de la mer Morte, on a retrouvé un autre site qui rappelle en moins grand celui de Qumrân. Il y a une cuisine, peut-être à proximité d'un réfectoire : des poteries semblables à celles du premier établissement y étaient entreposées. Au nord se trouve un petit cimetière avec aussi des squelettes de femmes et d'enfants. Il apparaît donc que, en dépit de leur importance, les installations communautaires de Qumrân n'étaient pas les seules à l'époque dans les abords occidentaux de la partie nord de la mer Morte. Ce constat est de la plus haute importance pour l'identification des occupations respectives, successives ou simultanées.

Bibliothèques et manuscrits

De 1947 à 1956, plusieurs dizaines d'excavations ou de grottes furent explorées dans les environs plus ou moins proches de Qumrân. Dans onze d'entre elles, on retrouva des manuscrits en nombre et en qualité variables : certains avaient été déposés dans des jarres. De ces cachettes on retira quelques rouleaux bien conservés, mais surtout des milliers de fragments aux dimensions elles-mêmes diverses : elles vont de celles de plusieurs colonnes à celles de vraies miettes. Le déchiffrement et le regroupement de la multitude des pièces furent étonnamment rapides. Commencé en 1953, pour l'essentiel le travail était achevé en 1960. Il en ira tout autrement pour la publication : après un bon début, puis des essoufflements et des crises, il fallut attendre la fin du siècle pour disposer de la totalité des textes. L'ensemble des pièces découvertes représente quelque huit cent cinquante écrits ou livres différents. La datation, celle de la copie et non de la rédaction première, oscille entre le IIIe siècle av. J.-C. et le milieu du Ier siècle chrétien. On classe les onze grottes dans l'ordre chronologique de leur découverte, ce qui donne : 1Q (umrân), 2Q, 3Q, jusqu'à 11Q. Mais on se doit de distinguer aussi deux catégories de grottes : celles qui sont proches et peu ou prou dépendantes de l'établissement de Qumrân, artificielles ; et celles qui sont éloignées du site, naturelles.

Le premier de ces deux groupes comprend principalement la grotte n° 4. C'est de très loin la réserve la plus riche, située à quelques dizaines de mètres des bâtiments. Il s'agit d'une caverne artificielle composée de deux salles : on y accédait par un escalier lui-même taillé dans la terrasse marneuse. On considère son contenu comme « la » bibliothèque de la communauté locale. Les documents écrits qu'on y a trouvés représentent plus des cinq huitièmes de l'ensemble des rouleaux. On en a retiré plus de quinze mille fragments provenant de cinq cent cinquante livres différents. Cette double pièce avait des annexes, les grottes n° 5, n° 7, n° 8, n° 9 et n° 10, et plus à l'ouest, n° 6, toutes creusées de main d'homme. Cet ensemble somme toute groupé semble constituer la vraie bibliothèque des hommes qui vivaient régulièrement dans ces lieux. La grotte n° 7 ne comprenait que des textes en langue grecque, ce qui était peut-être son exclusivité. Le second groupe consiste en des excavations naturelles situées à distance du site de Qumrân : un à deux kilomètres vers le nord, les grottes n° 1 et n° 2 ; deux autres à un millier de mètres plus au nord encore, les grottes n° 3 et n° 11. L'inventaire des écrits découverts dans ces quatre grottes, à la fois naturelles et éloignées, suggère la délocalisation stratégique d'une sélection significative de livres. La crainte des pillages ou des déprédations imminentes de la part des troupes romaines put être la cause de la dissimulation. On voulut mettre en lieu sûr l'essentiel des biens littéraires de la commune. Quoi qu'il en fût, l'examen de certains textes retrouvés, des poteries collectées tant dans les ruines que dans les diverses réserves de manuscrits, invite à considérer l'ensemble du contenu des onze grottes comme relevant d'un seul et même centre.

Le patrimoine littéraire national

Une certaine dose de « bibliomanie », que l'on retrouvera chez les Gnostiques du IIe siècle, caractérisait le groupe des ascètes locaux. Pour leurs exercices quotidiens de sanctification, ces derniers avaient de gros besoins en livres, à commencer par la Loi de Moïse qu'ils s'imposaient de lire et d'expliquer sans interruption. Ces livres, on les recopiait autant de fois que nécessaire. La Règle de la commune, par exemple, existait en une dizaine d'exemplaires. Nombre d'écrits récupérés ont une facture, une expression et un ton totalement inconnus jusqu'alors. C'est le cas de commentaires de livres prophétiques et de psaumes bibliques, de textes utopiques dits d'apocalypse ou d'autres de sagesse, de recueils de prières et de rituels, de pièces mystiques, de formules d'exorcisme, d'horoscopes… Il faut ajouter un lot particulièrement fourni d'ouvrages que l'on considère à tort ou à raison comme des « paraphrases » ou « réécritures » de livres bibliques, ceux de la Loi comme ceux des Prophètes. On se demande volontiers si ce que l'on désigne comme « pseudo » ou « apocryphe », « second » ou « dérivé », n'avait pas alors la valeur de l'original même, du moins d'égal de celui-ci. Le débat est ouvert. Or, parmi les nombreux rouleaux recueillis dans l'ensemble des grottes, deux cents au moins ont été identifiés comme des livres bibliques. La plupart se trouvent documentés par plusieurs et même, pour certains, par de nombreux exemplaires : entre autres, quinze pour la Genèse, trente pour le Deutéronome, trente-sept pour les Psaumes. En général, à chacun d'eux correspond un rouleau unique, le gabarit physique du livre. Les exceptions sont rares, mais pleines d'enseignements sur le regroupement et l'organisation des pièces, autrement dit la formation matérielle du corpus biblique. Chaque exemplaire d'un même livre présente parfois, voire souvent, des variantes telles, quant au texte et quant au sens, qu'on peut identifier plusieurs éditions, certaines simultanées. L'histoire de l'origine et de la transmission du texte biblique, et partant la méthodologie et la philosophie de la critique textuelle, doit être sérieusement revue en conséquence.

On manque totalement d'informations sur l'histoire et les modalités de la production, de la collecte et du regroupement des livres si merveilleusement entreposés dans les onze grottes de Qumrân. Il faut se contenter d'hypothèses et les savants divergent. Une seule chose est sûre : les quelque huit cent cinquante rouleaux récupérés ne sont pas « la » bibliothèque « sectaire » des résidents locaux, comme on l'a dit longtemps. Une bonne partie des manuscrits vient d'ailleurs. L'ensemble représente l'échantillonnage significatif, très large pour l'époque, de la production littéraire en Iouda au cours des trois derniers siècles qui précèdent l'ère chrétienne. Pour les contemporains de Jésus, cela correspondait pratiquement au patrimoine littéraire national. Il est difficile de ne pas admettre que la totalité des pièces entreposées dans les onze grottes constituât, au moins de fait, la banque de connaissances du fameux établissement des bords de la mer Morte. Aujourd'hui, les bons connaisseurs s'accordent aussi sur le fait que le lot des manuscrits considérés comme bibliques était le bien culturel de la société judaïque dans son ensemble, toutes tendances confondues. Certains traits ou particularités alertent néanmoins sur de possibles retouches par les lettrés de la commune. En revanche, l'interprétation des textes sacrés et partant leur usage variaient très sensiblement, pour le fond du moins, selon les idéaux, les groupes et les mouvements. Tous les courants de la société judaïque avaient pour ambition de restaurer, certains même de représenter l'authentique ou vrai « Israël ». Dans une certaine mesure, le groupe des hommes de Qumrân fut de ces derniers. Son traitement des écrits sacrés, au demeurant communs à tous, ainsi que leurs œuvres propres, porte jusqu'à l'excès l'empreinte d'un tel dessein.

Iouda et Israël, indépendance et dissidences

Venons-en aux occupants du site de Qumrân. Qui étaient-ils et d'où venaient-ils ? Que venaient-ils faire en ces lieux ? Pour répondre, il faut remonter jusqu'aux Hasmonéens, les premiers chefs véritables d'une Iouda indépendante. Ces nouveaux maîtres du pays, juifs enfin, cumulèrent le pouvoir politique et la juridiction religieuse, la royauté – formellement, à partir de 104 av. J.-C. – et la charge de grand prêtre. Ce fut reçu par beaucoup comme une usurpation. Il y avait une ou plusieurs lignées légitimes de grands prêtres, dépossédées alors de leurs prérogatives. Les réactions de suspicion et même d'opposition se multiplièrent dans la société juive, où le nombre des déçus de l'indépendance ne cessait de croître. Des clivages anciens se ravivèrent et même se durcirent. Des mouvements d'opinions s'affirmèrent et des groupes s'organisèrent. L'adjectif hébreu hassidîm, « pieux », servit un temps de dénomination générique à ces résistants de Dieu. L'homme national qui s'était forgé une conscience unifiée de « fils d'Israël » se trouvait relayé par un type de Ioudaïos dont le visage social était désormais fissuré. L'organisation de la société juive et l'évolution de sa culture en furent profondément marquées. L'idéal fondateur d'Israël se trouvait comme confisqué ; il était réinvesti dans un système politique semblable à ceux des voisins orientaux, usant volontiers comme ceux-ci de mercenaires sur terre et de pirates sur mer. Il y avait dérive et perversion. D'où le doute profond et généralisé qui touchait la relation au Temple dans son rôle essentiel de sanctification. On supportait mal que le sanctuaire central d'Israël fût lui-même entre les mains de ces princes soldats. D'où les ripostes. Il fallait retrouver et reconstituer le vrai Israël, celui de l'« assemblée de l'Exil ». Le mouvement que l'on connaît fort bien aujourd'hui grâce aux découvertes de Qumrân apporte ici un éclairage majeur. Il s'agit du courant très particulier que de grands auteurs du Ier siècle, Pline l'Ancien, Philon d'Alexandrie et Flavius Josèphe désignent globalement et trop aisément comme celui des Esséniens. Depuis le milieu du IIe siècle av. J.-C., plus tôt même, des fraternités décidées à s'isoler s'étaient fixées en divers lieux de Palestine, y compris à Jérusalem. Les fameux textes retrouvés dans les onze grottes nous ont appris qu'elles formaient ensemble la « communauté de la nouvelle Alliance ». Ces groupes s'étaient dotés de traits distinctifs suffisamment aigus, renforcés progressivement pas un lot de plus en plus concerté de croyances et de pratiques.

La communauté de la nouvelle Alliance

Il importait de reconstituer les conditions de « sainteté » du vrai Israël. On se mit donc à s'isoler et à vivre à part, comme des « exilés », en des lieux préservés que l'on appelait « désert » ; les résidences étaient désignées comme des « camps ». Un jour, la séparation se trouva déclarée avec le Temple, son exercice, ses maîtres et son réseau. L'éloignement physique était un fait acquis, perçu comme irréversible : on l'homologua a posteriori, on le déclara et on le justifia. Enfin, ces gens de la « nouvelle Alliance » imputèrent à leur communauté et à leur existence l'empreinte indélébile d'une marque sacerdotale exclusive. Ils se disaient tous « fils de Sadoc ». Ils empruntaient ce nom, Sadoc, à la lignée des grands prêtres que le prophète Ézéchiel présente comme la seule légitime. Ce signe d'identification était de soi un acte de dissidence. Car un autre et nouveau Temple se dessinait avec eux et en eux, sans murs ni sacrifices. Or, entre 130 et 120 av. J.-C., la communauté de la nouvelle Alliance désigna le désert de Juda comme sa terre d'élection. Le désert n'était plus alors un symbole. Le poids et la force de l'idéal du désert furent pour beaucoup dans le choix topographique de ce retrait, qui ne pouvait concerner qu'un nombre limité d'élus. Dans les abords occidentaux de la mer Morte, vers le nord et à plus d'un kilomètre des rives, on repéra les vestiges d'installations vieilles de plusieurs siècles, le site même que l'on dénomme aujourd'hui Khirbet Qumrân. C'était l'endroit rêvé pour que l'expérience dite de la nouvelle Alliance atteigne enfin sa perfection, et qu'elle le signifie de façon permanente. Il ne s'agissait plus désormais d'une simple unité parmi les autres, mais de l'entité collective aux qualités idéales : elle se proposait de représenter à un tel degré de perfection la communauté de la nouvelle Alliance qu'elle se désignait comme « la » communauté. Un mot hébreu fut adopté une fois pour toutes pour signifier la réalité collective et l'expérience propre qui suppléaient ainsi le Temple : yahad, « commune ». Le site de Qumrân fut agrandi et équipé en vue de l'existence collective d'une bonne centaine d'hommes, hommes seulement.

Du séparatisme à la secte

L'idéal traditionnel de « sainteté » qui animait dès l'origine les groupes de la nouvelle Alliance se trouva alors radicalisé. Il prit la forme d'un séparatisme qui ne cessa de resserrer ses rangs, s'exprimant dans des doctrines de plus en plus verrouillées et dans une discipline d'une extrême rigueur. Différentes Règles contenaient un ensemble contraignant de prescriptions rituelles et de préceptes moraux, de malédictions et d'excommunications. On arriva un jour à un vrai système bâti sur un déterminisme sans faille, un dualisme aux principes cosmiques et aux références astrales supposé mener le monde. La prédestination de chaque individu était systématique : on naissait obligatoirement du parti de la lumière ou du parti des ténèbres et l'on y restait. C'est en fonction d'une telle naissance que l'on était admis ou non dans la commune, après deux ans de dure probation : les horoscopes astraux présidaient au choix. Dès lors, au terme de cette évolution, les gens de Qumrân ne représentaient plus guère le « vrai Israël » comme aux débuts de l'expérience, car à leurs yeux Israël était tout entier du côté de Bélial, le prince de l'adversité ou du parti des ténèbres. Ils constituaient une secte. Flavius Josèphe dira qu'une forte inspiration pythagoricienne marquait la doctrine des Esséniens. Les documents de Qumrân semblent vérifier ses dires, même s'il regroupe sous le nom d'Esséniens, mot inconnu de tous les textes découverts, des variantes simultanées ou successives d'un mouvement réellement plus complexe.


Sources Clio)
 

Posté par Adriana Evangelizt

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