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1 août 2007 3 01 /08 /août /2007 00:03

 Salomon dans les moeurs donnait l'exemple... il aurait eu 700 femmes et 300 concubines...

 

 

Histoire de la prostitution chez tous les Peuples du monde

depuis l'Antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours

par P. L JACOB

Chapitre III

2ème partie

1ère partie

Un ancien commentateur juif des livres de Moïse ajoute beaucoup de traits de moeurs, que lui fournit la tradition, au chapitre xv des Nombres, dans lequel sont mentionnés les débordements des Israélites avec les filles de Moab. Ces filles avaient dressé des tentes et ouvert des boutiques (officinae) depuis Bet- Aiscimot jusqu'à Ar-Ascaleg : là, elles vendaient toutes sortes de bijoux ; et les Hébreux mangeaient et buvaient au milieu de ce camp de Prostitution.

Quand l'un d'eux sortait pour prendre l'air et se promenait le long des tentes, une fille l'appelait de l'intérieur de la tente où elle était couchée : « Viens, et achète-moi quelque chose? » Et il achetait; le lendemain il achetait encore, et le troisième jour elle lui disait : « Entre, et choisis-moi ; tu es le maître ici. » Alors, il entrait dans la tente; et là, il trouvait une coupe pleine de vin ammonite qui l'attendait : « Qu'il te plaise de boire ce vin ! » lui disait-elle. Et il buvait, et ce vin enflammait ses sens, et il disait à la belle fille de Moab : « Baise-moi! » Elle, tirant de son sein l'image de Phegor (sans doute un phallus) : « Mon seigneur, lui disait-elle, si tu veux que je te donne un baiser, adore mon dieu ? — Quoi ! s'écriait-il, puis-je accepter l'idolâtrie?—Que t'importe! reprenait l'enchanteresse; il suffit de te découvrir devant cette image. » L'Israélite se gardait bien.de refuser un pareil marché ; il se découvrait, et la Moabite achevait de l'initier au culte de Baal- Phegor. C'était donc reconnaître Baal et l'adorer, que de se découvrir devant lui. Aussi, les Juifs, de peur de paraître la tête nue en sa présence, conservaient leur bonnet jusque dans le temple et devant le tabernacle du Seigneur. Ces filles de Moab n'étaient peut-être pas trop innocentes de la plaie qui frappa Israël, à la suite des idolâtries qu'elles avaient sollicitées; car, après l'expédition triomphante que Moïse avait envoyée contre les Madianites, tous les hommes ayant été passés au fil de l'épée, il ordonna de tuer aussi une partie des femmes qui restaient prisonnières : « Ce sont elles, dit-il aux capitaines de l'armée, ce sont elles qui, à la suggestion de Balaam, ont séduit les fils d'Israël et vous ont fait pécher contre le Seigneur en vous montrant l'image de Phegor. » Il fit donc tuer impitoyablement toutes les femmes qui avaient perdu leur virginité (mulieres quae noverunt viros in coitu).

Moïse, dans vingt endroits de ses livres, paraît se préoccuper beaucoup de la virginité des filles : c'était là une dot obligée que la femme juive apportait à son mari, et l'on doit croire que les Hébreux, si peu avancés qu'ils fussent dans les sciences naturelles, avaient des moyens certains de constater la virginité, lorsqu'elle existait, et de prouver ensuite qu'elle avait existé. Ainsi (
Deuteron., ch. XXII), lorsqu'un mari, après avoir épousé sa femme, l'accusait de n'être point entrée vierge dans le lit conjugal, le père et la mère de l'accusée se présentaient devant les anciens qui siégeaient à la porte de la ville, et produisaient à leurs yeux les marques de la virginité de leur fille, en déployant la chemise qu'elle avait la nuit de ses noces. Dans ce cas, on imposait silence au mari et il n'avait plus rien à objecter contre une virginité si bien établie. Mais, dans le cas contraire, quand la pauvre femme n'en pouvait produire autant, elle courait risque d'être convaincue d'avoir manqué à ses devoirs et d'être alors condamnée comme ayant forniqué dans la maison de son père : on la conduisait devant cette maison et on l'assommait à coups de pierres. Moïse, ainsi que tous les législateurs, avait prononcé la peine de mort contre les adultères; quant au viol, celui d'une fille fiancée était seul puni de mort, et la fille périssait avec l'homme qni l'avait outragée, à moins que le crime eût été commis en plein champ ; autrement, cette infortunée était censée n'avoir pas crié ou avoir peu crié. Si la fille n'avait pas encore reçu l'anneau de fiancée, son insulteur devenait son mari pour l'avoir humiliée (quia humiliavit illam), à la charge seulement de payer au père de sa victime cinquante sicles d'argent, ce qui s'appelait l'achat d'une vierge.

Moïse, plus indulgent pour les hommes que pour les femmes, prescrivait à celles-ci une chasteté si rigoureuse, que la femme mariée qui voyait son mari aux prises avec un autre homme ne pouvait lui venir en aide, sous peine de s'exposer à perdre la main; car on coupait la main à la femme qui, par mégarde ou autrement, touchait les parties honteuses d'un homme; or, dans leurs rixes, les Juifs avaient l'habitude de recourir trop souvent à ce mode d'attaque redoutable, qui n'allait à rien moins qu'à mutiler la race juive. Ce fut donc pour empêcher ces combats dangereux, que Moïse ferma l'entrée du temple aux eunuques, de quelque façon qu'ils le fussent devenus (attrilis vel ampulatis testiculis et abscisso veretro. Deutéron.,
XXIII). Mais toutes ces rigueurs de la loi ne s'appliquaient qu'aux femmes juives ; les étrangères, quoi qu'elles fissent dans Israël ou avec Israël, n'étaient nullement inquiétées, et Moïse lui-même savait bien tout le prix de ces étrangères, puisque, âgé de plus de cent ans, il en prit une pour femme ou plutôt pour concubine.

C'était une Éthiopienne, qui n'adorait pas le Dieu des Juifs, mais qui n'en plaisait pas moins à Moïse. La soeur de ce favori de l'Éternel, Marie, eut à se repentir d'avoir mal parlé de l'Éthiopienne, car Moïse s'attrista et le Seigneur s'irrita : Marie devint lépreuse, blanche comme neige, en châtiment de ses malins propos contre la noire maîtresse de Moïse. Celui-ci, qui ne prêchait pas toujours d'exemple, eût été malvenu à exiger des Israélites une continence qui lui semblait difficile à garder. Il leur recommandait seulement la modération dans les plaisirs des sens, la chasteté dans les actes extérieurs. Ainsi, suivant sa loi, l'amour était une sorte de mystère, qui ne devait s'accomplir qu'avec certaines conditions de temps, de lieu et de décence. Il y avait, en outre, beaucoup de précautions à prendre dans l'intérêt de la salubrité publique : les femmes juives étaient sujettes à des indispositions héréditaires que l'abus des rapports sexuels pouvait aggraver et multiplier; les familles, en se concentrant pour ainsi dire sur elles-mêmes, avaient appauvri et vicié leur sang.

L'intempérance étant le vice dominant des Israélites, leur législateur, qui eût été impuissant à les rendre absolument chastes et vertueux, leur prescrivit de se modérer dans leurs désirs et dans leurs jouissances : «Que les fils d'Israël , dit le Seigneur à Moïse, portent des bandelettes de pourpre aux bords de leurs manteaux, afin que la vue de ces bandelettes leur rappelle les commandements du Seigneur et détourne de la fornication leurs yeux et leurs pensées. » (Nombr., xv.)

Les étrangères ou femmes de plaisir n'étaient pas si décriées dans Israël, que leurs fils ne pussent prendre rang et autorité parmi le peuple de Dieu : ainsi, le brave Jephté était né, à Galaad, d'une prostituée, et il n'en fut pas moins un des chefs de guerre les plus estimés des Israélites. Un commentateur des livres saints a pensé que Jephté, pour expier la prostitution de sa mère, consacra au Seigneur la virginité de sa fille unique. On a peine à croire, en effet, que Jephté ait réellement immolé sa fille, et il faut sans doute ne voir dans cet holocauste humain qu'un emblème assez intelligible : la fille de Jephté pleure, pendant deux mois, sa virginité avec ses compagnes, avant de prendre l'habit de veuve et de se vouer au service du Seigneur.

Quant au lévite d Éphraïm, il avait pris dans le pays de Bethléem une concubine qui paillarda chez lui, dit la traduction protestante de la Bible, et qui le quitta pour retourner chez son père. Ce fut là que le lévite alla, pour leur malheur, la rechercher : à son retour, il accepta l'hospitalité que lui offrait un bon vieillard de la ville de Guibha, et entra dans la maison de ce vieillard, pour y passer la nuit, avec ses deux ânes, sa concubine et son serviteur. Les voyageurs lavèrent leurs pieds, mangèrent et burent; mais, comme ils allaient s'endormir, les habitants de Guibha , qui étaient enfants de Jemini et appartenaient à la tribu de Benjamin, environnèrent la maison et, heurtant à la porte, crièrent à l'hôte : « Amène-nous l'homme qui est entré chez toi, pour que nous abusions de lui (ut abutamur co). » Le vieillard sortit à la rencontre de ces fils de Bélial et leur dit : « Frères, ne commettez pas cette vilaine action ; cet homme est mon hôte et je dois le protéger. J'ai une fille vierge et cet homme a une concubine : je vais vous livrer ces deux femmes et vous assouvirez sur elles votre brutalité; mais , je vous en supplie, ne vous souillez pas d'un crime contre nature, en abusant de cet homme. » Ces furieux ne voulaient rien entendre; enfin, le lévite d'Ephraïm mit dehors sa concubine et l'abandonna aux Benjamites, qui abusèrent d'elle toute la nuit. Le lendemain matin, ils la renvoyèrent, et cette malheureuse, épuisée par cette horrible débauche, put à peine se traîner jusqu'à la  maison où dormait son amant : elle tomba morte, les mains étendues sur le seuil. C'est en ce triste état que le lévite la trouva en se levant. Quoiqu'il l'eût en quelque sorte sacrifiée lui-même, il ne fut que plus ardent à la venger. Israël prit fait et cause pour cette concubine et s'arma contre les Benjamites, qui furent presque exterminés. Ce qui resta de la tribu coupable n'aurait pas eu de postérité, si les autres tribus, qui avaient juré de ne pas donner leurs filles à ces fils de Bélial, ne s'étaient avisées de faire prisonnières les filles de Jabès en Galaad et d'enlever les filles de Silo en Chanaan, pour repeupler le pays, que cette affreuse guerre avait changé en solitude.

Les Benjamites épousèrent donc des étrangères et des idolâtres. Ces étrangères ne tardèrent pas sans doute à rétablir le culte de Moloch et de Baal-Phegor dans Israël, comme le firent plus tard les concubines du roi Salomon. Sous ce roi, qui régnait mille ans avant Jésus-Christ, et qui éleva le peuple juif au plus haut degré de prospérité, la licence des moeurs fut poussée aux dernières limites. Le roi David, sur ses vieux jours, s'était contenté de prendre une jeune fille vierge qui avait soin de lui et qui le réchauffait la nuit dans sa couche. Le Seigneur, malgré cette innocente velléité d'un vieillard glacé par l'âge, ne s'était pourtant pas retiré de lui et le visitait encore souvent. Mais Salomon, après un règne glorieux et magnifique,
se laissa emporter par la fougue de ses passions charnelles : il aima, outre la fille d'un Pharaon d'Egypte, qu'il avait épousée, des femmes étrangères, des Moabites, des Ammonites, des Iduméennes, des Sidoniennes et d'autres que le dieu d'Israël lui avait ordonné de fuir comme de dangereuses sirènes. Mais Salomon se livrait avec frénésie à ses débordements. (His itaque copulatus est ardentissimo amore). Il eut
sept cents femmes et trois cents concubines, qui détournèrent son coeur du vrai Dieu. Il adora donc Astarté, déesse des Sidoniens ; Camos, dieu des Moabites, et Moloch, dieu des Ammonites ; il érigea des temples et des statues à ces faux dieux, sur la montagne située vis-à-vis de Jérusalem ; il les encensa et leur offrit d'impurs sacrifices. Ces sacrifices , offerts à Vénus, à Adonis et à Priape sous les noms de Moloch, de Camos et d'Astarté, avaient pour prêtresses les femmes et les concubines de Salomon.

Il y eut, en effet, pendant le règne de ce roi voluptueux et sage, un si grand nombre d'étrangères qui vivaient de Prostitution au milieu d'Israël, que ce sont deux prostituées qui figurent comme héroïnes dans le célèbre jugement de Salomon. La Bible fait comparaître ces deux femmes de mauvaise vie (meretrices) devant le trône du roi, qui décide entre elles et tranche leur différend sans leur témoigner aucun mépris.

A cette époque, la Prostitution avait donc une existence légale, autorisée, protégée, chez le peuple juif. Les femmes étrangères, qui en avaient pour ainsi dire le monopole, s'étaient même glissées dans l'intérieur des villes, et elles y exerçaient leur honteuse industrie publiquement, effrontément, sans craindre aucune punition corporelle ou pécuniaire.

Deux chapitres du Livre des Proverbes de Salomon, le VIe et le VIIe, sont presque un tableau de la Prostitution et de son caractère en ce temps-là. On pourrait induire de certains passages du chapitre v, que ces étrangères n'étaient pas exemptes de terribles maladies, nées de la débauche, et qu'elles les communiquaient souvent aux libertins, qui en étaient consumés (quando consumpseris carnes tuas) : « Le miel distille des lèvres d'une courtisane, dit Salomon ; sa bouche est plus douce que l'huile ; mais
elle laisse des traces plus amères que l'absinthe et plus aiguës que le glaive à deux tranchants... Détourne-toi de sa voix et ne t'approche pas du seuil de sa maison, de peur de livrer ton honneur à un ennemi et le reste de ta vie à un mal cruel, de peur d'épuiser tes forces au profit d'une paillarde et d'enrichir sa maison à tes dépens. » Dans le chapitre VII, on voit une scène de Prostitution,qui diffère peu dans ses détails de celles qui se reproduisent de nos jours sous l'œil vigilant de la police ; c'est une scène que Salomon avait vue certainement d'une fenêtre de son palais, et qu'il a peinte d'après nature avec les pinceaux d'un poète et d'un philosophe : « D'une fenêtre de ma maison, dit-il, à travers les grillages, j'ai vu et je vois les hommes, qui me paraissent bien petits. Je considère un jeune insensé qui traverse le carrefour et qui s'avance vers la maison du coin, lorsque le jour va déclinant, dans le crépuscule de la nuit et dans le brouillard. Et voici qu'une femme accourt vers lui, parée comme le sont les courtisanes, toujours prête à surprendre les âmes, gazouillante et vagabonde, impatiente de repos tellement que ses pieds ne tiennent jamais à la maison; tantôt à sa porte, tantôt dans les places, tantôt aux angles des rues, dressant ses embûches. Elle saisit le jeune homme, elle le baise, elle lui sourit avec un air agaçant : « J'ai promis des offrandes aux dieux à cause de toi, lui dit-elle; aujourd'hui mes vœux devaient être comblés. C'est pourquoi je suis sortie à ta rencontre, désirant te voir, et je t'ai trouvé. J'ai tissu mon lit avec des cordes, je l'ai couvert de tapis peints venus d'Egypte, je l'ai parfumé de myrrhe, d'aloès et de cinnamome. Viens, enivrons-nous de volupté, jouissons de nos ardents baisers jusqu'à ce que le jour reparaisse. Car mon maître (vir) n'est pas dans sa maison ; il est allé bien loin en voyage ; il a emporté un sac d'argent; il ne reviendra pas avant la pleine lune. » Elle a entortillé ce jeune homme avec de pareils discours, et, par la séduction de ses lèvres, elle a fini par l'entraîner. Alors il la suit comme le boeuf conduit à l'autel du sacrifice; comme l'agneau qui se joue, ne sachant pas qu'on doit le garrotter, et qui l'apprend lorsqu'un fer mortel lui traverse le cœur ; comme l'oiseau qui se jette dans le filet, sans savoir qu'il y va de sa vie. Maintenant donc, mes enfants, écoutez-moi et ayez égard aux paroles de ma bouche : Que votre esprit ne se laisse pas attirer dans la voie de cette impure, et qu'elle ne vous égare point sur ses traces ; car elle a mis à bas beaucoup d'hommes gravement blessés , et les plus forts ont été tués par elle. » Salomon, au milieu des orgies de ses concubines, célébrant les mystères de Moloch et de Baal, le grand roi Salomon avait probablement oublié ses Proverbes. Salomon néanmoins se repentit et mourut dans la paix du Seigneur.

Le fléau de la Prostitution resta toujours attaché, comme la lèpre, à la nation juive; non-seulement la Prostitution légale, que tolérait la loi de Moïse dans l'intérêt de la pureté des moeurs domestiques, mais encore la Prostitution sacrée qu'entretenait au milieu d'Israël la présence de tant de femmes étrangères élevées dans la religion de Moloch, de Camos et de Baal-Phegor. Les prophètes, que Dieu suscitait sans cesse pour gourmander et corriger son peuple, le trouvaient occupé à sacrifier aux dieux de Moab et d'Ammon sur le sommet des montagnes et dans l'ombre des bois sacrés : l'air retentissait de chants licencieux et se remplissait de parfums que les prostituées brûlaient devant elles. Il y avait des tentes de débauche aux carrefours de tous les chemins et jusqu'aux portes des temples du Seigneur. Il fallait bien que le scandaleux spectacle de la Prostitution affligeât constamment les yeux du prophète, pour que ses prophéties en reflétassent à chaque instant les images impudiques.

Isaïe dit à la ville de Tyr, qui s'est prostituée avec toutes les nations de la terre : « Prends une cithare, ô courtisane condamnée à l'oubli, danse autour de la ville, chante, fais résonner ton instrument, afin qu'on se ressouvienne de toi ! » On voit, par ce passage, que les étrangères faisaient de la musique pour annoncer leur marchandise. Jérémie dit à Jérusalem, qui, comme une cavale sauvage, aspire de toutes parts les émanations de l'amour physique : « Courtisane, tu as erré sur toutes les collines, tu t'es prostituée sous tous les arbres ! »

Jérémie nous représente sous les couleurs les plus hideuses ces impurs enfants d'Israël qui se souillaient de luxure dans la maison d'une paillarde, et qui devenaient des courtiers de Prostitution. (Maechati sunt et in domo meretricis luxuriabanlur; equi amatores et emissarii facti sunt.) Les Juifs, lorsqu'ils furent menés en captivité à Babylone, n'eurent donc pas à s'étonner de ce qu'ils y virent en fait de désordres et d'excès obscènes dans le culte de Mylitta qu'ils connaissaient déjà sous le nom de Moloch. Jérémie leur montre avec une sainte indignation les prêtres qui trafiquent de la Prostitution, les dieux qui y président, l'or du sacrifice payant les travaux de la courtisane, et la courtisane rendant aux autels le centuple de la solde qu'elle en a reçue. (Dant autem et ex ipso prostitutis, et meretrices ornant, et iterum, cum receperint illud  a meretricibus, ornant deos suos.)

Mais Israël peut maintenant, sur le champ de la Prostitution, en apprendre à tous les peuples qui l'ont instruit et qu'il a surpassés. Le prophète Ezéchiel nous fait une peinture épouvantable de la corruption juive. Ce ne sont, dans ses effrayantes prophéties, que mauvais lieux ouverts à tout venant, que tentes de paillardise plantées sur tous les chemins, que maisons de scandale et d'impudicité ; on n'aperçoit que courtisanes vêtues de soie et de broderie, étincelantes de joyaux, chargées de parfums; on ne contemple que des scènes infâmes de fornication. La grande prostituée, Jérusalem, qui se donna aux enfants d'Egypte à cause des promesses de leur belle taille, fait des présents aux amants dont elle est satisfaite , au lieu de leur demander un salaire : « Je te mettrai dans les mains de ceux à qui tu t'es abandonnée, lui dit le Seigneur, et ils détruiront ton lupanar, et ils démoliront ton repaire ; et ils te dépouilleront de tes vêtements, et ils emporteront tes vases d'or et d'argent, et ils te laisseront nue et pleine d'ignominie. » Il fallait que Jérusalem eût porté au comble ses prévarications, pour que le prophète la menaçât du sort de Sodôme. La Prostitution qui faisait le plus souffrir les hommes de Dieu, ce devait être celle qui persistait à s'abriter sous les voûtes du temple de Salomon. Ce temple, du temps des Machabées, un siècle et demi avant Jésus-Christ, était encore le théâtre du commerce des prostituées qui venaient y chercher des chalands. (Templum luxuria ci comessationibus gcntium erat plénum et scortanlium cum meretricibus.) On doit croire que cet état de choses ne changea pas jusqu'à ce que Jésus eut chassé les vendeurs du temple, et bien que les évangélistes ne s'expliquent pas sur la nature du commerce dont Jésus purgea la maison du Seigneur, le livre des Machabées, écrit cent ans auparavant, nous indique assez ce qu'il pouvait être. D'ailleurs, il est parlé de marchands de tourterelles dans l'Évangile de saint Marc, et l'on doit présumer que ces oiseaux, chers à Vénus et à Moloch, n'étaient là que pour fournir des offrandes aux amants. La loi des Jalousies, si poétiquement imaginée par Moïse, ne prescrivait pas aux époux ce sacrifice d'une tourterelle ; mais seulement celui d'un gâteau de farine d'orge.


Jésus, qui fut impitoyable pour les hôtes parasites du sanctuaire et qui brisa leur comptoir d'iniquité, se montra pourtant plein d'indulgence à l'égard des femmes, comme s'il avait pitié de leurs faiblesses. Quand la Samaritaine le trouva assis au bord d'un puits, cette étrangère qui avait eu cinq maris et qui vivait en concubinage avec un homme, Jésus ne lui adressa aucun reproche et s'entretint doucement avec elle, en buvant de l'eau qu'elle avait tirée du puits. Les disciples de Jésus s'étonnèrent de le voir en compagnie d'une telle femme et dirent dédaigneusement : « Pourquoi parler à cette créature? » Les disciples étaient plus intolérants que leur divin maître, car ils auraient volontiers lapidé, selon la loi de Moïse, une autre femme adultère, que Jésus sauva en disant : « Que celui qui n'a pas péché lui jette la première pierre! » Enfin, le Fils de l'homme ne craignit pas d'absoudre publiquement une prostituée, parce qu'elle avait honte de son coupable métier. Tandis qu'il était à table dans la maison du pharisien, à Capharnaum, une femme de mauvaise vie (peccatrix), qui demeurait dans cette ville, apporta un vase d'albâtre contenant une huile parfumée; elle arrosa de ses larmes les pieds du Sauveur, les oignit d'huile et les essuya avec ses cheveux. Ce que voyant le pharisien, il disait en lui-même : « S'il était prophète, il saurait bien quelle est cette femme qui le touche, car c'est une pécheresse. » Jésus , se tournant vers cette femme, lui dit avec une bonté angélique : «Tes péchés, si grands et si nombreux qu'ils soient, te sont remis, parce que tu as beaucoup aimé. » Ces paroles de Jésus ont été commentées et tourmentées de bien des manières ; mais, à coup sûr, le fils de Dieu , qui les a prononcées, n'entendait pas encourager la pécheresse à continuer son genre de vie. Il chassa sept démons qui possédaient cette femme, nommée Marie-Madeleine, et qui n'étaient peut-être que sept libertins avec qui elle avait des habitudes. Madeleine devint dès lors une sainte femme, une digne repentie; elle s'attacha aux pas du divin Rédempteur, qui l'avait délivrée; elle le suivit en larmes jusqu'au Calvaire ; elle s'assit, toujours gémissante, devant le sépulcre. Ce fut à elle que le Christ apparût d'abord, comme pour lui donner un témoignage éclatant de pardon. Cette pécheresse fut mise au rang des saintes, et si, pendant tout le Moyen-Âge, elle ne se sentit pas fort honorée d'être la patronne des  pécheresses qui n'imitaient pas sa conversion, elle les consolait du moins par son exemple, et, même au fond de leurs retraites maudites, elle leur montrait encore le chemin du ciel. (Remittuntur ei peccata multa, quoniam dilexit multum.)

Posté par Adriana Evangelizt

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31 juillet 2007 2 31 /07 /juillet /2007 23:45

Et les moeurs des ancêtres comment étaient-ils ? Very hot. Très trivialement, nous dirons... ça "forniquait" dur ! Il est vrai que l'on en a quelques exemples dans la Torah. C'est pour cette raison que Moïse avait imposé des lois très strictes comme vous pourrez le lire. Les moeurs sexuelles étaient tellement dissolues que les ancêtres en avaient le sang vicié. C'est peut-être une des raisons qui fait qu'en Egypte on les avait relégués dans Avaris "à cause d'une maladie contractée"...

Ce chapitre étant très long, nous l'avons partagé en deux...

Histoire de la prostitution chez tous les Peuples du monde

depuis l'Antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours

par P. L JACOB

Chapitre III

1ère partie

Sommaire. Zarabri et la prostituée de Madian. — Les efféminés détruits par Moïse reparaissent sous les rois de Juda. — Asa les chasse à son tour. — Maacha, mère d'Asa, grande prêtresse de Priape. Les efféminés, revenus de nouveau, sont décimés par Josias. — Débordements des Israélites avec les filles de Moab. — Mœurs des prostituées moabites. — Expédition contre les Madianites. — Massacre des femmes prisonnières, par ordre de Moïse. — Lois de Moïse sur la virginité des filles. — Moyens des Juifs pour constater la virginité. — Peines contre l'adultère et le viol. — L'achat d'une vierge. — La concubine de Moïse. — Châtiment infligé par le Seigneur à Marie, soeur de Moïse. — Recommandation de Moïse aux Hébreux, au sujet des plaisirs de l'amour. — La fille de Jephté. — Les espions de Josué et la fille de joie Rahab. — Samson et la paillarde de Gaza. — Dalila.— Le lévite d'Éphraïm et sa concubine. — Infamie des Benjamites. — La jeune fille vierge du roi David. — Débordements du roi Salomon. — Ses sept cents femmes et ses trois cents concubines. — Tableau et caractère de la Prostitution à l'époque de Salomon , puisés dans son livre des Proverbes. — Les prophètes Isaïe, Jérémie et Ézékiel. — Le temple de Dieu à Jérusalem, théâtre du commerce des prostituées. — Jésus les chasse de la maison du Seigneur. — Mario Madeleine chez le Pharisien. — Jésus lui remet ses péchés à cause de son repentir.


Les Hébreux, qui étaient originaires de la Chaldée, y avaient pris les mœurs de la vie pastorale : il est donc certain que la Prostitution hospitalière exista dans les âges reculés, chez la race juive comme chez les pâtres et les chasseurs chaldéens. On en retrouve la trace çà et là dans les livres saints. Mais la Prostitution sacrée était fondamentalement antipathique avec la religion de Moïse, et ce grand législateur, qui avait pris à tâche d'imposer un frein à son peuple pervers et corrompu, s'efforça de réprimer au nom de Dieu les excès épouvantables de la Prostitution légale. De là cette pénalité terrible qu'il avait tracée en caractères de sang sur les tables de la loi, et qui suffisait à peine pour arrêter les monstrueux débordements des fils d'Abraham.

Le plus ancien exemple qui existe peut-être de la Prostitution hospitalière, c'est dans la Genèse qu'il faut le chercher. Du temps de Noé les fils de Dieu ou les anges étaient descendus sur la terre pour connaître les filles des hommes, et ils en avaient eu des enfants qui furent des géants. Ces anges venaient le soir demander un abri sous la tente d'un patriarche at ils y laissaient, en s'éloignant plus ou moins satisfaits de ce qu'ils avaient trouvé, des souvenirs vivants de leur passage. La Genèse ne nous dit pas à quel signe authentique on pouvait distinguer un ange d'un homme : ce n'était qu'au bout de neuf mois qu'il se révélait par la naissance d'un géant. Ces géants n'héritèrent pas des vertus de leurs pères, car la méchanceté des hommes ne fit que s'accroître; de telle sorte que le Seigneur, indigné de voir l'espèce humaine si dégénérée et si corrompue, résolut de l'anéantir, à l'exception de Noé et de sa famille. Le déluge renouvela la face du monde, mais les passions et les vices, que Dieu avait voulu faire disparaître, reparurent et se multiplièrent avec les hommes. L'hospitalité même ne fut plus chose sainte et respectée dans les villes immondes de Sodome et de Gomorrhe ; lorsque les deux anges qui avaient annoncé à Abraham que sa femme Sarah, âgée de six vingts ans, lui donnerait un fils, allèrent à Sodome et s'arrêtèrent dans la maison de Loth pour y passer la nuit, les habitants de la ville, depuis le plus jeune jusqu'au plus vieux, environnèrent la maison, et appelant Loth : « Où sont ces hommes, lui dirent-ils, qui sont venus cette nuit chez toi? Fais-les sortir, afin que nous les connaissions? — Je vous prie, mes frères, répondit Loth, ne leur faites point de mal. J'ai deux filles qui n'ont point encore connu d'homme, je vous les amènerai, et vous les traiterez comme il vous plaira, pourvu que vous ne fassiez pas de mal à ces hommes. Car ils sont venus à l'ombre de mon toit. » Loth, qui faisait ainsi à l'hospitalité le sacrifice de l'honneur de ses filles, n'eût-il pas accordé de bonne grâce à ses deux hôtes ce qu'il offrait malgré lui à une populace en délire? Quant à ses deux filles, que le spectacle de la destruction de Sodome et de Gomorrhe n'avait point assez épouvantées pour leur inspirer des sentiments de continence, elles abusèrent étrangement l'une après l'autre de l'ivresse de leur malheureux père.

C'est bien la débauche, et la plus hideuse, mais ce n'est pas encore la Prostitution légale, celle qui s'accomplit en vertu d'un marché que la loi ne condamne pas et que l'usage autorise. Cette espèce de Prostitution se montre chez les Hébreux, dès les temps des patriarches, dix-huit siècles avant Jésus-Christ, alors même que le chaste Joseph, esclave et intendant de l'eunuque Putiphar en Egypte, résistait aux provocations impudiques de la femme de son maître, et lui abandonnait son manteau plutôt que son honneur. Un des frères de Joseph , Juda, le quatrième fils de Jacob, avait marié successivement à une fille nommée Thamar deux fils qu'il avait eus avec une Chananéenne : ces deux fils, Her et Onan, étant morts sans laisser d'enfants, leur veuve se promettait d'épouser leur dernier frère, Séla; mais Juda ne se souciait pas de ce mariage, auquel les deux précédents, restés stériles, attachaient un fâcheux augure. Thamar, mécontente de son beau- père, qui s'était engagé vis-à-vis d'elle à la marier avec Séla, imagina un singulier moyen de prouver qu'elle pouvait devenir mère. Ayant su que Juda s'en allait sur les hauteurs de Tinnath pour y faire tondre ses brebis, elle ôta ses habits de veuvage, elle se couvrit d'un voile et s'en enveloppa, puis s'assit dans un carrefour sur la route que Juda devait prendre. « Qu.and Juda la vit, raconte la Genèse (ch. XXXVIII), il imagina que c'était une prostituée, car elle avait couvert son visage pour n'être pas reconnue. Et, s'avançant vers elle, il lui dit : « Permets que j'aille avec toi!   Car il ne soupçonnait pas que ce fût sa belle-fille. Elle lui répondit : «Que me donneras-tu pour jouir de mes embrassements? » Il dit : « Je t'enverrai un chevreau de mes troupeaux. » Alors, elle reprit : « Je ferai ce que tu veux, si tu me donnes des arrhes jusqu'à ce que tu m'envoies ce que tu promets? » Et Juda lui dit : « Que veux-tu que je te donne pour arrhes? » Elle répondit : « Ton anneau, ton bracelet et le bâton que tu tiens à la main. » 11 s'approcha d'elle et aussitôt elle conçut ; ensuite, se levant, elle s'en alla, et, quittant le voile quelle avait pris, elle revêtit les habits du veuvage. Cependant Juda envoya un chevreau, par l'entremise d'un de ses pâtres, qui devait lui rapporter son gage ; mais le pâtre ne trouva pas cette femme, entre les mains de qui le gage était resté, et il interrogea les passants : « Où est cette prostituée qui stationnait dans le carrefour? » Et ils répondirent : « Il n'y a point eu de prostituée dans cet endroit-là. Et il retourna vers Juda et lui dit : « Je ne l'ai point trouvée, et les gens de l'endroit m'ont déclaré que jamais prostituée n'avait stationné à cette place. » Peu de temps après, on vint annoncer à Juda que sa belle-fille était enceinte et il ordonna qu'elle fût brûlée comme adultère ; mais Thamar lui fit connaître alors le père de l'enfant qu'elle portait, en lui rendant son anneau, son bracelet et son bâton.

Voilà certainement le plus ancien exemple de Prostitution légale que puisse nous fournir l'histoire; car le fait, rapporté par Moïse avec toutes les circonstances qui le caractérisèrent, remonte au vingt-unième siècle avant Jésus-Christ. Nous voyons déjà la prostituée juive, cachée dans les plis d'un voile, assise au bord d'un chemin et s'y livrant à son infâme métier avec le premier venu qui veut la payer.

C'était là, depuis la plus haute antiquité, le rôle que jouait la Prostitution chez les Hébreux. Les livres saints sont remplis de passages qui nous montrent les carrefours des routes servant de marché et de champ de foire aux paillardes, qui tantôt se tenaient immobiles, enveloppées dans leur voile comme dans un linceul, et tantôt, vêtues d'habits immodestes et richement parées, brûlaient des parfums, chantaient des chansons voluptueuses, en s'accompagnant avec la lyre, la harpe et le tambour, ou dansaient au son de la double flûte. Ces paillardes n'étaient pas des Juives, du moins la plupart; car l'Écriture les qualifie ordinairement de femmes étrangères : c'étaient des Syriennes, des Égyptiennes, des Babyloniennes, etc., qui excellaient dans l'art d'exciter les sens. La loi de Moïse défendait expressément aux femmes juives de servir d'auxiliaires à la Prostitution qu'elle autorisait pour les hommes, puisqu'elle ne la condamnait pas. On s'explique donc comment les femmes étrangères n'avaient pas le droit de se prostituer dans l'enceinte des villes et pourquoi !les grands chemins avaient le privilège de donner asile à la débauche publique. Il n'y eut d'exception à cet usage que sous le règne de Salomon, qui permit aux courtisanes de s'établir au milieu des villes. Mais, auparavant et depuis, on ne les rencontrait pas dans les rues et les carrefours de Jérusalem ; on les voyait se mettre à l'encan, le long des routes. Là, elles dressaient leurs tentes de peaux de bêtes ou d'étoffes aux couleurs éclatantes.

Quinze siècles après l'aventure de Thamar, le prophète Ézéchiel disait, dans son langage symbolique, à Jérusalem la grande prostituée : « Tu as construit un lupanar et tu t'es fait un lieu de Prostitution dans tous les carrefours, à la tête de chaque chemin tu as arboré l'enseigne de ta paillardise, et tu as fait un abominable emploi de ta beauté, et tu t'es abandonnée à tous les passants (divisisti pedes tuos omni transeunti, dit la Vulgate), et tu as multiplié tes fornications. »

Le séjour des Hébreux en Egypte, où les moeurs étaient fort dépravées, acheva de pervertir les leurs et de les ramener à l'état de simple nature : ils vivaient dans une honteuse promiscuité, lorsque Moïse les fit sortir de servitude et leur donna un code de lois religieuses et politiques. Moïse, en conduisant les Juifs vers la terre promise, eut besoin de recourir à une pénalité terrible pour arrêter les excès de la corruption morale qui déshonorait le peuple de Dieu. Du haut du mont Sinaï il fit entendre ces paroles, que le Seigneur prononça au milieu des éclairs et des tonnerres : «
Tu ne paillarderas point! Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain! » Ensuite, il ne dédaigna pas de régler lui-même, au nom de Jehovah, les formes d'une espèce de Prostitution qui faisait essentiellement partie de l'esclavage. « Si quelqu'un a vendu sa esclave, dit-il, elle ne pourra quitter le service de son maître, à l'instar des autres servantes. Si elle déplaît aux yeux du maître à qui elle a été livrée, que le maître la renvoie : mais il n'aura pas le pouvoir de la vendre à un peuple étranger, s'il veut se débarrasser d'elle. Toutefois, s'il l'a fiancée à son fils, il doit se conduire envers elle comme envers ses propres filles. Que s'il en a pris une autre, il pourvoira à la dot et aux habits de son esclave, et il ne lui niera pas le prix de sa pudicité (pretium pudicilae non negabit). S'il ne fait pas ces trois choses, elle sortira de servage, sans rien payer? » Ce passage, que les commentateurs ont compris de différentes façons, prouve de la manière la plus évidente que chez les Juifs, du moins avant la rédaction définitive des tables de la loi, le père avait le droit de vendre sa fille à un maître, qui en faisait sa concubine pour un temps déterminé par le contrat de vente. On voit aussi, dans cette singulière législation, que la fille, vendue de la sorte au profit de son père, ne retirait aucun avantage personnel de l'abandon qu'elle était forcée de faire de son corps , excepté dans le cas où le maître, après l'avoir fiancée à son fils, voudrait la remplacer par une autre concubine. Il est donc clairement établi que les Hébreux trafiquaient entre eux de la Prostitution de leurs filles.

Moïse, ce sage législateur qui parlait aux Hébreux par la bouche de Dieu, avait affaire à des pécheurs
incorrigibles : il leur laissa, par prudence, comme un faible dédommagement de ce qu'il leur enlevait, la liberté d'avoir commerce avec des prostituées étrangères ; mais il fut inflexible à l'égard des crimes de bestialité et de sodomie. « Celui qui aura eu des rapports charnels avec une bête de somme sera puni de mort,» dit-il dans VExode (chap. XXII). «Tu n'auras pas de relation sexuelle avec un mâle, comme avec une femme, dit-il dans le Lévitique (chap. XVIII), car c'est une abomination ; tu ne cohabiteras avec aucune béte et tu ne te souilleras pas avec elle. La femme ne se prostituera pas à une bête et ne se mélangera pas avec elle, car c'est un forfait! » Moïse, en parlant de ces désordres contre nature, ne peut s'empêcher d'excuser les Juifs, qui ne les avaient pas inventés et qui s'y abandonnaient à l'exemple des autres peuples. « Les nations que je m'en vais chasser de devant vous se sont polluées de toutes ces turpitudes, s'écrie le chef d'Israël, la terre qu'elles habitent en a été souillée, et moi je vais punir sur elle son iniquité, et la terre vomira ses habitants.» Moïse, qui sait combien son peuple est obstiné dans ses vilaines habitudes, joint la menace à la prière pour imposer un frein salutaire aux dérèglements des sens : «Quiconque aura fait une seule de ces abominations sera retranché du milieu des miens ! » Ce n'était point encore assez pour effrayer les coupables ; Moïse revient encore à plusieurs reprises sur la peine qu'on doit leur infliger : « Les deux auteurs de l'abominatiou seront également mis à mort, lapidés ou brûlés , l'homme et la bête, la bête et la femme, le mâle et son complice mâle. » Moïse n'avait donc pas prévu que le sexe féminin pût se livrer à de pareilles énormités. Et toujours il mettait sous les yeux des Israélites la nécessité de ne pas ressembler aux peuples qu'ils allaient chasser de la terre de Chanaan : « Vous ne suivrez point les errements de ces nations, disait l'Éternel, car elles ont pratiqué les infamies que je vous défends , et je les ai prises en abomination (Lévit., xx). »

Le but évident de la loi de Moïse était d'empêcher, autant que possible, la race juive de dégénérer et de s'abâtardir par suite des débauches qui n'avaient déjà que trop vicié son sang et appauvri sa nature. Ces débauches portaient, d'ailleurs, un grave préjudice au développement de la population et à la santé publique.

Tels furent certainement les deux principaux motifs qui déterminèrent le législateur à ne tolérer la "Prostitution légale, que chez les femmes étrangères. Il la défendit absolument aux femmes juives. « Tu ne prostitueras pas ta fille, dit-il dans le Lévitique (chap.
XIX), afin que la terre ne soit pas souillée ni remplie d'impureté. » Il dit encore plus expressément dans le Deutéronome (XXIII) : « Il n'y aura pas de prostituées entre les filles d'Israël, ni de ruffian entre les fils d'Israël. » (Non erit meretrix de filiabus Israël nec scortator de filiis Israël.) Ces deux articles du code de Moïse réglèrent la Prostitution chez les Juifs, quand les Juifs furent fixés en Palestine et constitués en corps de nation sous le gouvernement des juges et des rois.

Les lieux de débauche étaient dirigés par des étrangers, la plupart Syriens; les femmes de plaisir, dites consacrées, étaient toutes étrangères, la plupart Syriennes. Quant aux raisons qui avaient décidé Moïse à exclure les femmes juives de la Prostitution légale, elles sont suffisamment déduites dans les chapitres du Lévitique où il ne craint pas de révéler les infirmités dégoûtantes auxquelle étaient sujettes alors les femmes de sa race. De là toutes les précautions qu'il prend pour rendre les unions saines et prolifiques. On ne s'explique pas autrement ce chapitre
XVIIIdu Lévitique, dans lequel il énumère toutes les personnes du sexe féminin, dont un juif ne découvrira pas la nudité (turpitudinem non discoperies), sous peine de désobéir à l'Éternel : « Que nul ne s'approche de sa parente pour cohabiter avec elle! » dit le Seigneur. Ainsi, tout Juif ne pouvait, sans crime, connaître sa mère ou belle-mère, sa soeur ou belle- soeur, sa fille-, petite-fille ou belle-fille, sa tante maternelle ou paternelle, sa nièce ou sa cousine germaine. Moïse crut utile d'établir de la sorte les degrés de parenté qui repoussassent une alliance incompatible et plus contraire encore à l'état physique d'une société qu'à son organisation morale. C'était par des motifs tout à fait analogues, que l'approche d'une femme, à l'époque de son indisposition menstruelle, avait été si sévèrement interdite, que la loi de Moïse la punissait de mort dans certaines circonstances. Le danger, il est vrai, était plus sérieux chez les Juives que partout ailleurs.

Ces Juives, si belles qu'elles fussent, avec leurs yeux noirs fendus en amande, avec leur bouche voluptueuse aux lèvres de corail et aux dents de perles, avec leur taille souple et cambrée, avec leur gorge ferme et riche, avec tous les trésors de leurs formes potelées, ces juives, dont la Sunamite du Cantique des Cantiques nous offre un si séduisant portrait, étaient affligées, s'il faut en croire Moïse, de secrètes infirmités que certains archéologues de la médecine ont voulu traiter comme les symptômes du mal vénérien. A coup sûr, ce mal-là ne venait ni deNaples ni d'Amérique. Il serait donc imprudent et bien osé de se prononcer sur un sujet si délicat ; mais, en tout cas, on ne peut qu'approuver Moïse, qui avait pris des précautions singulières pour sauvegarder la santé des Hébreux et pour empêcher leur progéniture d'être gâtée dans son germe. Selon d'autres commentateurs, peu ou point médecins, mais très habiles théologiens sans doute, il ne s'agit que du flux de sang et des hémorrhoïdes, dans ce
terrible chapitre xv du Lévitique, qui commence ainsi dans la traduction la plus décente : « Tout homme à qui la chair découle sera souillé à cause de son
flux, et telle sera.la souillure de son flux ; quand sa chair laissera aller son flux ou que sa chair retiendra son flux, c'est sa souillure. »
Le texte de la Vulgate ne laisse pas de doute sur la nature de ce flux, sinon sur son origine : Vir qui patitur fluxum seminis immundus erit; et tunc indicabitur huic vitio subjacere, cum per singula momenta adhaeserit carni ejus atque concreverit faedus humor. Et voilà pourquoi Moïse avait ordonné des ablutions si rigoureuses et des épreuves si austères, à ceux qui découlaient, suivant l'expression des traductions orthodoxes de la Bible.

Le malade, qui rendait impur tout ce qu'il touchait, et dont les vêtements devaient être lavés à mesure qu'il les souillait, se rendait à l'entrée du tabernacle, le huitième jour de son flux, et sacrifiait deux tourterelles ou deux pigeons, l'un pour son péché, l'autre en holocauste. Ces deux pigeons, que le paganisme avait consacrés à Vénus à cause de l'ardeur et de la multiplicité de leurs caresses, représentaient évidemment les deux auteurs d'un péché qui avait eu de si fâcheuses conséquences. Ce sacrifice expiatoire ne guérissait pas le malade, qui restait retranché hors d'Israël et loin du tabernacle de Dieu jusqu'à ce que son flux s'arrêtât. Moïse impose là de véritables règlements de police, pour empêcher autant que possible qu'une maladie immonde, qui altérait les sources de la génération chez les Hébreux, ne se propageât encore en augmentant ses ravages, et ne finît par infecter tout le peuple d'Israël.

Cette maladie cependant s'était tellement aggravée et multipliée pendant le séjour des Israélites dans le désert, que Moïse expulsa du camp tous ceux qui en étaient atteints (Nombres, chap. v). Ce fut par l'ordre du Seigneur que les enfants d'Israël chassèrent sans pitié tout lépreux et tout homme découlant. On peut penser que ces malheureux, à qui sans doute l'Éternel n'envoyait pas le bienfait de la manne céleste , périrent de froid et de faim, sinon de leur mal.

Il est permis-de rapporter encore à ce mal étrange et odieux la loi de Jalousie, que Moïse formula pour tranquilliser les maris qui accusaient leurs femmes d'avoir compromis leur santé en commettant un adultère dont elles avaient gardé les traces cuisantes. Des querelles inextinguibles éclataient sans cesse à ce sujet dans l'intérieur des ménages juifs. Le mari soupçonnait sa femme et cherchait la preuve de ses soupçons dans l'état de leur santé réciproque; la femme jurait en vain qu'elle ne s'était pas souillée, et elle imputait souvent à son mari les torts que celui-ci lui reprochait. Alors, mari et femme se rendaient devant le sacrificateur; le mari présentait pour sa femme un gâteau de farine d'orge, sans huile, nommé gâteau de jalousie ; les deux époux se tenaient debout devant l'Éternel ; le sacrificateur posait le gâteau sur les mains de la femme, et tenait dans les siennes les eaux amères qui apportent la malédiction : « Si aucun homme n'a couché avec toi, lui disait-il, et si, étant en la puissance de ton mari, tu ne t'es point débauchée et souillée, sois exempte de ces eaux amères; mais si, étant en la puissance de ton mari, tu t'es débauchée et souillée, et que quelque autre que ton mari ait couché avec toi, que l'Éternel te livre à l'exécration à laquelle tu t'es assujettie par serment, et que ces eaux-là, qui apportent la malédiction, entrent dans tes entrailles pour te faire enfler le ventre et faire tomber ta cuisse. » La femme répondait Amen et buvait les eaux amères, tandis que le sacrificateur faisait tournoyer le gâteau de jalousie et l'offrait sur l'autel. Si plus tard la femme voyait enfler son ventre et se dessécher sa cuisse, elle était convaincue d'adultère et elle devenait infâme aux yeux d'Israël. Son mari, au contraire, que tout le monde plaignait comme une victime exempte de faute, se trouvait justifié, sinon guéri; car, bien qu'il n'eût pas bu les eaux amères en présence du sacrificateur, il avait souvent la meilleure part des infirmités dégoûtantes et des accidents terribles que l'exécration faisait peser sur sa femme criminelle. Quand celle-ci avait manifesté son innocence par l'état prospère de son ventre et de sa cuisse charnue, elle n'avait plus à redouter les reproches de son mari et elle pouvait avoir des enfants.

Moïse, on le voit, ne s'occupait pas seulement de moraliser les Israélites : il s'efforçait de détruire les germes de leurs vilaines maladies , et il mettait ses lois d'hygiène publique sous la sauvegarde du tabernacle de Dieu. Mais les Israélites, en passant à travers les peuplades étrangères, Moabites, Ammonites, Chananéens, et toutes ces races syriennes plus ou moins corrompues et idolâtres, s'incorporaient les goûts, les usages et les vices de leurs hôtes ou de leurs alliés. Or, la Prostitution la plus audacieuse florissait chez les descendants incestueux de Loth et de ses filles.

La Prostitution sacrée avait surtout étendu son empire impudique dans le culte des faux dieux, que les habitants du pays adoraient avec une déplorable frénésie
. Moloch et Baal - Phegor étaient les monstrueuses idoles de cette Prostitution à laquelle le peuple juif s'empressa de se faire initier. Moïse eut beau sévir contre les fornicateurs, leur exemple ne fut pas moins suivi par ceux qui se laissèrent entraîner aux appétits de la chair. Ainsi, une foule de superstitions obscènes restèrent dans les mœurs des Hébreux, quoique les autels de Baal et de Moloch eussent été renversés et ne reçussent plus d'offrandes immondes. Moïse, dans le chapitre xx du Lévitique et dansle chapitre
XXIII du Deutéronome, a imprimé un stigmate d'infamie à ce culte exécrable et aux apostats qui le pratiquaient à la honte du vrai Dieu d'Israël : « Quiconque des enfants d'Israël ou des étrangers qui demeurent dans Israël donnera de sa semence à l'idole de Moloch, qu'il soit puni de mort : le peuple le lapidera. » Ainsi parle l'Éternel à  Moïse, en lui ordonnant de retrancher du milieu de son peuple ceux qui auront forniqué avec Moloch. Dans le Deutéronome, c'est Moïse seul qui condamne, sans toutefois les frapper d'une peine déterminée, certaines impuretés qui concernaient Baal plutôt que Moloch : « Tu n'offriras pas dans le temple du Seigneur le salaire de la Prostitution et le prix du chien, quel que soit le voeu que tu aies fait, parce que ces deux choses sont en abomination devant le Seigneur ton Dieu. »

Les savants se sont donné beaucoup de mal pour découvrir quels étaient ces dieux moabites, Moloch et Baal-Phegor ; ils ont extrait du Talmud et des commentateurs juifs les détails les plus étranges sur les idoles de ces dieux-là et sur le culte qu'on leur rendait. Ainsi, Moloch était représenté sous la figure d'un homme à tête de-veau , qui, les bras étendus, attendait qu'on lui offrit en sacrifice de la fleur de farine, des tourterelles, des agneaux , des béliers, des veaux, des taureaux et des enfants. Ces différentes offrandes se plaçaient dans sept bouches qui s'ouvraient au milieu du ventre de cette avide divinité d'airain , posée sur un immense four qu'on allumait pour consumer à la fois les sept espèces d'offrandes. Pendant cet holocauste, les prêtres de Moloch faisaient une terrible musique de sistres et de tambours, afin d'étouffer les cris des victimes.

C'est alors qu'avait lieu l'infamie, maudite par le Dieu d'Israël : les Molochites se livraient à des pratiques dignes de la patrie d'Onan, et, animés par le bruit cadencé des instruments de musique, ils s'agitaient autour de la statue incandescente qui apparaissait rouge à travers la fumée, ils poussaient des hurlements frénétiques, et, suivant l'expression biblique, donnaient de leur postérité à Moloch. Cette abomination se naturalisa tellement dans Israël, que quelques malheureux insensés osèrent l'introduire dans le culte du Dieu des Juifs, et souillèrent ainsi son sanctuaire. La colère de Moïse en fit justice, et il répéta ces paroles de l'Éternel : « Je mettrai ma face contre ceux qui paillardent avec Moloch, et je les retrancherai du milieu de mon peuple. » Ce Moloch, ou Molec, n'était autre que la Mylitta des Babyloniens , l'Astarté des Sidoniens, la Vénus génératrice, la femme divinisée. De là, les offrandes qu'on lui apportait : la fleur de farine, pour indiquer la substance de vie ; les tourterelles, pour exprimer les tendresses de l'amour; les agneaux, pour désigner la fécondité; les béliers, pour caractériser la pétulance des sens; les veaux, pour peindre la richesse de la nature nourricière ; les taureaux, pour symboliser la force créatrice; et les enfants, pour montrer le but du culte même de la déesse. On comprend que, par une honteuse exagération du zèle religieux, les fidèles adorateurs de Moloch, n'ayant pas d'enfants à lui offrir, lui aient offert une impure compensation de ce cruel sacrifice. Au reste, il semble que le culte de ce sale Moloch ait eu moins de vogue que celui de Baal-Phegor chez les Juifs.

Baal-Phegor ou Belphegor, qui était le dieu favori des Madianites, fut accepté par les Hébreux avec une passion qui témoigne assez de l'indécence de ses mystères. Ce dieu malhonnête balança souvent le Dieu d'Abraham et de Jacob; son culle détestable, accompagné des plus affreuses débauches, ne fut jamais complètement détruit dans la nation juive, qui le pratiquait secrètement dans les bois et dans les montagnes. Ce culte était certainement celui d'Adonis ou de Priape. Les monuments qui représentaient le dieu nous manquent tout à fait. C'est à peine si quelques écrivains juifs se sont permis de faire parler la tradition au sujet de Baal, de ses statues et de ses cérémonies. Nous nous bornerons à entrevoir derrière un voile décent les images scandaleuses que Selden, l'abbé Mignot et Dulaure ont essayé de relever avec la main de l'érudition. Selon Selden, qui s'appuie de l'autorité d'Ofigène et de saint Jérôme, Belphegor était figuré tantôt par un phallus gigantesque, appelé dans la Bible : species turpitudinis; tantôt par une idole portant sa robe retroussée au-dessus de la tête, comme pour étaler sa turpitude (ut turpitadinem membri virilis ostenderet) ; selon Mignot, la statue de Baal était monstrueusement hermaphrodite ; selon Dulaure, elle n'était remarquable que par les attributs de Priape. Mais tous les savants, se fondant sur les saintes Écritures et sur les commentaires des Pères de l'Église, sont d'accord au sujet de la Prostitution sacrée, qui faisait le principal élément de ce culte odieux. Les prêtres du dieu étaient de beaux jeunes hommes, sans barbe, qui, le corps épilé et frotté d'huiles parfumées, entretenaient un ignoble commerce d'impudicité dans le sanctuaire de Baal. La Vulgate les nomme efféminés (effœminati) ; le texte hébraïque les qualifie de kedesehim, c'est-à-dire consacrés. Quelquefois, ces consacrés n'étaient que des mercenaires attachés au service du temple. Leur rôle ordinaire consistait dans l'usage plus ou moins actif de leurs mystères infâmes : ils se vendaient aux adorateurs de leur dieu, et déposaient sur ses autels le salaire de leur Prostitution.

Ce n'est pas tout, ils avaient des chiens dressés aux mêmes ignominies ; et le produit impur qu'ils retiraient de la vente ou du louage de ces animaux, ils l'appliquaient aussi aux revenus du temple. Enfin, dans certaines cérémonies qui se célébraient la nuit au fond des bois sacrés, lorsque les astres semblaient voiler leur face et se cacher d'épouvante, prêtres et consacrés s'attaquaient à coups de couteau , se couvraient d'entailles et de plaies peu profondes, échauffés par le vin , excités par leurs instruments de musique, et tombaient pêle-mêle dans une mare de sang.

 

Voilà pourquoi Moïse ne voulait pas qu'il y eût des bocages auprès des temples ; voilà pourquoi, rougissant lui-même des turpitudes qu'il dénonçait à la malédiction du ciel, il défendait d'offrir dans la maison de Dieu le salaire de la Prostitution et le prix du chien. Les efféminés formaient une secte qui avait ses rites et ses initiations. Cette secte se multipliait donc en cachette, quelques efforts que fit le législateur pour l'anéantir ; elle survivait à la ruine de ses idoles et elle se propageait jusque dans le temple du Seigneur. L'origine de ces efféminés se rattache évidemment à la profusion de diverses maladies obscènes qui avaient vicié le sang des femmes et qui rendait leur approche fort dangereuse, avant que Moïse eût purifié son peuple en expulsant et en vouant à l'exécration quiconque était atteint de ces maladies endémiques : la lèpre, la gale . le flux de sang et les flux de tout genre.


Lorsque la santé publique fut un peu régénérée, les Juifs qui s'adonnaient au culte de Baal ne se contentèrent plus de leurs efféminés; et ceux-ci, se voyant moins recherchés , imaginèrent, pour obvier à la diminution des revenus de leur culte, de consacrer également à Baal une association de femmes qui se prostituaient au bénéfice de l'autel. Ces femmes, nommées comme eux kedeschoth, dans le langage biblique, ne résidaient pas avec eux sous le portique ou dans l'enceinte du temple : elles se tenaient, sous des tentes bariolées, aux abords de ce temple, et elles se préparaient à la Prostitution, en brûlant des parfums, en vendant des philtres, en jouant de la musique. C'étaient là ces femmes étrangères, qui continuaient leur métier à leur profit lorsque le temple de Baal n'était plus là pour recevoir leurs offrandes; c'étaient elles qui, exercées dès l'enfance à leur honteux sacerdoce, servaient exclusivement aux besoins de la Prostitution juive.

L'histoire de la Prostitution sacrée chez les Hébreux commence donc du temps de Moïse, qui ne réussit pas à l'abolir, et elle reparaît çà et là, dans les livres saints, jusqu'à l'époque des Machabées.

Lorsque Israël était campé en Sittim, dans le pays des Moabites, presque en vue de la terre promise, le peuple s'abandonna à la fornication avec les filles de Moab (Nombres , chap. xxv), qui les invitèrent à leurs sacrifices : il fut initié à Belphegor. L'Éternel appela Moïse et lui ordonna de faire pendre ceux qui avaient sacrifié à Belphegor. Une maladie terrible, née de la débauche des Israélites, les décimait déjà , et vingt- quatre mille étaient morts de cette maladie. Moïse rassembla les juges d'Israël pour les inviter à retrancher du peuple les coupables que le fléau avait atteints. « Voilà qu'un des enfants d'Israël, nommé Zambri, entra, en présence de ses frères, chez une prostituée du pays de Madian , à la vue de Moïse et de l'assemblée des juges, qui pleuraient devant les portes du tabernacle. Alors Phinées, petit-fils d'Aaron, ayant vu ce scandale, se leva, prit un poignard, entra derrière Zambri dans le lieu de débauche, et perça d'un seul coup l'homme et la femme dans les parties de la génération. » Cette justice éclatante fit cesser l'épidémie qui désolait Israël et apaisa le ressentiment du Seigneur. Mais le mal moral avait des racines plus profondes que le mal physique, et les abominations de Baal-Phegor reparurent souvent au milieu du peuple de Dieu. Elles ne furent jamais plus insolentes que sous les rois de Juda. Pendant le règne de Roboatn, 980 ans avant Jésus-Christ, « les efféminés s'établirent dans le pays et y firent toutes les abominations des peuples que le Seigneur avait écrasés devant la face des fils d'Israël. » Asa, un des successeurs de Roboam, fit disparaître les efféminés, et purgea son royaume des idoles qui le souillaient; il chassa même sa mère Maacha, qui présidait aux mystères de Priape (in sacris Priapi), et renversa de fond en comble le temple qu'elle avait élevé à ce dieu, dont il mit en pièces la statue impudique (simulacrum turpissimum). Josaphat, qui régna ensuite, anéantit le reste des efféminés qui avaient pu se soustraire aux poursuites sévères de son père Asa. Cependant, les efféminés ne tardèrent pas à revenir ; les temples de Baal se relevèrent ; ses statues insultèrent de nouveau à la pudeur publique ; car, deux siècles plus tard, le roi Josias fit encore une guerre implacable aux faux dieux et à leur culte, qui s'était mêlé dans Jérusalem au culte du Seigneur. Les temples furent démolis, les statues jetées par terre, les bois impurs arrachés et brûlés ; Josias n'épargna pas les tentes des efféminés que ces infâmes avaient plantées dans l'intérieur même du temple de Salomon, et qui, tissues de la main des femmes consacrées à Baal, servaient d'asile à leurs étranges Prostitutions. 

Voilà pourquoi Moïse ne voulait pas qu'il y eût des bocages auprès des temples ; voilà pourquoi, rougissant lui-même des turpitudes qu'il dénonçait à la malédiction du ciel, il défendait d'offrir dans la maison de Dieu le salaire de la Prostitution et le prix du chien. Les efféminés formaient une secte qui avait ses rites et ses initiations. Cette secte se multipliait donc en cachette, quelques efforts que fit le législateur pour l'anéantir ; elle survivait à la ruine de ses idoles et elle se propageait jusque dans le temple du Seigneur. L'origine de ces efféminés se rattache évidemment à la profusion de diverses maladies obscènes qui avaient vicié le sang des femmes et qui rendait leur approche fort dangereuse, avant que Moïse eût purifié son peuple en expulsant et en vouant à l'exécration quiconque était atteint de ces maladies endémiques : la lèpre, la gale . le flux de sang et les flux de tout genre.


Lorsque la santé publique fut un peu régénérée, les Juifs qui s'adonnaient au culte de Baal ne se contentèrent plus de leurs efféminés; et ceux-ci, se voyant moins recherchés , imaginèrent, pour obvier à la diminution des revenus de leur culte, de consacrer également à Baal une association de femmes qui se prostituaient au bénéfice de l'autel. Ces femmes, nommées comme eux kedeschoth, dans le langage biblique, ne résidaient pas avec eux sous le portique ou dans l'enceinte du temple : elles se tenaient, sous des tentes bariolées, aux abords de ce temple, et elles se préparaient à la Prostitution, en brûlant des parfums, en vendant des philtres, en jouant de la musique. C'étaient là ces femmes étrangères, qui continuaient leur métier à leur profit lorsque le temple de Baal n'était plus là pour recevoir leurs offrandes; c'étaient elles qui, exercées dès l'enfance à leur honteux sacerdoce, servaient exclusivement aux besoins de la Prostitution juive.

L'histoire de la Prostitution sacrée chez les Hébreux commence donc du temps de Moïse, qui ne réussit pas à l'abolir, et elle reparaît çà et là, dans les livres saints, jusqu'à l'époque des Machabées.

Lorsque Israël était campé en Sittim, dans le pays des Moabites, presque en vue de la terre promise, le peuple s'abandonna à la fornication avec les filles de Moab (Nombres , chap. xxv), qui les invitèrent à leurs sacrifices : il fut initié à Belphegor. L'Éternel appela Moïse et lui ordonna de faire pendre ceux qui avaient sacrifié à Belphegor. Une maladie terrible, née de la débauche des Israélites, les décimait déjà , et vingt- quatre mille étaient morts de cette maladie. Moïse rassembla les juges d'Israël pour les inviter à retrancher du peuple les coupables que le fléau avait atteints. « Voilà qu'un des enfants d'Israël, nommé Zambri, entra, en présence de ses frères, chez une prostituée du pays de Madian , à la vue de Moïse et de l'assemblée des juges, qui pleuraient devant les portes du tabernacle. Alors Phinées, petit-fils d'Aaron, ayant vu ce scandale, se leva, prit un poignard, entra derrière Zambri dans le lieu de débauche, et perça d'un seul coup l'homme et la femme dans les parties de la génération. » Cette justice éclatante fit cesser l'épidémie qui désolait Israël et apaisa le ressentiment du Seigneur. Mais le mal moral avait des racines plus profondes que le mal physique, et les abominations de Baal-Phegor reparurent souvent au milieu du peuple de Dieu. Elles ne furent jamais plus insolentes que sous les rois de Juda. Pendant le règne de Roboatn, 980 ans avant Jésus-Christ, « les efféminés s'établirent dans le pays et y firent toutes les abominations des peuples que le Seigneur avait écrasés devant la face des fils d'Israël. » Asa, un des successeurs de Roboam, fit disparaître les efféminés, et purgea son royaume des idoles qui le souillaient; il chassa même sa mère Maacha, qui présidait aux mystères de Priape (in sacris Priapi), et renversa de fond en comble le temple qu'elle avait élevé à ce dieu, dont il mit en pièces la statue impudique (simulacrum turpissimum). Josaphat, qui régna ensuite, anéantit le reste des efféminés qui avaient pu se soustraire aux poursuites sévères de son père Asa. Cependant, les efféminés ne tardèrent pas à revenir ; les temples de Baal se relevèrent ; ses statues insultèrent de nouveau à la pudeur publique ; car, deux siècles plus tard, le roi Josias fit encore une guerre implacable aux faux dieux et à leur culte, qui s'était mêlé dans Jérusalem au culte du Seigneur. Les temples furent démolis, les statues jetées par terre, les bois impurs arrachés et brûlés ; Josias n'épargna pas les tentes des efféminés que ces infâmes avaient plantées dans l'intérieur même du temple de Salomon, et qui, tissues de la main des femmes consacrées à Baal, servaient d'asile à leurs étranges Prostitutions.

Deuxième partie

Posté par Adriana Evangelizt


 

 

 

 

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31 juillet 2007 2 31 /07 /juillet /2007 23:28

Alors là, nous avons dégoté un vieux bouquin encore très intéressant... on commence par les Grecs...

Histoire de la prostitution chez tous les Peuples du monde

depuis l'Antiquité la plus reculée jusqu'à nos jours

par P. L JACOB

CHAPITRE IV.


Sommaire. — La Prostitution sacrée en Grèce. — Les Vénus grecques. — Vénus-Uranie. — Vénus-Pandemos. — Fitho, déesse de la persuasion. —Solon fait élever un temple à la déesse de la Prostitution, avec les produits des dicterions qu'il avait fondés à Athènes. — Temples de Vénus-Populaire à Thèbes et à Mégalopolis. — Offrande d'Harmonie, fille de Cadmus, à Vénus-Pandemos. — Vénus-Courtisane ou Hétaire. — La ville d'Abydos délivrée par une courtisane. — Temple de Vénus-Hétaire à Ephèse construit aux frais d'une courtisane. — Les Simaethes. — Temple de Vénus-Courtisane, à Samos, bâti avec les deniers de la Prostitution. — Vénus Peribasia ou Vénus-Remueuse. — Vénus Salacia ou Vénus-Lubrique. — Sa statue en vif-argent par Dédale. — Dons offerts à Vénus-Remueuse par les prostituées.— Vénus-Mélanis ou la Noire, déesse de la nuit amoureuse. — Ses temples. — Vénus Mucheia ou la déesse des repaires. — Vénus Castnia ou la déesse des accouplements impudiques.— Vénus Scotia ou la Ténébreuse. — l'anus Derceto ou la Coureuse. — Vénus Mechanitis ou Mécanique.— Vénus Callipyge ou Aux belles fesses.—Origine du culte de Vénus Derceto. — Jugement de Paris. — Origine du culte de Vénus Callipyge. — Les Aphrodisées et les Âloennes. — Les mille courtisanes du temple de Vénus à Corinthe. — Offrande de cinquante hétaires, faite à Vénus par le poète Xénophon de Corinthe. — Procession des consacrées. — Fonctions des courtisanes dans les temples de Vénus. — Les petits mystères de Cérès. — Le pontife Archias. — Cottine, fameuse courtisane de Sparte. —Célébration des fêtes d'Adonis. — Vénus Leœna et Vénus Lamia.


La Prostitution sacrée exista dans la Grèce dès qu'il y eut des dieux et des temples ; elle remonte donc à l'origine du paganisme grec. Cette théogonie, que l'imagination poétique de la race hellène avait créée plus de dix-huit siècles avant l'ère moderne, ne fut qu'un poëme allégorique, en quelque sorte, sur les jeux de l'amour dans l'univers. Toutes les religions avaient eu le même berceau; ce fut partout la nature femelle s'épanouissant et engendrant au contact fécond de la nature mâle; ce furent partout l'homme et la femme, qu'on divinisait dans les attributions les plus significatives de leurs sexes.


La Grèce reçut donc de l'Asie le culte de Vénus avec celui d'Adonis, et comme ce n'était point assez de ces deux divinités amoureuses, la Grèce les multiplia sous une foule de noms différents, de telle sorte qu'il y eut presque autant de Vénus que de temples et de statues. Les prêtres et les poêles qui se chargèrent, d'un commun accord, d'inventer et d'écrire les annales de leurs dieux, ne firent que développer un thème unique, celui de la jouissance sensuelle. Dans cette ingénieuse et charmante mythologie, l'Amour reparaissait à chaque instant, avec un caractère varié, et l'histoire de chaque dieu ou de chaque déesse n'était qu'un hymne voluptueux en l'honneur des sens. Ou comprend sans peine que la Prostitution, qui se montre de tant de manières dans l'odyssée des métamorphoses des dieux et des déesses, devait être un reflet des moeurs grecques au temps d'Ogygès et d'Inachus. Une nation dont les croyances religieuses n'étaient qu'un amas de légendes impures pouvait-elle jamais être chaste et retenue?

La Grèce accepta, dès les temps héroïques, le culte de la femme et de l'homme divinisés, tel que Babylone et Tyr l'avaient établi à Cypre; ce culte sortit de l'île qui lui était spécialement consacrée, pour se répandre d'île en île dans l'Archipel, et pour gagner bientôt Corinthe, Athènes et toutes les villes de la terre Ionienne. Alors, à mesure que Vénus et Adonis se naturalisaient dans la patrie d'Orphée et d'Hésiode, ils perdaient quelque chose de leur origine chaldéenne et phénicienne; ils se façonnaient, pour ainsi dire, à une civilisation plus polie et plus raffinée, mais non moins corrompue. Vénus et Adonis sont plus voilés qu'ils ne l'étaient dans l'Asie-Mineure; mais, sous ce voile, il y a des délicatesses et des recherches de débauche qu'on ignorait peut-être dans les enceintes sacrées de Mylilta et dans les bois mystérieux de Belphégor.

Les renseignements nous manquent pour reconstituer dans tous ses détails secrets le culte des Vénus grecques, surtout dans les époques antéHeures aux beaux siècles de la Grèce ; les poètes ne nous offrent ça et là que des traits épars qui, s'ils indiquent tout, ne précisent rien; les philosophes évitent les tableaux et se jettent au hasard dans de vagues généralités morales; les historiens ne renferment que des faits isolés qui ne s'expliquent pas souvent l'un l'autre; enfin, les monuments figurés, à l'exception de quelques médailles et de quelques inscriptions, ont tous péri. Nous avons seulement des notions assez nombreuses sur les principales Vénus, dont le nom et les attributs se rattachent plus particulièrement au sujet que nous traitons. La simple énumération de ces Vénus nous dispensera de recourir à des conjectures plus ou moins appuyées de preuves et d'apparences. La Prostitution sacrée, en cessant de s'exercer au profit du temple et du prêtre, avait laissé dans les rites et les usages religieux la trace profonde de son empire.

La Vénus qui personnifiait, pour ainsi dire, cette Prostitution, se nommait Pandemos. Socrate dit, dans le Banquet de Xénophon, qu'il y a deux Vénus, l'une céleste et l'autre humaine ou Pandemos ; que le culte de la première est chaste, et celui de la seconde criminel. Socrate vivait, dans le cinquième siècle avant Jésus-Christ, comme un philosophe sceptique qui soumet les religions elles-mêmes à son jugement inflexible. Platon, dans son Banquet, parle aussi des deux Vénus, mais il est moins sévère à l'égard de Pandemos. « Il y a deux Vénus, dit-il : L'une très-ancienne, sans mère, et fille d'Uranus, d'où lui vient le nom d Uranie; l'autre, plus jeune, fille de Jupiter et de Dioné, que nous appelons Vénus-Pandemos. »

C'est la Vénus-Populaire ; c'est la première divinité que Thésée fit adorer par le peuple qu'il avait rassemblé dans les murailles d'Athènes; c'est la première statue de déesse qui fut érigée sur la place publique de cette'ville naissante. Cette antique statue, qui ne subsistait plus déjà quand Pausanias écrivit son Voyage en Grèce, et qui avait- été remplacée par une autre, due à un habile sculpteur, et plus modeste sans doute que la première, faisait un appel permanent à la Prostitution, Les savants ne sont pas d'accord sur la pose que l'artiste lui avait donnée, et l'on peut supposer que cette pose avait trait au caractère spécial de la déesse. Thésée, pour que ce caractère fût encore plus clairement représenté, avait placé près de la statue de Pandemos celle de Pitho, déesse de la persuasion. Les deux déesses disaient si bien ce qu'on avait voulu leur faire exprimer, que l'on venait à toute heure, de jour comme de nuit, sous ses yeux, faire acte d'obéissance publique. Aussi, lorsque Solon eut réuni, avec les produits des dicterions qu'il avait-fondés à Athènes, les sommes nécessaires pour élever un temple à la déesse de la Prostitution, il fit bâtir ce temple vis-à-vis de la statue qui attirait autour de son piédestal une procession de fidèles prosélytes.

 

Les courtisanes d'Athènes se montraient fort empressées aux fêtes de Pandemos, qui se renouvelaient le quatrième jour de chaque mois„ et qui donnaient lieu à d'étranges excès de zèle religieux. Ces jours-là, les courtisanes n'exerçaient leur métier qu'au profit de la déesse, et elles dépensaient en offrandes l'argent qu'elles avaient gagné sous les auspices de Pandemos.


Ce temple, dédié à la Vénus-Populaire par le sage Solon, n'était pas le seul qui témoignât du culte de la Prostitution en Grèce. Il y en avait aussi à Thèbes en Béotie et à Mégalopolis en Arcadie. Celui de Thèbes datait du temps de Cadmus, fondateur de cette ville. La tradition racontait que la statue qu'on voyait dans ce temple, avait été fabriquée avec les éperons d'airain des vaisseaux qui avaient amené Cadmus aux bords thébains. C'était une offrande d'Harmonie, fille de Cadmus; cette princesse, indulgente pour les plaisirs de l'amour, s'était plu à en consacrer le symbole à la déesse, en lui destinant ces éperons ou becs de métal qui s'étaient enfoncés dans le sable du rivage pour en faire sortir une cité. Dans le temple de Mégalopolis, la statue de Pandemos était accompagnée de deux autres statues qui présentaient la déesse sous deux figures différentes, plus décentes et moins nues. Ces statues de Pandemos avaient toutes une physionomie assez effrontée, car elles ne furent pas conservées quand les mœurs imposèrent des voiles même aux déesses ; celle qui était à Élis, où Pandemos eut aussi un temple célèbre, avait été refaite par le fameux statuaire Scopas, qui en changea entièrement la posture et qui se contenta d'un emblème très transparent, en mettant cette Vénus sur le dos d'un bouc aux cornes d'or.


Vénus était adorée, dans vingt endroits de la  Grèce, sous le nom d Eraipa: ou de Courtisane ou Hétaire; ce nom-là annonçait suffisamment le genre d'actions de grâce qu'on lui rendait. Ses adorateurs ordinaires étaient les courtisanes et leurs amants; les uns et les autres ne se faisaient pas faute de lui offrir des sacrifices pour se mettre sous sa protection. Cette Vénus-là, si malhonnête qu'elle fût dans son culte, rappelait pourtant un fait historique qui était à l'honneur des courtisanes, mais qui se rattachait par malheur aux temps fabuleux de la Grèce. Suivant une tradition, dont la ville d'Abydos était fière, cette ville, réduite jadis en esclavage, avait été délivrée par une courtisane. Un jour de fête, les soldats étrangers, maîtres de la ville et préposés à la garde des portes, s'enivrèrent dans une orgie avec des courtisanes abydéniennes et s'endormirent au son des flûtes. Une des courtisanes se saisit des clefs de la ville, où elle rentra par-dessus la muraille, et alla avertir ses concitoyens, qui s'armèrent, tuèrent les sentinelles endormies et chassèrent l'ennemi de leur cité. En mémoire de leur liberté recouvrée, ils élevèrent un temple à Vénus-Hétaire. Cette Vénus avait encore un temple à Éphèse, mais on ne sait pas si son origine était aussi honorable que celle du temple d'Abydos. Chacun de ces temples évoquait d'ailleurs une tradition particulière. Celui du promontoire Simas, sur le Pont-Euxïn, aurait été construit aux frais d'une belle courtisane, qui habitait dans cet endroit-là, et qui attendait au bord de la mer que Vénus, née du sein des flots, lui envoyât des passagers. Ce fut en souvenir de cette prêtresse de Vénus-Hétaire, que les prostituées s'intitulaient Simoethes, aux environs de ce promontoire qui conviait de loin les matelots au culte de la déesse, et qui leur ouvrait ses grottes consacrées à ce culte.

 

Le temple de, Vénus-Courtisane à Samos, qu'on appelait la déesse des roseaux ou des marécages, avait été bâti avec les deniers de la Prostitution, par les hétaires qui suivirent Périclès au siège de Samos, et qui y trafiquèrent de leurs charmes pour des sommes énormes, (lngentem ex prostitutâ forma quoestum fecerant, dit Athénée, dont le grec est plus énergique encore que cette traduction latine.) Mais quoique Vénus eût le nom d'Hétaire, les fêtes qu'on célébrait en Magnésie, sous le nom de Hétairidées, ne la regardaient pas; elles avaient été instituées en l'honneur de Jupiter-Hétairien et de l'expédition des Argonautes.


Ce n'était point assez que d'avoir donné à Vénus le nom des courtisanes qu'elle inspirait et qui se recommandaient à elle : on lui donnait encore d'autrès noms qui n'eussent pas moins convenu à ses prêtresses favorites. Celui de Peribasia, par exemple, en latin Divaricalriœ, faisait allusion aux mouvements que provoque et règle le plaisir. Cette Vénus était nominativement adorée chez les Argiens, comme nous l'apprend saint Clément d'Alexandrie, qui ne craint pas d'avouer que ce nom bizarre de Remueuse lui était venu à divaricandis cruribus. La Peribasia des Grecs devint chez les Romains Salacia ou Vénus-Lubrique; qui prit encore d'autres noms analogues et plus caractéristiques.

Le fameux architecte du labyrinthe de Crète, Dédale, par amour de la mécanique, avait dédié à cette déesse une statue en vif-argent. Les dons offerts à la déesse faisaient allusion aux qualités qu'on lui supposait. Ces dons, qui étaient parfois fort riches, rappelaient, en général, la condition des femmes qui les déposaient sur l'autel ou les appendaient au piédestal de la statue. C'étaient le plus souvent des phallus en or, en argent, en ivoire ou en nacre de perle; c'étaient aussi des bijoux précieux, et surtout des miroirs d'argent poli, avec des ciselures et des inscriptions. Ces miroirs furent toujours considérés comme les attributs de la déesse et des courtisanes. On représentait Vénus un miroir à la main ; on la représentait aussi tenant un vase ou une boîte à parfums : car, disait le poète grec, « Vénus n'imite point Pallas, qui se baigne quelquefois mais qui ne se parfume jamais. »

Les courtisanes, qui avaient tant d'intérêt à se rendre Vénus propice, se dépouillaient pour elle de tous les objets de toilette qu'elles aimaient le mieux. Leur première offrande devait être leur ceinture ; elles avaient des peignes, des pinces à épiler, des épingles et d'autres menus affiquets en or et en argent, que les femmes honnêtes ne se permettaient pas, et que Vénus-Courtisane pouvait sans scrupule accepter de ses humbles imitatrices. Aussi le poète Philétère s'écrie-t-il avec enthousiasme, dans sa Corinthiaste : « Ce n'est pas sans raison que dans toute la Grèce on voit des temples élevés à Vénus- Courtisane et non à Vénus-Mariée. »


Vénus avait en Grèce bien d'autres dénominations qui se rapportaient à certaines particularités de son culte, et les temples qu'on lui élevait sous ces dénominations souvent obscènes étaient plus fréquentés et plus enrichis que ceux de Vénus-Pudique ou de Vénus-Armée. Tantôt on l'adorait avec le nom de Mélanis ou la Noire, comme déesse de la nuit amoureuse : ce fut elle qui apparut à Laïs pour lui apprendre que les amants lui arrivaient de tous côtés avec de magnifiques présents; elle avait des temples à Mélangie en Arcadie ; à Cranium, près de Corinthe ; à Thespies en Béotie, et ces temples étaient environnés de bocages impénétrables au jour, dans lesquels on cherchait à tâtons les aventures. Tantôt on l'appelait Mucheia ou la déesse des repaires ; Castnia ou la déesse des accouplements impudiques; Scotia Ou la Ténébreuse; Derceto ou la Coureuse; Callipyge ou Aux belles fesses, etc.

Vénus, véritable Protée de l'amour ou plutôt de la volupté, avait, pour chacune de ses transformations, une mythologie spéciale, toujours ingénieuse et allégorique. Elle représentait constamment la femme remplissant les devoirs de son sexe. Ainsi, lorsqu'elle fut Derceto ou déesse de Syrie, elle était tombée de l'Olympe dans la mer et elle y avait rencontré un grand poisson qui s'était prêté à la ramener sur la cote de Syrie, où elle récompensa son sauveur en le mettant au nombre des astres : pour traduire cette fable en langage humain, il ne fallait qu'imaginer une belle Syrienne perdue dans un naufrage et sauvée par un pêcheur qui s'était épris d'elle. Le nom de Derceto exprimait ses allées et venues sur les côtes de Syrie avec le pêcheur qui l'avait recueillie dans sa barque.

Les prêtres de Derceto avaient donné Une forme plus mystique à l'allégorie. Selon eux, aux époques contemporaines du chaos un oeuf gigantesque s'était détaché du ciel et avait roulé dans l'Euphrate ; les poissons poussèrent cet œuf jusqu'au rivage, des colombes le couvèrent et Vénus en sortit : voilà pourquoi colombes et poissons étaient consacrés à Vénus; mais on ne sait pas à quelle espèce de poissons la déesse,accordait la préférence. Enfin, il y avait une Vénus Mechanitis ou Mécanique, dont les statues étaient en bois avec des pieds, des mains et un masque en marbre ; ces statues-là se mouvaient par des ressorts cachés et prenaient les poses les plus capricieuses.


Cette déesse était, sans doute, sous ses divers aspects, la déesse de la beauté : mais la beauté qu'elle divinisait, ce fut moins celle du visage que celle du corps; et les Grecs, plus amoureux de la statuaire que de la peinture, faisaient plus de cas aussi de la forme que de la couleur. La beauté du visage, en effet, appartenait presque indistinctement à toutes les déesses du panthéon grec, tandis que la beauté du corps était un des attributs divins de Vénus.


Lorsque le berger troyen, Paris, décerna la pomme à la plus belle des trois déesses rivales, il n'avait décidé son choix entre elles, qu'après les avoir vues sans aucun voile. Vénus ne représentait donc pas la beauté intelligente, l'âme de la femme ; elle ne représentait que la beauté matérielle, le corps de la femme. Les poètes, les artistes lui attribuaient donc une tête fort petite, au front bas et étroit, mais en revanche un corps et des membres fort longs, souples et potelés. La perfection de la beauté chez la déesse commençait surtout à la naissance des reins. Les Grecs se regardaient comme les premiers connaisseurs du monde en ce genre de beauté. Cependant ce ne fut pas la Grèce, mais la Sicile qui fonda un temple à Vénus Callipyge. Ce temple dut son origine à un jugement qui n'eut pas autant d'éclat que celui de Paris, car les parties n'étaient pas déesses et le juge n'eut pas à se prononcer entre trois. Deux sœurs, aux environs de Syracuse, en se baignant un jour, se disputèrent le prix de la beauté ; un jeune Syracusain, qui passait par là et qui vit les pièces du procès, sans être vu, fléchit le genou en terre comme devant Vénus elle-même, et s'écria que l'aînée avait remporté la victoire. Les deux adversaires s'enfuirent à demi nues.

Le jeune homme revint à Syracuse et raconta, encore ému d'admiration, ce qu'il avait vu. Son frère, émerveillé à ce récit, déclara qu'il se contenterait de la cadette. Enfin ils rassemblèrent ce qu'ils possédaient de plus précieux, et ils se rendirent chez le père des deux sœurs et lui demandèrent de devenir ses gendres. La cadette, désolée et indignée d'avoir été vaincue, était tombée malade ; elle sollicita la révision de la cause, et les deux frères, d'un commun accord , proclamèrent qu'elles avaient toutes deux également droit à la victoire, selon que le juge regardait l'une, du côté droit, et l'autre, du côté gauche. Les deux sœurs épousèrent les deux frères et transportèrent à Syracuse une réputation de beauté, qui ne fit que s'accroître. On les comblait de présents, et elles amassèrent de si grands biens, qu'elles purent ériger un temple à la déesse qui avait été la source de leur fortune. La statue qu'on admirait dans ce temple participait à la fois des charmes secrets de chaque sœur, et la réunion de ces deux modèles en une seule copie avait formé le type parfait de la beauté callipyge. C'est le poète Cercidas de Mégalopolis qui a immortalisé cette copie sans avoir vu les originaux. Athénée rapporte la même anecdote, dont le voile transparent cache évidemment l'histoire de deux courtisanes syracusaines.

Si les courtisanes élevaient des temples à Vénus, elles étaient donc autorisées, du moins dans les premiers temps de la Grèce, à offrir des sacrifices à la déesse, et à prendre une part active à ses fêtes publiques, sans préjudice de quelques fêtes, telles que les Aphrodisées et les Aloennes, qu'elles se réservaient plus particulièrement et qu'elles célébraient à huis clos. Elles remplissaient même quelquefois les fonctions de prêtresses dans les temples de Vénus, et elles y étaient attachées, comme auxiliaires, pour nourrir le prêtre et augmenter les revenus de l'autel. Strabon ditpositivement que le temple de Vénus à Corinthe possédait plus de mille courtisanes que la dévotion des adorateurs de la déesse lui avait consacrées. C'était un usage général en Grèce de consacrer ainsi à Vénus un certain nombre de jeunes filles quand on voulait se rendre la déesse favorable, ou quand on avait vu ses voeux exaucés par elle.

Xénophon de Corinthe, en partant pour les jeux Olympiques, promet à Vénus de lui consacrer cinquante hétaïres si elle lui donne la victoire; il est vainqueur et il s'acquitte de sa promesse. « 0 souveraine de Cypris, s'écrie Pindare dans l'ode composée en l'honneur de cette offrande, Xénophon vient d'amener dans ton vaste bocage une troupe de cinquante belles filles! » Puis, il s'adresse à elles : « 0 jeunes filles qui recevez tous les étrangers et leur donnez l'hospitalité, prêtresses de la déesse Pitho dans la riche Corinthe, c'est vous qui, en faisant brûler l'encens devant l'image de Vénus et en invoquant la mère des Amours, nous méritez souvent son aide céleste et nous procurez les doux moments que nous goûtons sur des lits voluptueux, où se cueille le tendre fruit de la beauté! » Cette consécration des courtisanes à Vénus était surtout usitée à Corinthe. Quand la ville avait une demande à faire à la déesse, elle ne manquait jamais de la confier à des consacrées qui entraient les premières dans le temple et qui en sortaient les dernières.

Selon Cornélien d'Héraclée, Corinthe, en certaines circonstances importantes, s'était fait représenter auprès de Vénus par une procession innombrable de courtisanes dans le costume de leur métier.


L'emploi de ces consacrées dans les temples et les bocages de la déesse est suffisamment constaté par quelques monuments figurés, qui sont moins discrets à cet égard que les écrivains contemporains.


Les peintures de deux coupes et de deux vases grecs, cités par le savant M. Lajard, d'après les descriptions de MM. de Witte et Lenormand, ne nous laissent pas de doute sur la Prostitution sacrée qui s'était perpétuée dans le culte de Vénus. Un de ces vases, qui faisait partie de la célèbre collection Durand, représente un temple de Vénus, dans lequel une courtisane reçoit, par l'intermédiaire d'un esclave, les propositions d'un étranger couronné de myrte, placé en dehors du temple et tenant à la main une bourse. Sur le second vase, un étranger, pareillement couronné de myrte, est assis sur un lit et semble marchander une courtisane debout devant lui dans un temple.

M. Lajard attribue encore la même signification à une pierre gravée, taillée à plusieurs faces, dont cinq portent des animaux, emblèmes du culte delà Vénus Orientale, et dont la sixième représente une courtisane qui se regarde dans un miroir pendant qu'elle se livre à un étranger. Mais ce qui se passait dans les temples et dans les bois sacrés n'a pas laissé de traces plus caractéristiques chez les auteurs de l'antiquité, qui n'ont pas osé trahir les mystères de Vénus.


Si les courtisanes étaient les bienvenues dans le culte de leur déesse, elles ne pouvaient se mêler que de loin à celui des autres déesses; ainsi, elles célébraient, dans l'intérieur de leurs maisons, après la vendange, les Aloennes ou fêtes de Cérès et de Bacchus. C'étaient des soupers licencieux qui composaient le rituel de ces fêtes, dans lesquelles les courtisanes se réunissaient avec leurs amants pour manger, boire, rire, chanter et folâtrer. « A la prochaine fête des Aloennes, écrit Mégare à Bacchis dans les Lettres d'Alcyphron, nous nous assemblons au Colyte chez l'amant de Thessala pour y manger ensemble, fais en sorte d'y venir. » « Nous touchons aux Aloennes, écrit Thaïs à Thessala, et nous étions toutes assemblées chez moi pour célébrer la veille de la fête. » Ces soupers, appelés les petits mystères de Cérès, étaient des prétextes de débauches qui duraient plusieurs jours et plusieurs nuits.


Il paraît que dans certains temples de Cérès, à Éleusis par exemple, les courtisanes, dont les femmes honnêtes fuyaient la vue et l'approche, avaient obtenu d'ouvrir une salle à elles, où elles avaient seules le droit d'entrer sans prêtres, et où une d'elles présidait aux cérémonies religieuses, que ses compagnes, comme autant de vestales, embellissaient de leur présence plus chaste qu'à l'ordinaire. Durant ces cérémonies, les vieilles courtisanes donnaient des leçons aux jeunes dans la science et la pratique des mystères de la Bonne Déesse.

Le pontife Archias, qui s'était permis d'offrir un sacrifice à Cérès d'Eleusis, dans la salle des courtisanes, sans l'intervention de leur grande prêtresse, fut accusé d'impiété par Démosthène, et condamné par le peuple.


Tous les dieux, comme toutes les déesses, acceptaient pourtant les offrandes que les courtisanes leur envoyaient, sans oser toutefois pénétrer en personne dans les temples dont le seuil leur était fermé. La fameuse courtisane, Cottine, qui se rendit assez célèbre pour qu'on imposât son nom au dictérion qu'elle avait occupé, près de Colone, vis-à-vis un temple de Bacchus, dédia en l'honneur d'un de ses galants Spartiates un petit taureau d'airain, qui fut placé sur le fronton du temple de Minerve Chalcienne. Ce taureau votif se trouvait encore à sa place du temps d'Athénée. Mais il était pourtant un dieu qui se montrait naturellement moins sévère pour les femmes de plaisir, c'était Adonis, déifié par Vénus, qui l'avait aimé. Les fêtes d'Adonis étaient, d'ailleurs, tellement liées à celles de la déesse, qu'on ne pouvait guère adorer l'un sans rendre hommage à l'autre. Adonis avait eu aussi, dans les temps antiques, une large part aux offrandes de la Prostitution sacrée, avant que son culte se fût confondu dans celui de Priape. Les courtisanes de toutes les conditions profitaient donc des fêtes d'Adonis, qui attiraient partout tant d'étrangers, pour venir exercer leur industrie, sous la protection du dieu et à son profit, dans les bois qui environnaient ses temples. « A l'endroit où je te mène , dit un courtier à un cuisinier qu'il va mettre en maison, il y a un lieu de débauche : une hétaire renommée y célèbre les fêtes d'Adonis, avec une nombreuse troupe de ses compagnes. » Les Athéniens, malgré la juste réprobation que leurs moralistes attachaient à la vie des courtisanes, ne les trouvèrent pas plus déplacées dans leur Olympe que dans leurs temples, car ils élevèrent des autels et des statues à Vénus Leoena et à Vénus Lamia, pour diviniser les deux maîtresses de Démétrius Poliorcète.

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22 juillet 2007 7 22 /07 /juillet /2007 20:26

 

Les cathares, clandestins... malgré eux

 

Par Anne Brenon





Ces "pasteurs de l'ombre" du XIe siècle, accusés de pratiques démoniaques opérées dans le plus grand secret, sont en réalité les représentants d'une Eglise organisée délivrant un culte public. C'est seulement sous la contrainte qu'ils ont dû se cacher. Récit.

La réputation de mystère des hérétiques vient de loin : des plus anciennes dénonciations religieuses qui les condamnèrent. Au Moyen Age, douze chanoines d'Orléans, probables précathares, sont les premiers connus à avoir été livrés au feu en 1022. Ils sont présentés par les chroniqueurs d'Eglise de leur temps comme de secrets serviteurs des ténèbres : « Ils adoraient le diable, qui leur apparaissait d'abord comme un nègre puis comme un ange de lumière... Lui obéissant, ils reniaient en cachette totalement le Christ et se livraient en secret à des abominations et des crimes qu'il serait honteux même de relater... », rapporte Adémar de Chabannes. Dénoncés au XIIe siècle, en Champagne et en Bourgogne, pour hanter lieux sombres et souterrains, exorcisés en Rhénanie par Hildegarde de Bingen pour pratiques démoniaques occultes, les cathares sont encore décrits, au début du XIIIe siècle, en Languedoc, par le théologien Alain de Lille, comme de ténébreux magiciens : « Dans leurs conciliabules, ils font des choses très immondes [...]. On les appelle cathares, de catus, car, à ce qu'on dit, ils baisent le derrière d'un chat. »

Si l'inanité de telles accusations de débauche et de sorcellerie a depuis longtemps fait long feu, le catharisme garde toujours l'image d'un culte de l'ombre réservé à de mystérieux adeptes, un ésotérisme d'initiés. Or, travaillant à partir d'une documentation abondante et diversifiée, l'historien a maintenant les moyens de bien connaître le catharisme, tant dans ses manifestations sociales ouvertes que dans ses ressorts religieux profonds ; et ce particulièrement dans les zones méridionales de l'Europe, comme l'Occitanie des XIIe-XIIIe siècles, où il put développer en paix ses structures avant d'être en butte à la répression religieuse.

On peut ainsi sans grande difficulté briser la carapace des mythes et situer la grande hérésie médiévale dans ses réalités ; où l'on constate que, loin de constituer une société secrète - secte, religion à mystère ou mouvement initiatique - le catharisme se présenta comme simple Eglise, publique et organisée, de « bons chrétiens » voués à la cure des âmes. L'Histoire montre aussi que ce fut le seul poids de la répression qui le contraignit à la clandestinité et fit de ses derniers bons hommes, traqués par l'Inquisition, des pasteurs de l'ombre.

Certes, le vocable « secte » fut abondamment appliqué au catharisme par ses adversaires, les clercs de l'Eglise de Rome, qui dénonçaient ainsi dans l'hérésie un ensemble de groupuscules sans légitimité religieuse. Mais au sens premier du mot hérésie - qui exprime une coupure, une faille, un processus de séparation - le catharisme ne peut-il apparaître comme une « secte », branche rebelle divergeant du tronc de l'orthodoxie ? Il est de fait que le catharisme appartient à la grande famille du christianisme et que sa manifestation historique, aux XIe-XIIe siècles, le situe clairement en rupture avec les nouvelles conceptions théocratiques et militantes mises en oeuvre par la papauté grégorienne. On peut voir historiquement, dans les cathares, des religieux chrétiens contestataires, refusant l'autorité du pape.

Mais eux-mêmes se définissent comme uniques héritiers légitimes des apôtres, formant la seule vraie Eglise chrétienne. C'est, selon eux, l'Eglise romaine qui est la « secte », celle qui anciennement a divergé. Ainsi l'exprimaient déjà les hérétiques brûlés à Cologne en 1143, face à leurs persécuteurs catholiques : « Les faux apôtres [...] vous ont fait dévier, vous et vos pères. Nous et nos pères, de la lignée des apôtres, nous sommes demeurés dans la grâce du Christ. » Il est de fait que la religiosité cathare manifeste des traits de christianisme archaïque.

Peut-on pour autant considérer la « sainte Eglise » des cathares comme une religion à mystère, prolongeant en plein Moyen Age de secrets enseignements mazdéens, manichéens ou simplement gnostiques ? La réponse est non. Les seules autorités du catharisme sont les Ecritures chrétiennes - le Nouveau Testament reçu en totalité, l'Ancien Testament presque entièrement, à l'exception de la Genèse.

La prédication des bons hommes, à l'intention de leurs fidèles et de leurs novices, est beaucoup plus proche qu'on ne le croit généralement de l'enseignement de leurs confrères catholiques ; elle s'en écarte toutefois sur quelques points, qui témoignent d'un ancien mode d'exégèse de ces Ecritures - dualisme marqué entre Dieu et ce monde, refus de l'Incarnation et exaltation de la personne divine du Christ, foi en la toute bonté du Père céleste et dans le salut universel de toutes les âmes humaines, anges tombés du Royaume.

Mais si l'espérance chrétienne du catharisme reflète assez globalement les anciens schémas gnostiques, c'est en les épurant de toute leur exubérante floraison mythologique, pour les inscrire dans la stricte rationalité d'un message évangélique. Le dualisme cathare n'est pas fondé sur des postulats manichéens mais, très largement, dans l'évangile et la première épître de Jean, ou sur la parabole du bon arbre et du mauvais arbre - qui ne peuvent porter que de bons et de mauvais fruits. « C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez » (Matthieu 7, 20).

Au contraire d'une initiation « à mystère », cet enseignement religieux, défini comme « l'entendement du Bien », est par principe ouvert à tous, en vue de leur salut, et non réservé à une poignée d'élus. Ce n'est pas une révélation secrète, mais une prédication évangélique destinée à être partagée par le plus grand nombre, par tout le peuple chrétien. Ce n'est pas une gnose, mode de salut par diffusion au compte-gouttes d'une connaissance secrète, mais un processus d'évangélisation.

Il amène en effet à la pratique du salut chrétien par l'opération du Saint-Esprit, c'est-à-dire le consolament. Ce sacrement unique pratiqué par l'Eglise cathare, fondé en particulier dans les Ecritures de la Pentecôte, recouvre les fonctions de baptême, ordination, pénitence et extrême-onction. Il marque l'entrée en vie chrétienne consacrée, délie les péchés et ainsi sauve les âmes. Les croyants des villages occitans avoueront à l'Inquisition avoir cru que leurs « bons chrétiens » étaient « de bons hommes et de bonnes femmes, et qu'ils avaient le plus grand pouvoir de sauver les âmes... ».

« Toutes les âmes sont bonnes et égales entre elles, prêchaient ces bons hommes ; et toutes seront sauvées. » Nul ne sera exclu du salut de Dieu. L'universalisme de ce message, l'une des principales caractéristiques du christianisme cathare, est le gage de l'ouverture de ses structures d'Eglise.

Dans l'Europe du XIIe siècle, notamment en Champagne et en Rhénanie, l'hérésie - bien que caricaturée et réduite par la répression à la fuite perpétuelle et à la clandestinité - se révèle pourtant religieusement organisée. Les « pseudo-apôtres » brûlés à Liège et à Cologne dans les années 1135-1143, ont déjà leurs évêques. Bientôt, les documents révèlent des Eglises cathares bien structurées en Occitanie, puis en Italie. Elles y essaimeront en paix leurs maisons religieuses, protégées par une caste aristocratique tolérante - féodaux occitans, gibelins des cités italiennes - jusqu'à ce que la répression ne les rattrape, dans le courant du XIIIe siècle.

Quatre Eglises cathares, celles de l'Albigeois, du Toulousain, du Carcassès et de l'Agenais, se répartissent entre le comté de Toulouse, le comté de Foix et les vicomtés Trencavel ; vers 1225, est créée une cinquième Eglise, celle de Razès, autour de Limoux. Ce sont des Eglises épiscopales, groupées autour d'un évêque, successeur des apôtres et détenteur du pouvoir d'ordination, flanqué de deux coadjuteurs, le Fils majeur et le Fils mineur, et assisté d'un conseil d'Eglise. Cette hiérarchie est représentée au plan local par des diacres qui, chacun en sa circonscription, visitent les maisons religieuses de bons hommes et de bonnes femmes.

Ces établissements religieux sont innombrables, ouverts au sein des bourgades où ils jouent un rôle social non négligeable ; dirigés par un « ancien », ils se consacrent à la formation de novices, assurent une catéchèse de base à la population, reçoivent malades et miséreux. Couvents sans clôture, elles sont les bases omniprésentes d'une sorte de christianisme de proximité, qui ancre les Eglises cathares au sein d'une société médiévale ordinaire. Le plus souvent, les familles seigneuriales donnent elles-mêmes l'exemple de l'engagement dans les ordres cathares, à qui elles fournissent bons hommes et bonnes femmes.

Le culte est public, quasi officiel. Religieux et religieuses portent un habit régulier, de couleur noire, comme les bénédictins. La hiérarchie épiscopale, que les rituels cathares désignent sous le terme d'« ordre de sainte Eglise », monopolise les fonctions pastorales et sacerdotales ; évêques et diacres prêchent en chaire les dimanches et fêtes, sur l'évangile du jour ; ils sont aussi les ministres du sacrement, président les grandes cérémonies publiques des consolaments d'ordination où, devant une foule nombreuse de croyants et croyantes, les novices reçoivent l'imposition collective de tous les « bons chrétiens ».

Et le peuple chrétien des bourgades occitanes, qui voit bons hommes et bonnes femmes suivre ouvertement « la voie de justice et de vérité des apôtres », se persuade que telle sera aussi un jour, pour lui, la voie du salut de Dieu. Nulle rupture, nul fossé entre une caste sacerdotale et le monde laïque : chaque croyant est un « bon chrétien » en puissance.

La croisade contre les albigeois (1209-1229), prêchée par le pape contre les princes occitans protecteurs d'hérétiques et gagnée par le roi de France, change radicalement la donne, renversant le rapport de forces. Après la soumission des comtes et dynasties seigneuriales qui les soutenaient, les Eglises cathares, passent toutes dans la clandestinité ; mais, peu à peu, l'Inquisition, installée par la papauté à partir de 1233 sur le pays vaincu et épaulée par le pouvoir royal, va s'employer à les en débusquer par la persécution, démantelant ses réseaux de solidarité. Soutenue par une population croyante encore nombreuse et fervente, l'Eglise interdite résistera durant un siècle.

Après la chute de Montségur, forteresse pirate tenue par une poignée de chevaliers occitans rebelles, et le grand bûcher du 16 mars 1244 qui emporte dans les flammes la hiérarchie des Eglises cathares qui s'y était réfugiée, la clandestinité devient désespérée. Les derniers bons hommes et bonnes femmes errants battent la campagne de cache en cache, sous la protection de croyants terrorisés par l'Inquisition. C'est alors que se forge leur image de prédicants furtifs et clandestins. Les Eglises occitanes meurtries rassemblent des lambeaux de leur hiérarchie au refuge de l'Italie, où l'Inquisition peine à s'implanter - jusqu'à ce que la victoire définitive des partisans du pape (guelfes) sur ceux de l'empereur (gibelins), en 1269, n'ouvre la porte à la répression.

Dans la première décennie du XIVe siècle encore, l'extraordinaire tentative de reconquête cathare du midi de la France, opérée par Pèire Autier, montre combien l'hérésie, exsangue mais intacte, avait gardé souffle et grandeur après un siècle de persécution systématique. Seule la violence de la répression put en venir à bout. Sous la traque de l'Inquisition, avant d'être livré au bûcher avec tous ses frères, Pèire Autier prêchait encore pour la vraie Eglise chrétienne : « Car il y a deux Eglises ; l'une fuit et pardonne (Matthieu 10, 23) ; l'autre possède et écorche. » L'Eglise des bons chrétiens n'avait nulle vocation à cette dure clandestinité dont elle mourut.

Archiviste paléographe et diplômée en sciences religieuses de l'Ecole des hautes études, Anne Brenon est conservateur honoraire du Patrimoine de France. Elle a publié : Le Dernier des cathares, Pèire Autier (Perrin, 2006) et Les Cathares (Albin Michel 2007).

La symbolique

Le sud de la France, fief des comtes de Toulouse, voit se développer à la fin du XIIe siècle, une Eglise différente de l'Eglise catholique, où les prêtres-pasteurs se nomment "parfaits", où il n'existe qu'un seul sacrement, le consolament, une communauté nommée albigeoise, ou cathare. Pas de symbole, ni de lieu de prière, ni même une croix. En effet, la croix appelée, à tort, croix cathare, n'est autre que la croix de Toulouse (ou du Languedoc ou occitane) : une croix grecque à branches égales rectilignes, cléchée (ses extrémités sont en forme d'anneaux de clés) et pommetée d'or, dont les extrémités sont triplement bouletées et perlées. Il s'agit à l'origine d'une roue solaire à douze rayons, chaque anneau représentant un signe du zodiaque.

Repères

1167
Création des quatre évêchés cathares : Albi, Agen, Carcassonne et Toulouse.
1209
Début de la croisade contre les albigeois.
1210
Mutilation des habitants de Bram, chute de Minerve - où sont brûlés 140 cathares -, Termes et Puivert.
1215
Quatrième concile du Latran. Soumission de Toulouse face à Simon de Montfort.
1218
Mort de Simon de Montfort lors du second siège de Toulouse.
1226
Départ pour la croisade de Louis VIII.
1227
Les cathares deviennent clandestins.
1233
L'Inquisition est ordonnée par le pape Grégoire IX.
1243
Début du siège de Montségur.
1244
Fin théorique du catharisme.

Comprendre

Consolament
Appelé aussi "saint baptême de Jésus-Christ". Mariage mystique réalisé entre l'âme du fidèle et l'Esprit-Saint qui prend la forme d'un baptême spirituel transmis par l'imposition des mains.


Sources
Historia

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22 juillet 2007 7 22 /07 /juillet /2007 20:07

Rome : des mystes sous surveillance

 

Par Catherine Salles





Cybèle, Isis, Eleusis, Dionysos... toute une série de mystères d'origine orientale envahissent Rome, avec leurs rites plus spectaculaires les uns que les autres. C'en est trop pour le Sénat !

Les Romains n'apprécient guère les dérives des religions étrangères qui, pénétrant clandestinement dans leur ville, détournent les citoyens des valeurs nationales. La plupart de ces mouvements philosophico-mystiques séduisent en particulier par les promesses d'immortalité données à leurs adeptes. Au cours de « mystères » (cérémonies secrètes), le « myste » (initié) a la révélation fulgurante de la divinité à laquelle désormais il voue toute son existence. Il se plie dans sa vie quotidienne à des obligations rituelles et à des purifications traduisant sa foi personnelle.

Certains de ces mystères initiatiques sont célèbres dans le monde grec : ceux d'Eleusis où, chaque année, des centaines de pèlerins venus de tout le Bassin méditerranéen viennent vénérer Déméter et sa fille Korè (Perséphone) ; ceux des sectes orphiques promettant le bonheur suprême ; ou encore ceux de Dionysos dans lesquels les fidèles s'unissent au dieu par la frénésie collective des « orgies » (possessions inspirées). La loi du silence a bien fonctionné et nous ne savons pour ainsi dire rien du déroulement des mystères.

Les Romains, plus conservateurs, sont par principe hostiles au mysticisme incontrôlé des dévots des cultes à mystères. Ceux-ci menacent la religion officielle en donnant la priorité à l'individu aux dépens de la collectivité. Un épisode fort spectaculaire, daté de -186, illustre cette résistance des autorités romaines face aux nouvelles croyances. Depuis la fin du IIIe siècle av. J.-C., époque de la seconde guerre punique, de nombreux habitants d'Italie du Sud et de Sicile viennent se réfugier à Rome pour fuir les armées d'Hannibal. Ils apportent avec eux leurs pratiques cultuelles. A la suite d'un conflit familial entre un jeune homme et sa mère, le consul Postumius Albinus apprend l'existence au pied de l'Aventin d'un sanctuaire clandestin abritant les activités d'une « thiase » (confrérie) dionysiaque. L'enquête confidentielle menée par le consul révèle des pratiques inquiétantes pour Rome. Depuis peu une nouvelle prêtresse, Paculla Annia, a modifié les rites de l'initiation aux mystères de Bacchus. Ceux-ci, jusque-là réservés aux femmes, sont maintenant ouverts aux hommes, même très jeunes. Les cérémonies, au nombre de cinq par mois, se déroulent de nuit. Le voisinage se plaint des nuisances provoquées par ces bacchants, car le tapage les empêche de dormir. Les uns affirment que les fidèles défoulent leurs instincts les plus pervers dans des débauches collectives où des adolescents sont violés. D'autres disent avoir vu des bacchantes, vêtues de peaux de bêtes et les cheveux dénoués, plonger dans le Tibre des torches ardentes et les ressortir toujours enflammées. Les bacchants sont aussi accusés de falsifications de testaments et d'escroqueries pour alimenter leurs caisses. Les dénonciations vont plus loin : ceux qui ne veulent pas prêter serment sont jetés dans des machines infernales où ils trouvent la mort, et leurs cris sont couverts par le tintamarre des instruments de musique.

Des éléments inquiétants pour la cohésion nationale s'ajoutent à ces rumeurs circulant dans le peuple romain : les bacchants ne tiennent aucun acte pour sacrilège, ils amollissent et pervertissent les jeunes gens qui ne seront plus de bons soldats, ils constituent un « second peuple » dans Rome, car, dans leurs cérémonies, se trouvent mêlés hommes et femmes, enfants et vieillards, nobles et esclaves, Romains et étrangers. Sans véritablement vérifier le bien-fondé de ces accusations, le consul révèle au Sénat le danger dont la ville est menacée et n'hésite pas à diaboliser les pratiques des bacchants de l'Aventin. Sans hésiter, les sénateurs votent l'ouverture d'une enquête extraordinaire à Rome et en Italie sur ce groupe accusé de comploter contre l'ordre établi.

Pour éviter l'évasion des mystes, les portes de Rome sont barricadées et gardées par des patrouilles militaires qui arrêtent ceux qui tentent de fuir. Des policiers parcourent la ville pour s'emparer des prêtres et des fidèles de Dionysos. Terrifiés, beaucoup de Romains dénoncent leurs proches et leurs voisins dont certains se suicident pour échapper au châtiment. Des tribunaux d'exception jugent les accusés. Plus de sept mille hommes et femmes, de tout âge et de toute condition sociale, sont arrêtés à Rome et jugés sommairement. Ceux qui se sont contentés de répéter les formules sacrées sont emprisonnés. Ceux qui sont accusés de débauches, d'escroqueries, de crimes, subissent la peine capitale. Il y a tant de femmes parmi les condamnés à mort que le Sénat décrète la remise en vigueur du droit archaïque permettant au pater familias d'exécuter lui-même à l'intérieur de sa maison les femmes jugées coupables. A défaut d'une personne qui puisse légalement procéder à l'exécution, celle-ci a lieu en public.

Pendant plus de cinq ans, l'enquête se poursuit en Italie. Des milliers d'individus sont emprisonnés ou exécutés. Tous les autels et les temples dionysiaques sont détruits. Un sénatus-consulte interdit de célébrer à l'avenir des bacchanales à Rome et en Italie. Le hasard veut qu'on ait trouvé en Calabre le texte de ce sénatus-consulte gravé sur une table de bronze. Il précise que si quelqu'un se croit obligé de célébrer le culte de Bacchus, il doit demander l'autorisation au préteur et au Sénat.

Notre seule source pour l'affaire des Bacchanales, le récit de Tite-Live, ne contient que les pièces de l'accusation. Très probablement, la thiase dionysiaque de Rome ne comportait que quelques dizaines de fidèles, sans doute fort inoffensifs. Le dossier d'accusation contient les calomnies habituelles portées à l'égard de sectes religieuses plus ou moins clandestines - plus tard les mêmes reproches seront adressés aux communautés chrétiennes primitives. En fait, les activités des bacchants ont été montées en épingle par les groupes conservateurs du Sénat romain pour contrer les progrès des croyances et des moeurs venues de l'extérieur pendant la première moitié du IIe siècle av. J.-C. L

Agrégée de lettres classiques et docteur d'Etat, Catherine Salles vient de publier Voyage chez les empereurs romains, avec Jean-Claude Golvin (éditions Errance, 2006). Elle est l'auteur, entre autres, de Quand les dieux parlaient aux hommes. Introduction aux mythologies grecque et romaine (Tallandier, 2003).

La symbolique

Les mystes d'Eleusis, enfermés dans une grotte, sacrifient un animal puis reçoivent un épi de blé, signe de renouveau. Les initiés au culte de Cybèle se baignent dans le sang d'un taureau et simulent une union avec la déesse. Les adorateurs d'Isis jeûnent dix jours avant d'être acceptés dans le sanctuaire, vêtus d'une robe de lin.

Comprendre

Guerres puniques
Longue lutte entre Rome et Carthage dont l'enjeu est l'hégémonie en Méditerranée. La première guerre punique a lieu de -264 à -241, la seconde de -218 à -201.

Sources Historia




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31 mars 2007 6 31 /03 /mars /2007 02:37

Voilà une étude qui ne manque pas d'humour, écrite en 1805.

Du culte du Phallus chez les Grecs

Extrait de l’ouvrage, Les divinités génératrices (1805)


Par Jacques-Antoine DULAURE

Des colonies égyptiennes vinrent, à différentes époques, s’établir dans certaines parties de la Grèce, y apportèrent leurs mœurs, leur religion, et les firent insensiblement adopter par les habitants incivilisés de ce pays, qui étaient alors connus sous le nom de Pélasges. Un des chefs de ces colonies fonda, en Béotie, une ville à laquelle il donna le nom de Thèbes, que portait une autre ville très fameuse de la haute Égypte, où l’on adorait particulièrement le soleil sous le nom de Bacchus, et par suite le Phallus, un de ses principaux symboles.

Hérodote et Diodore de Sicile s’accordent à dire que le culte de Bacchus fut porté en Grèce par un nommé Mélampous, qui vivait cent soixante-dix ans avant la guerre de Troie. « Mélampous, fils d’Amythaon, avait, dit Hérodote, une grande connaissance de la
cérémonie sacrée du Phallus. C’est lui en effet qui a instruit les Grecs du nom de Bacchus, des cérémonies de son culte, et qui a introduit parmi eux la procession du Phallus. Il est vrai qu’il ne leur a pas découvert le fond de ces mystères ; mais les sages qui sont venus après lui en ont donné une plus ample explication.
« C’est donc Mélampous, ajoute-t-il, qui a institué la procession du Phallus que l’on porte en l’honneur de Bacchus, et c’est lui qui a instruit les Grecs des cérémonies qu’ils pratiquent encore aujourd’hui1. »

Le même historien nous apprend que Mélampous, instruit par les Égyptiens d’un grand nombre de cérémonies, entre autres de celles qui concernent le culte de Bacchus, les introduisit dans la Grèce avec de légers changements. Il convient que les cérémonies pratiquées par les Grecs ont beaucoup de ressemblances avec celles des Égyptiens. Plutarque dit de même que les Pamylies des Égyptiens, fêtes célébrées en l’honneur du dieu-soleil Osiris et dans lesquelles on portait le Phallus, ne différaient point des Phallophories des Grecs, célébrées en l’honneur du dieu-soleil Bacchus, où l’on portait aussi des Phallus2. La différence qu’y trouve Hérodote consiste en ce que les Grecs, dans leur fête, ne sacrifiaient point un porc, comme les Égyptiens, et que le Phallus qu’ils portaient dans les processions n’adhérait point à une figure humaine, mais qu’il était isolé.

Hérodote pense que les connaissances acquises par Mélampous sur le culte de Bacchus provenaient de ses liaisons avec les descendants de Cadmus de Tyr, et avec ceux des Tyriens de sa suite qui vinrent de Phénicie dans cette partie de la Grèce qu’on appelle aujourd’hui Béotie.
Les Grecs ne composèrent pas seulement leur théologie de celle de la haute et basse Égypte, mais encore ils y amalgamèrent le culte grossier des Pélasges, anciens habitants de la Grèce. Hérodote nous apprend que l’Hermès à Phallus ou Mercure au membre droit, ne vient point d’Égypte, que les Athéniens le tiennent des Pélasges qui habitaient le même canton. « Les Pélasges, ajoute-t-il, en donnent une raison sacrée que l’on trouve expliquée dans les mystères de Samothrace3. »

Au culte transmis par les Égyptiens, à celui qu’ils trouvèrent établi chez les Pélasges, les Grecs ajoutèrent les cultes en vigueur chez les Syriens, les Babyloniens, les Phéniciens,
les Phrygiens, et d’autres peuples qui fondèrent des colonies chez eux ou avec lesquels ils étaient en commerce. Ce mélange confus devint la matière que l’imagination féconde et déréglée des Grecs mit en œuvre pour enfanter le dédale inextricable de la mythologie, cet océan d’aventures ridicules ou merveilleuses, souvent contradictoires, qui ont fait le désespoir des commentateurs.
Au milieu de ce chaos, il subsiste cependant des points de reconnaissance qui établissent la conformité des cérémonies et des fables des Grecs, avec celles qui étaient en usage chez les étrangers. Le Phallus, par exemple, fut constamment chez eux, comme il était chez les Égyptiens et autres peuples, uni au culte du dieu-soleil.

Bacchus était nommé en Grèce Dionysos4 et ses fêtes Dionysiaques. II y avait plusieurs fêtes de ce nom ; celles qui se célébraient à la ville étaient appelées les grandes Dionysiaques ou les Dionysiaques urbaines ; elles avaient lieu à Limna, dans l’Attique, où Bacchus avait un temple, le 12 du mois élaphébolion, qui répond au 12 du mois de mars, et
huit jours avant l’époque où la même fête se célébrait en Égypte sous le nom de Pamylies.
Les grandes Dionysiaques duraient pendant trois jours. Quatorze prêtresses, choisies par l’archonte-roi et présidées par son épouse, figuraient dans cette solennité.
Ces fêtes, dans leur origine, se célébraient sans luxe et sans beaucoup d’appareil. Voici ce qu’en dit Plutarque :

« Rien n’était plus simple et en même temps plus gai, que la manière dont on célébrait autrefois, dans ma patrie, les Dionysiaques. Deux hommes marchaient à la tête du cortège, dont l’un portait une cruche de vin et l’autre un cep de vigne ; un troisième traînait un bouc ; un quatrième était chargé d’un panier de figues ; une figure du Phallus fermait la marche. On néglige aujourd’hui, continue-t-il, cette heureuse simplicité ; on la fait même disparaître sous un vain appareil de vases d’or et d’argent, d’habits superbes, de chevaux attelés à des chars et de déguisements bizarres5. »

Voici quelle était ordinairement l’ordonnance de cette pompe religieuse :
La marche s’ouvrait par des bacchantes qui portaient des vases pleins d’eau ; ensuite s’avançaient de jeunes vierges recommandables par la pureté de leurs mœurs et par leur naissance, appelées canéphores, parce qu’elles portaient des corbeilles d’or remplies des prémices de tous les fruits, où se trouvaient des serpents apprivoisés, différentes fleurs, quelques objets mystiques, comme le sésame, le sel, la férule, le lierre, des pavots, des gâteaux de forme ombilicale, des placenta, et notamment le Phallus couronné de fleurs.
À la suite de cette troupe de vierges, paraissaient les phallophores : c’étaient des hommes qui ne portaient point de masque sur leur visage, mais qui le couvraient avec un tissu formé par des feuilles de lierre, de serpolet et d’acanthe. Une épaisse couronne de
lierre et de violette ceignait leur tête. Ils portaient l’amict6 et la robe augurale ; ils tenaient en main de longs bâtons de la cime desquels pendaient des Phallus.
Cette partie de la solennité était nommée Phallophorie, Phallogogie, Périphallie.
Venait ensuite un chœur de musiciens qui chantaient ou accompagnaient, au son des instruments, des chansons analogues au simulacre que les phallophores étalaient, et criaient par intervalles : « Évohé Bacché, io Bacché, io Bacché ! »

À ce chœur de musiciens, succédaient les ithyphalles. Ils étaient, suivant Hésichius, vêtus d’une robe de femme. Athénée les présente la tête couronnée, les mains couvertes de gants sur lesquels des fleurs étaient peintes, portant une tunique blanche et l’amict tarentin, à demi vêtus, et, par leurs gestes et leur contenance, contrefaisant les ivrognes. C’étaient surtout les ithyphalles qui chantaient les chants phalliques et qui poussaient ces exclamations, eithé me ityphallé !
Suivaient le van mystique et autres objets sacrés.
Des groupes de satyres et de bacchantes figuraient souvent dans ces processions. Ces dernières, à demi nues ou couvertes seulement d’une peau de tigre passée en écharpe, les cheveux épars, tenant en main des torches allumées ou des thyrses, s’abandonnaient aux mouvements les plus impétueux, en hurlant des évohé, et menaçaient ou frappaient même les spectateurs. Elles exécutaient quelquefois des danses appelées phalliques, dont le principal caractère consistait en mouvements lascifs.
Les satyres traînaient des boucs ornés de guirlandes et destinés au sacrifice ; puis on voyait arriver, monté sur un âne, le personnage qui jouait le rôle de Silène, et représentait ce nourricier de Bacchus chancelant et à demi ivre.
On doit juger que de telles scènes religieuses devaient facilement dégénérer en abus :
Aussi, tout ce que l’ivresse et la débauche ont de plus dégoûtant était audacieusement offert aux yeux du public. Un médecin de l’antiquité, Arétéus, dit en parlant des satyres qui accompagnaient les pompes de Bacchus, qu’ils s’y présentaient d’une manière fort indécente, dans un état apparent de désir dont la continuité étonnante était regardée comme une grâce du ciel, une marque de l’assistance divine7.
Il est possible que ce déclamateur ait pris la fiction pour la réalité et le postiche pour la
nature. Divers monuments antiques qui nous retracent les scènes des groupes de satyres, nous représentent des hommes dont la tête était couverte d’un masque entier ou têtière, et le corps et les jambes enveloppés de peaux de bouc. On peut croire que le travestissement était complet, et qu’un Phallus artificiel était substitué au naturel ; car sans cela, la durée de l’état en question, un éréthisme si soutenu, pendant une course longue et fatigante, serait vraiment un miracle.
Que les jeux obscènes des groupes de satyres fussent figurés ou réels, ils n’en étaient
pas moins des attentats à la pudeur publique ; et un Père de l’Église grecque, révolté de ces scènes scandaleuses, s’exprime de la sorte :

« L’homme le plus débauché n’oserait jamais, dans le lieu le plus secret de son appartement, se livrer aux infamies que commet effrontément le chœur des satyres, dans une procession publique8. »
Cette marche religieuse était suivie de jeux qui avaient un caractère analogue. La jeunesse s’exerçait à sauter sur des outres enflées de vent et à courir, les yeux bandés, parmi des Phallus ornés de fleurs et suspendus à des pins ou à des colonnes. On regardait comme un présage de bonheur lorsqu’en courant, la tête venait à se heurter contre ces simulacres.
Les prêtres d’Osiris, d’Adonis, d’Attis, de Chiven et d’autres dieux-soleil, avaient composé pour chacune de ces divinités une ou plusieurs fables ou légendes que l’on récitait lors de leurs fêtes, qui servaient aussi de matière à leurs hymnes et dans lesquels on rendait raison de leur association avec le Phallus. Les prêtres de Bacchus suivirent cet exemple et composèrent une fable dont voici le sommaire :
Bacchus a perdu sa mère Sémélé, tuée par la foudre ou morte dans un incendie : il la cherche dans plusieurs pays, et va jusqu’aux enfers pour la trouver. Pendant le cours de ses recherches, il rencontre un jeune homme appelé Polymnus ou Nosumus qui promet de le conduire auprès de sa mère et de lui montrer le chemin des enfers s’il en avait besoin ; mais Polymnus, devenu amoureux de Bacchus, exigea, pour prix de ce service, une complaisance honteuse. Le dieu consentit sans difficulté. On va voir de quelle manière il tint sa promesse.

Polymnus mourut en chemin. Bacchus lui éleva un tombeau et, en mémoire du défunt, il fabriqua, avec une branche de figuier, un Phallus qu’il plaça sur ce monument.
Deux Pères de Église, qui me fournissent ces détails, Arnobe et Clément d’Alexandrie, en ajoutent de fort scandaleux. Leurs expressions sont si peu ménagées qu’à cause de la
sévérité de notre langue et de la délicatesse de nos oreilles, je ne puis les traduire. Je me bornerai à dire que Bacchus, jaloux de remplir ses engagements, planta le Phallus de bois sur le tombeau du défunt, s’assit à nu sur sa pointe, et que, dans cette attitude, il s’acquitta complètement, envers ce simulacre, de la promesse qu’il avait faite au jeune Polymnus9.

C’était par ces contes obscènes qui décèlent l’immoralité du temps auquel ils ont été inventés, que les prêtres amusaient le peuple et le trompaient sur le véritable motif de
l’institution du Phallus ; comme si des mensonges orduriers devaient être plus profitables à la religion que des vérités simples, dont la connaissance était réservée aux seuls initiés des hautes classes.


Le scoliaste d’Aristophane attribue à une autre cause l’institution du Phallus en Grèce. Il raconte qu’un nommé Pégaze, ayant introduit le culte de Bacchus et de ses symboles dans
l’Attique, les habitants de ce pays refusèrent de l’adopter. Ils en furent punis par ce dieu, qui les frappa de maladie dans les parties de la génération, maladie incurable qui résistait à tous les remèdes, et dont ils ne purent se débarrasser qu’en rendant de grands honneurs à Bacchus. Ils fabriquèrent alors des Phallus, comme un hommage particulier qu’ils faisaient à cette divinité, et comme un monument de leur reconnaissance et de leur attachement pour elle.
Les Grecs, très affectionnés au culte du Phallus, l’introduisirent dans les cérémonies consacrées à plusieurs autres divinités. « On a conservé la coutume, dit Diodore de Sicile, de rendre quelques honneurs à Priape, non seulement dans les sacrés mystères de
Bacchus, mais aussi dans ceux des autres dieux, et l’on porte sa figure aux sacrifices, en
riant et en folâtrant. »
Vénus et Cérès, la première présidant à la fécondité de l’espèce humaine, la seconde à celle des champs, devaient avoir droit au Phallus, symbole général de la fécondité.
La consécration du Phallus par Isis, en Égypte, la réunion à Byblos, dans un même temple, du culte du Soleil, de Vénus Astarté et du Phallus, cette même réunion du simulacre des deux sexes dans l’Inde, prouvent que les Grecs ne manquaient pas d’exemples pour associer le Phallus au culte de Vénus ; aussi l’unissaient-ils souvent au Mullos, c’est-à-dire
au simulacre de la partie du sexe féminin, et cette réunion complétait l’allégorie. Aussi voyait-on, dans l’île de Chypre, dans les mystères de la mère des amours, figurer l’emblème de la virilité. Les initiés aux mystères de la Vénus cyprienne, recevaient ordinairement une poignée de sel et un Phallus.
Une secte particulière et peu connue, appelée la secte des Baptes, célébrait à Athènes, à Corinthe, dans l’île de Chio, en Thrace et ailleurs, les mystères nocturnes de Cotitto, espèce de Vénus populaire. Les initiés qui se livraient à tous les excès de la débauche, y employaient les Phallus d’une manière particulière ; ils étaient de verre, et servaient de vase à boire10.
Ceux qui ne voient, dans ce symbole de la reproduction, que le caractère du libertinage, doivent s’étonner de ce qu’il faisait partie intégrante des cérémonies consacrées à Cérès, divinité si recommandée par sa pureté, et surnommée la Vierge sainte ; de ce qu’il figurait dans les mystères de cette déesse à Éleusis, appelés mystères par excellence, auxquels tous les hommes de l’antiquité, distingués par leurs talents, par leurs vertus, s’honoraient d’être initiés, d’où les scélérats, fussent-ils sur le trône, étaient rigoureusement exclus, dont la moralité des dogmes, ainsi que la sagesse des principes, sont garanties par le témoignage des écrivains grecs ou romains, connus par leur véracité et leurs belles actions. C’est Tertullien qui nous apprend que le Phallus faisait, à Éleusis, partie des objets mystérieux. Aucun autre écrivain de l’antiquité n’avait fait connaître cette particularité, nul initié n’avait avant lui révélé ce secret. « Tout ce que ces mystères ont de plus saint, dit-il, ce qui est caché avec tant de soin, ce qu’on est admis à ne connaître que fort tard, ce que les ministres du culte, appelés Epoptes, font si ardemment désirer, c’est le simulacre du membre viril11. »


Théodoret dit que l’on vénérait aussi, dans les orgies secrètes Éleusis, l’image du sexe féminin12.
Pour justifier la présence de ces figures obscènes dans des mystères aussi saints, pour donner un prétexte à cette association du culte de Cérès et de celui du Phallus, voici la fable extravagante que les prêtres imaginèrent :
Cérès cherchait sa fille Proserpine que Pluton avait enlevée. Dans cette intention, elle parcourait le monde, tenant deux flambeaux qu’elle avait allumés aux feux du mont Etna. Elle arrive fatiguée à Éleusis, bourg de l’Attique. Une femme, nommée Baubo, lui offre l’hospitalité, lui fait un accueil gracieux, cherche par ses caresses à adoucir le chagrin dans lequel la déesse est plongée, et lui présente, pour la rafraîchir, cette liqueur fameuse dans les mystères, et que les Grecs appelaient cycéon. Cérès, en proie à sa douleur, refuse avec dédain ce breuvage, et repousse la main de celle qui l’invite à se désaltérer.
Voyant que ses instances, plusieurs fois renouvelées, étaient vaines, Baubo, pour vaincre l’obstination de la déesse, a recours à d’autres moyens. Elle pense qu’une plaisanterie, en l’égayant, pourra la disposer à prendre la nourriture dont elle a besoin. Dans ce dessein, elle sort, fait ses dispositions, puis reparaît devant la déesse, se découvre à ses yeux, et de la main secoue et caresse une petite figure qu’elle a formée en certain lieu. À ce spectacle aussi étrange qu’inattendu, Cérès éclate de rire, oublie son chagrin, et consent
avec joie à boire le cycéon13.
Dans les fêtes Éleusis, on chantait un hymne dont une strophe contenait la conclusion de cette aventure. Clément d’Alexandrie et Arnobe ont tous les deux publié cette fable ; ils nous ont de plus transmis cette strophe, monument authentique de la grossièreté et de l’indécence des fables que débitaient les prêtres de l’antiquité.


Dans les fêtes appelées Targilies, qui se célébraient le 6 du mois de targélion ou de mai, on voyait aussi figurer le Phallus. Sa présence, dans cette solennité, ne doit point étonner, puisqu’elle était consacrée à Apollon, dieu-soleil, et à Diane, divinité de la lune, ou, suivant le scoliaste d’Aristophane, au soleil et aux saisons. II ajoute que des jeunes gens portaient, dans cette fête, des branches d’olivier, d’où pendaient des pains, des légumes, des glands, des figues et des Phallus14.


On a remarqué que le Phallus était constamment lié aux dieux-soleil, quels que fussent les noms qu’ils portassent ; qu’il en était dépendant, et qu’il ne figurait, dans les mystères consacrés à cet astre, que comme un symbole, un objet secondaire de la cérémonie, mais non comme une divinité particulière. Les habitants de Lampsaque15, ville située sur les bords de l’Hellespont, s’avisèrent, les premiers, de tirer ce symbole de la dépendance des dieux soleil, de l’ériger en divinité, et de lui rendre un culte particulier sous le nom antique de Priape. Ce dieu naquit dans cette ville, dit la fable, ce qui, en langage allégorique, signifie que son culte y prit naissance.
Priape était représenté comme un Hermès, un Terme, dont la tête, et quelquefois la moitié du corps, appartenait à l’espèce humaine. Sa figure était la copie de ces Hermès, ou Mercure, munis d’un Phallus colossal, qui étaient si nombreux en Grèce, dans les champs, sur les chemins et dans les jardins. Ils étaient évidemment une imitation des figures à Phallus disproportionné que les femmes d’Égypte portaient en procession, pendant les fêtes d’Osiris, et que l’on conservait dans le temple d’Hiérapolis, en Syrie.
C’étaient de tels Hermès à Phallus qui, placés dans les carrefours d’Athènes, furent mutilés dans une débauche nocturne par Alcibiade et ses compagnons, profanation qui eut
pour lui des suites très fâcheuses.
C’était aussi à ces Hermès à tête humaine et à Phallus, que Philippe, roi de Macédoine, comparait les Athéniens. Ils n’ont, disait-il, comme les Hermès, que la bouche et les parties de la génération, pour exprimer qu’ils n’étaient que babillards et libertins16.
Les habitants de Lampsaque, ignorant l’origine de cette divinité, et n’ayant d’autres données que sa figure pour lui composer une légende ou une fable, et trouvant entre certaine partie de l’âne et le trait qui caractérisait Priape, des rapports frappants, lui sacrifièrent un âne, et introduisirent cet animal comme acteur, dans les aventures qu’ils
supposèrent à ce dieu. Voici en substance quelle fut cette fable.
Sa naissance est fort incertaine. Il était, suivant les uns, fils de Bacchus et d’une nymphe appelée Naïade. D’autres lui donnent pour mère la nymphe Chionée ; Hygin le dit fils de Mercure, et Apollonius, d’Adonis et de Vénus. Il naquit, suivant l’opinion la plus généralement adoptée, de Bacchus et de Vénus. Les mythologues, qui le font fils d’Hermès ou de Mercure, annonçaient par-là que ce dieu devait sa naissance aux pierres ou aux troncs d’arbres appelés Hermès par les Grecs, et qui avaient servi à composer sa figure.
Ceux qui le disent fils de Bacchus ou d’Adonis, dieux-soleil, exprimaient son origine par une allégorie plus savante et plus conforme à la vérité.
La jalouse Junon, apprenant que sa fille Vénus était enceinte, la visita et, sous le prétexte de la secourir, elle employa, en lui touchant le ventre, un charme secret qui la fit accoucher d’un enfant difforme, et dont le signe de la virilité était d’une proportion
gigantesque. Vénus, fâchée d’avoir donné le jour à un enfant monstrueux, l’abandonna, et le fit élever, loin d’elle, à Lampsaque. Devenu grand, le dieu courtisa les dames de cette ville, et sa difformité ne leur déplut pas : mais les maris, jaloux, le chassèrent honteusement. Ils furent bientôt punis de cette violence ; une maladie cruelle les attaqua à l’endroit même où le dieu préside. Dans cette fâcheuse extrémité, on consulta l’oracle de Dodone et, d’après son avis, Priape fut honorablement rappelé, et les pauvres maris se virent contraints de lui dresser des autels et de lui rendre un culte17.
Telles sont les fables fabriquées sur l’origine de Priape. Voici celles qui expliquent l’association de l’âne à son culte.
Un jour, Priape rencontra Vesta couchée sur l’herbe et plongée dans un profond sommeil. Il allait profiter d’une occasion aussi favorable à ses goûts lascifs, lorsqu’un âne vint fort à propos réveiller par ses braiments la déesse endormie, qui échappa heureusement
aux poursuites du dieu libertin.
Lactance et Hygin attribuent à une autre cause l’usage d’immoler un âne à ce dieu, et cette cause est encore moins décente. Priape eut, disent-ils, une dispute avec l’âne de Silène que montait Bacchus lors de son voyage dans l’Inde. Priape prétendait être, à certain égard, mieux que l’âne, avantagé de la nature. La question, dit Lactance, fut décidée en faveur de l’animal, et Priape, furieux d’une telle humiliation, tua son concurrent. Hygin raconte au contraire que Priape fut vainqueur, et que l’âne, vaincu, fut mis au rang des astres18.
Le peuple de Lampsaque, dit Pausanias, est plus dévot à Priape qu’à toute autre divinité19. Il était le dieu tutélaire de cette ville, dont les médailles, conservées jusqu’à nos jours, offrent sa figure bien caractérisée et attestent encore la considération dont il jouissait parmi ses habitants. Ces médailles, qui se voient dans les cabinets des curieux, le présentent le plus ordinairement sous la forme d’un Hermès où le monstrueux Phallus est ajusté.


Des empereurs romains, non pas de ceux qui se sont distingués par leur extrême débauche, ont voulu éterniser leur dévotion au dieu de Lampsaque, et faire frapper des médailles où leurs noms sont associés au signe indécent de cette divinité. On en trouve une de Septime Sévère, et une autre que la ville même de Lampsaque fit frapper en l’honneur de l’empereur Maximin20.


La ville de Priapis ou de Priape, bâtie sur les bords de la mer Propontide, dans la Troade, doit son nom au culte de cette divinité. Ce fut dans ce lieu, dit la fable, que Priape, chassé par les maris de Lampsaque, vint chercher un asile. On y voyait un temple où le dieu-soleil Apollon était adoré sous le nom de Priapesaeus. Ainsi, les habitants avaient conservé, dans leur culte, les rapports existant entre l’astre du jour et l’emblème de la
fécondité.
Pline fait mention de plusieurs autres lieux qui portaient le nom de Priape, et où, sans doute, il était vénéré comme la divinité principale. En parlant des îles de la mer d’Éphèse, il en nomme une appelée Priapos21. Il dit ailleurs qu’au golfe Céramique est l’île Priaponèse22.
Priape était honoré d’un culte particulier dans différentes villes de la Grèce ; telles étaient Ornée, située près de Corinthe, qui donna à ce dieu le surnom d’Ornéates et à ses fêtes celui d’Ornéennes ; Colophon, ville de l’Ionie, fameuse par son oracle d’Apollon. On y célébrait avec beaucoup d’éclat les fêtes de Priape, et ce dieu n’y avait, pour ministres, que des femmes mariées.
Les Cylléniens rendaient aussi à Priape un culte particulier, ou plutôt ils confondaient cette divinité avec celle d’Hermès ou de Mercure ; car, comme je l’ai dit, les Hermès à
Phallus ne différaient en rien des Priapes pour la figure : la matière de pierre ou de bois, le lieu où ils étaient placés, et les honneurs qu’on leur rendait, faisaient les seules différences.
Une de ces figures ; que Pausanias qualifie d’Hermès, recevait les honneurs divins à Cylenne. Elle était élevée sur un piédestal et présentait un Phallus remarquable23.
Le même auteur a vu sur le mont Hélicon une autre figure de Priape qui, dit-il, mérite l’attention des curieux. Ce dieu est, continue-t-il, surtout honoré par ceux qui nourrissent des troupeaux de chèvres ou de brebis ou des mouches à miel24.
Tous les auteurs qui parlent de Priape s’accordent avec les monuments numismatiques et lapidaires à donner à son signe caractéristique des proportions plus grandes que nature. Les Grecs avaient conservé l’antique tradition sur cette forme colossale qui rend le signe étranger à la figure humaine auquel il adhère.
Ils conservèrent aussi au Phallus et à Priape même ses rapports originels avec le soleil, et leur culte ne fut presque jamais séparé de celui de cet astre, sous quelque nom qu’il fût adoré. Déterminés par ces principes, ils accordèrent à Priape le titre auguste de sauveur du monde, qu’on a souvent donné aux dieux-soleil et surtout aux différents signes qui ont successivement marqué l’équinoxe du printemps, tels que les Gémeaux, le Taureau, le Bouc, enfin le Bélier ou l’Agneau. Cette qualification divine se trouve en une inscription grecque placée sur le Priape antique du musée du cardinal Albani25.
On sacrifiait un âne à Priape ; on lui offrait des fleurs, des fruits, du lait et du miel ; on
lui faisait des libations en versant du lait ou du vin sur la partie saillante qui distingue cette divinité ; on y appendait des couronnes et même de petits Phallus en ex-voto ; enfin, les dévots venaient baiser religieusement le Phallus consacré.

L’introduction et les progrès du christianisme en Grèce devinrent funestes au culte du Phallus et de Priape, mais ne l’anéantirent pas. Lors même que plusieurs écrivains chrétiens s’attachaient à déclamer contre lui, se récriaient contre ses indécences, en décrivaient, et peut-être même en exagéraient les abus, une secte favorable au Phallus s’établissait sous une forme nouvelle. C’était celle qui célébrait les fêtes appelées orphiques, espèce de Dionysiaques régénérées sous des noms différents. La divinité qui en était l’objet se nommait Phanès, surnom du soleil ; elle était figurée avec un Phallus très apparent qui, suivant quelques auteurs, était placé en sens inverse.
La secte des orphiques se distingua d’abord par ses principes austères, par ses mœurs pures, qui dégénérèrent dans la suite en débauche26.
Aux déclamations violentes et répétées des Pères de Église contre le Phallus, les partisans de ce culte répondaient qu’il était un emblème du soleil, de l’action régénératrice de cet astre sur toute la nature.
Un philosophe platonicien, Jamblique, qui vivait sous le règne de Constantin, disait que l’institution des Phallus était le symbole de la force générative ; que ce symbole provoquait la génération des êtres. « C’est véritablement, ajoutait-il, parce qu’un grand nombre de Phallus sont consacrés, que les dieux répandent la fécondité sur la terre27. »
Malgré les atteintes du christianisme, le culte du Phallus se soutint encore longtemps chez les Grecs. Les femmes de cette nation continuèrent de porter à leur cou, comme un
préservatif puissant, des amulettes ithyphalliques de diverses formes, comme les indiennes portent le taly ; elles le plaçaient même quelquefois plus bas que le sein. Arnobe et son disciple Lactance, qui vivaient sous l’empire de Dioclétien, c’est-à-dire vers le commencement du IIIe siècle de l’ère chrétienne, prouvent, par leurs déclamations, que ce culte était alors dans toute sa vigueur en Grèce. « J’ai honte, dit Arnobe, de parler des mystères où le Phallus est consacré, et de dire qu’il n’est point de canton dans la Grèce où l’on ne trouve des simulacres de la partie caractéristique de la virilité28. »
Lactance tourne en ridicule la figure et la fable de Priape29, et plusieurs Pères de l’Église qui ont vécu après eux, tiennent le même langage et attestent la continuité de ce culte.
L’historien Évagrius, qui écrivait vers la fin du VIe siècle, témoigne que toutes les cérémonies du culte du Phallus existaient encore de son temps ; il se moque des ithyphalles, des Phallogonies, du Priape, remarquable par les dimensions gigantesques de son signe caractéristique, et de la corbeille sacrée qui contenait le Phallus30.
Nicéphore Calixte, autre historien ecclésiastique plus récent et qui n’est mort qu’au VIIe siècle, parle aussi des Phallus, des ithyphalles, ainsi que du culte de Pan et de Priape, comme des objets ridicules qui cependant recevaient encore les hommages religieux des Grecs31.
Les exemples que je rapporterai dans la suite, de quelques peuples qui, ayant embrassé le christianisme, ont conservé plusieurs pratiques de l’idolâtrie et du culte du Phallus, me portent à croire que les Grecs, devenus chrétiens et néanmoins restant attachés à une infinité de superstitions païennes, se sont difficilement déshabitués de ce culte, et qu’il doit en rester encore des traces parmi eux.

1 Hérodote, Euterpe, 1. 11, sect. 49.
2 Plutarque, Traité d'Isis et d'Osiris.
3 Hérodote, Euterpe, sect. 51.

4 Cette dénomination dérive, dit-on, de Nysa, ville où Jupiter fit porter Bacchus par Mercure, pour y être élevé par des nymphes ; ou du nom de Nysa, fille d'Aristeus, qui le nourrit. Ce sont des fables. Bacchus ne fut élevé par personne ni dans aucune ville. Bacchus était le soleil, et ce nom lui vient du pays de Cous, dans la Thébaïde. La syllabe ab ou ba signifie père, maître, dieu ; ainsi, le nom de Bacchus doit être interprété par le père ou le dieu de Cous. Quant au nom Dionysos, il est le même qu'Adon, Adonis, Adonai, Dionis, qui signifient maître, seigneur, qualifications qu'on a toujours données au soleil.

5 Plutarque, Œuvres morales, Traité de l'amour des richesses, vers la fin.

6 Pièce du vêtement liturgique, que le prêtre place autour de son cou et sur ses épaules, sous l’aube.

7 Satyri in hanc pompam procedebantur erecto pene, quod tamen rei divinæ signum æstimabant. Areteus, 1. II. Auctorum, chap. xtt.
8 Théodoret, cité par Castellan., de Festis Græcorum, Dionysia, p. 101.
9 Voici comment Arnobe décrit cette action de Bacchus: « Figit (penem) super aggerem tumuli, et postica ex parte nudatus, insidit, lascivia deinde surientis assumpta, huc atque illuc clunes torquet, et meditatur ab ligno pati quod jamdudum in veritate promiserat.» (Arnobii adversus Gentes, 1. V, p. 177, éd. 1651.) (Clément Alexand., Propterpt.). Arnobe et Clément d'Alexandrie ne sont pas les seuls Pères de Église qui ont rapporté cette fable : on la trouve avec ces circonstances dans Julius Firmicus, De Errore profanarum Religionum ; dans Théodoret, Sermo 8 De. Martyribus ; dans Nicetas, sur Grégoire de Nazianze, orat. 39, p. 829, etc. Voyez au surplus Observationes ad Arnobium Gebharti Elmenhorstii, p. 171.
10 Juvénal, parlant de la licence extrême de ces mystères, dit (Satyre 11, vers 95) : « ... Vitreo bibit ille priapo. »

11 Tertullien, Adversus Valentinianos. Tertuliani opera, p. 250.
12 Castellanus, de Festis Græcorum, Eleusinia, pp. 143 et 144.
13 Partem illam corporis, per quam secus femineum et soholem prodere, et nomen solet acquirere generi, tum longiore ab incuria liberat : Facit sumere habitum puriorem, et in speciem levigari nondum duri atque striculi pusionis : redit ad deam tristem... atque omnia illa pudoris loca revelatis monstrat inguinibus atque pubi affigit oculos Diva et inauditi specie solaminis pascitur, etc. » Ce passage, sans doute corrompu dans plusieurs
endroits, a embarrassé les commentateurs. (Arnobe, Adversus gentes, 1. V, pp. 174 et 175, Godescale. Stevch. in Arnob. Observat. Elmenhorst. Desid, Heraldi animadversiones, etc.)
14 Histoire religieuse du Calendrier, par Court de Gebelin, p. 436.
15 Aujourd’hui nommé Laspi.

16 Stobée, Serm., 11.
17 On voit que cette fable a le même fond que celle rapportée par le Scoliaste d'Aristophane, sur l'origine du culte du Phallus dans l’Attique.
18 Lactantius, De falsa Religione, 1. 1, chap. XXII, Hyginus, Poeticum astronomicon, chap. XXXIII.
19 Pausanias, 1. IX, Boétie, chap. XXXI.

20 Baudelot, dans son ouvrage intitulé : Utilité des Voyages, a donné la gravure de ces deux médailles (t. 1, pp.
343 et 344).
21 Pline, 1. V, chap. XXXI.
22 Idem, 1. V.
23 Pausanias, Elide, I. VI, chap. XXVI. 23.
24 Idem, Béotie, 1. IX, chap. XXXI
25 Voyez l'ouvrage de Knight, sur le culte de Priape, où ce monument est gravé. 26 Warburton attribue la cause de cette dégradation au Phallus qui figurait dans les mystères, aux allégories indécentes et aux assemblées nocturnes. Mais ce sont bien plutôt les passions humaines qui s'installent, pour ainsi dire, dans les institutions, après en avoir déplacé l'esprit primitif, qui y dominent, et finissent par les corrompre.
27 Jamblicus, De Mysteriis Ægyptiorum, sect. 1, chap. XI.
28 Arnobius, Adversus gentes, 1. V, p. 176
29 Lactantius, De falsa Religione, 1. I, p. 120.
30 Évagrius, Histoire ecclésiastique, 1. XI, chap. II
31 Nicéphore Calixte, Hist. ecclésiastique, 1. XIV, chap. XLVIII.

Sources : Misraïm3

Posté par Adriana Evangelizt

 

 

 

 

 

 

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5 mars 2007 1 05 /03 /mars /2007 17:01

Alors je pose cet article car je suis en train de plancher sur le Sionisme depuis déjà pas mal de temps avec quelques amis qui sont comme moi d'ascendance judaïque et que cette idéologie pose un énorme problème pour ne pas dire un grand tort à la majorité des juifs qui ne sont pas sionistes et ne cautionnent pas la politique colonisatrice et raciste qui sévit en Palestine. Comme vous le savez, pour comprendre un concept, il faut en trouver la racine. Il nous a fallu nous  poser beaucoup de questions pour orienter notre recherche. La première étant D'où vient le sionisme ? La réponse est : Il vient des pays de l'Est. Les Humains qui ont fondé cette idéologie font partie d'un groupe d'âmes qui se connaissent depuis un minimum de 3000 ans et qui se retrouvent à chaque réincarnation pour mettre à jour leur plan visant à s'emparer de quelques territoires bien précis pour créer le fameux Eretz Israël... y installer leur "Roi", leur "Religion" qui n'a rien à voir avec celle d'Abraham. On peut même dire que le changement de croyance date de l'énigmatique Moïse mais qu'elle fut perpétuée par "ses gens", les Lévites. Ces derniers étant les gardiens de l'Arche d'Alliance et de la tradition orale qui n'est pas tout à fait la même tradition que celle à laquelle ont adhéré les fidèles du Judaïsme. Il y a des noms sur lesquels il faut beaucoup creuser pour trouver la clef de l'énigme. Le premier étant Akhenaton. Qui était-il vraiment mais surtout qui était son Dieu ? Et quel lien entre Akhenaton et le Sionisme qui vient des pays de l'Est ? Le mot Khazar est aussi important. Tout comme le symbole du serpent qui se mord la queue. Les âmes vouées au Sionisme sont très attachées aux symboles. Je vous livrerai notre recherche bientôt...

 

 

C'est le sionisme qui mène à la guerre

 

par Nico Hirtt

 Enseignant et écrivain

 

 

 

Irrationnelle, la politique du gouvernement israélien? Non, elle est conforme à la doctrine fondatrice d'Israël: le sionisme avec ses dérives de racisme et de colonialisme. Einstein avait raison.

«Si nous nous révélons incapables de parvenir à une cohabitation et à des accords honnêtes avec les Arabes, alors nous n'aurons strictement rien appris pendant nos deux mille années de souffrances et mériterons tout ce qui nous arrivera.» (Albert Einstein, lettre à Weismann, le 25 novembre 1929)

Aux yeux de nombreux observateurs, la politique actuelle du gouvernement israélien peut sembler parfaitement irrationnelle. Pourquoi courir le risque d'embraser le Liban, alors même que celui-ci se détache petit à petit de la Syrie ? Pourquoi attaquer militairement le Hamas, à l'instant précis où ce mouvement s'apprêtait à céder aux pressions internationales et à reconnaître le «droit à l'existence» d'Israël ? En réalité, ces actes ne sont incompréhensibles que si l'on s'obstine à juger la politique d'Israël à l'aune de son discours officiel, celui qu'il tient sur la scène internationale, affirmant que «nous souhaitons seulement vivre en paix avec nos voisins». Les choses deviennent beaucoup moins obscures lorsqu'on examine la politique de l'Etat israélien à la lumière de sa doctrine fondatrice : le sionisme.

Quand, vers 1885, des hommes comme Léo Pinsker, Ahad Haam et Theodor Herzl envisagèrent de créer un «foyer national juif» en Palestine, ils furent loin de faire l'unanimité autour d'eux. A vrai dire, la plupart des juifs refusèrent ce projet. D'abord parce qu'il n'avait aucun sens: il était matériellement impossible d'envisager l'émigration de tous les juifs du monde vers la Palestine (aujourd'hui encore, l'Etat d'Israël ne réunit qu'une infime portion des juifs de la planète, même s'il s'arroge le droit de parler en leur nom). D'autre part, la très grande majorité d'entre eux n'avaient aucune envie de quitter le pays où ils étaient nés ; malgré les persécutions et les discriminations, ils se considéraient très justement comme des citoyens de France, de Belgique, des Etats-Unis, d'Allemagne, de Hongrie ou de Russie. Enfin, beaucoup de juifs, surtout les intellectuels et les progressistes, s'opposaient radicalement au caractère délibérément raciste et colonialiste du projet sioniste. Ils ne se reconnaissaient pas dans les propos d'un Ahad Haam quand celui-ci décrétait que «le peuple d'Israël, en tant que peuple supérieur et continuateur moderne du Peuple élu doit aussi devenir un ordre réel»; ils ne pouvaient suivre Theodor Herzl quand il disait vouloir «coloniser la Palestine», y créer un Etat juif et, pour ce faire, «rendre des services à l'Etat impérialiste qui protégera son existence». Même après la guerre et l'Holocauste, des personnalités juives de premier plan, tout en apportant parfois leur soutien matériel et moral aux juifs qui s'installaient en Palestine, continuèrent de refuser radicalement l'idée d'y créer un Etat juif. Einstein: «La conscience que j'ai de la nature essentielle du judaïsme se heurte à l'idée d'un Etat juif doté de frontières, d'une armée, et d'un projet de pouvoir temporel».

Le racisme et le colonialisme israéliens ne tiennent pas à la nature d'une majorité gouvernementale; ils sont le fondement même d'un Etat qui se définit non par référence à une nation, mais à une religion et à une ethnie particulières; un Etat qui affirme, sur base de légendes poussiéreuses, le droit de «son» peuple à l'appropriation exclusive d'une terre pourtant déjà habitée et exploitée par d'autres populations. Quelle terre? Là encore, les textes fondateurs du sionisme éclairent la politique actuelle. Lorsqu'il s'adresse en 1897 au gouvernement français, dans l'espoir d'obtenir son appui pour la fondation d'Israël, Herzl écrit: «Le pays que nous nous proposons d'occuper inclura la Basse-Egypte, le sud de la Syrie et la partie méridionale du Liban. Cette position nous rendra maîtres du commerce de l'Inde, de l'Arabie et de l'Afrique de l'Est et du Sud. La France ne peut avoir d'autre désir que de voir la route des Indes et de la Chine occupée par un peuple prêt à la suivre jusqu'à la mort». Après la Première Guerre mondiale et les accords Sykes-Picot, les mêmes promesses seront adressées à l'Angleterre. Et depuis 1945 elles jouissent, comme on sait, de l'oreille très attentive du gouvernement américain. De la Basse-Egypte au Sud-Liban... Il suffit d'un regard sur les cartes successives du Moyen-Orient, depuis la fondation d'Israël, pour observer avec quelle régularité systématique le plan de Theodor Herzl a été poursuivi. De la Galilée et de la bande côtière de Jaffa, les territoires proposés par le premier plan de partage de Bernadotte en 1948, Israël s'est progressivement étendu vers Jerusalem, la Mer Morte, le Neguev, le plateau du Golan au sud de la Syrie; aujourd'hui elle phagocyte petit à petit la Cisjordanie et Gaza; elle convoite même le Sud-Liban.

Israël est au Moyen-Orient ce que l'Afrique du Sud de l'apartheid fut, jadis, à l'Afrique australe: une colonie euro-américaine, imposant aux populations autochtones une domination à caractère raciste, et dont l'existence serait impossible sans l'aide matérielle d'une puissance impérialiste «en échange de services rendus». Souvenons-nous d'ailleurs qu'Israël s'est vu condamner à plusieurs reprises par les Nations unies en raison de sa collaboration militaire et nucléaire avec le régime sud-africain. Qui se ressemble s'assemble...

Quand un gouvernement juge que la vie d'un soldat est plus importante que celle de dizaines d'enfants et de civils, au seul prétexte que ce soldat est juif alors que les civils et les enfants sont musulmans, chrétiens ou sans religion, alors l'Etat que représente ce gouvernement est un Etat raciste. Quand des forces armées, dans les territoires qu'elles occupent illégitimement, interdisent aux civils de se déplacer, de puiser l'eau aux puits et aux sources, de labourer leurs champs, de visiter leur famille, de se rendre à l'école ou à leur travail, de circuler d'un village à l'autre, d'amener un enfant malade chez le médecin, tout cela pour l'unique motif que ces civils ne sont pas de confession juive ou de nationalité israélienne, alors cette armée est celle d'un Etat raciste et colonialiste.

Dire cela aujourd'hui, en Europe, oser contester les fondements du projet sioniste, c'est risquer de se voir attaquer comme antisémite, voire comme négationiste. Il est temps que cesse cette hypocrisie. La Shoah ne peut justifier les souffrances des Palestiniens et des Libanais. De quel droit les dirigeants israéliens, nés pour la plupart après 1945, parlent-ils au nom des victimes du nazisme? De quel droit prétendent-ils s'approprier la mémoire exclusive d'un crime perpétré contre toute l'humanité? Oser invoquer l'Holocauste pour justifier son propre racisme est une insulte, non un hommage au martyr juif.

On s'est offusqué d'entendre le président iranien dire qu'il fallait «rayer Israël de la carte». Ce serait pourtant bien l'unique solution que de voir disparaître politiquement bien sûr, l'Etat d'Israël et, pareillement, les prétendus «territoires palestiniens», ces nouveaux bantoustans. Gommons de la carte du Moyen-Orient la frontière honteuse entre juifs et Arabes. La politique de «deux peuples, deux Etats», la politique du partage de la Palestine sur une base religieuse et ethnique, est une politique d'apartheid qui n'apportera jamais la paix. Revenons-en à ce qui fut toujours, jusqu'à Oslo, le projet de l'OLP, mais aussi celui d'un grand nombre de juifs comme, derechef, le grand physicien et humaniste Albert Einstein: «Il serait, à mon avis, plus raisonnable d'arriver à un accord avec les Arabes sur la base d'une vie commune pacifique que de créer un Etat juif».

Sources La Libre

Posté par Adriana Evangelizt

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23 février 2007 5 23 /02 /février /2007 19:06

 

Akhénaton, précurseur du monothéisme ?

 

par Christian Cannuyer


Professeur à la faculté de théologie de l’université catholique de Lille Président de la Société belge d’études orientales

 


 

C'est dans la seconde moitié du XIXe siècle que la « révolution » religieuse promue par le pharaon Aménophis ou, mieux, Amenhotep IV/Akhénaton (règne ± 1348-1331 av. J.-C.) a commencé à être connue grâce aux premières descriptions de sa capitale Akhetaton (El-Amarna). Bannissant la foule des dieux d'antan et surtout l'impérial Amon de Thèbes, protecteur de la dynastie, le roi s'était consacré au culte du seul Globe solaire Aton. Afin de bien manifester la mutation radicale à laquelle il s'employait, il avait changé son nom d'Amenhotep, « Amon est satisfait », en Akhénaton qu'on peut traduire par : « Celui qui manifeste utilement Aton ». Le rejet des anciennes traditions se trouva consommé lorsqu'en l'an 5 de son règne, le pharaon quitta Thèbes pour s'établir à quelque trois cents kilomètres plus au nord, dans un site vierge, strictement délimité et réservé à Aton, Akhetaton, « l'horizon d'Aton ». L'aventure tourna court : après dix-sept ans de règne, Akhénaton mourut dans des circonstances peu claires et son décès fut suivi par l'élévation au trône du jeune prince Toutankhamon, qui restaura les cultes traditionnels. Le « rêve d'Amarna » s'évanouit dans les sables du désert. Au-delà de ces faits, Christian Cannuyer nous propose de revenir sur les interprétations que les égyptologues ont données de la nouvelle religion instaurée par Akhénaton et explique en quoi le terme de monothéisme ne lui semble pas adapté pour la définir.

Le « monothéisme d'Akhénaton », une vision « romantique »

Dans la première moitié du XXe siècle, l'égyptologie a élaboré de la religion d'Akhénaton une reconstruction qu'on est tenté, avec le recul, de juger coupable d'un excès de « romantisme ». Selon cette vision, Akhénaton aurait balayé le polythéisme hirsute de la religion égyptienne traditionnelle et sa « contre-religion » marquerait l'avènement du premier monothéisme de l'histoire de l'humanité, le culte du Seul, de l'Unique Aton. Sigmund Freud lui-même, dans L'homme Moïse et la religion monothéiste, salua en Akhénaton le maître de Moïse, postulant une filiation spirituelle directe entre les deux « prophètes monothéistes ». La chronologie y invitait, qui avait de plus en plus tendance à situer la jeunesse égyptienne de Moïse au XIIIe siècle av. J.-C. Si Akhénaton avait précédé Moïse d'environ un siècle, Aton n'était-il pas le prototype du dieu d'Israël, Yahweh ?

Cette vision « monothéiste » de la religion d'Akhénaton se fondait essentiellement sur l'interprétation des deux « Hymnes » théologiques qu'on lit sur les parois de certaines tombes d'Amarna. On y lit qu'Aton, le Globe solaire, est Unique, Créateur de tout ce qui existe. Ainsi, dans le Grand Hymne : « Qu'elles sont nombreuses les œuvres que tu crées, Mystérieuses à nos yeux ! Ô toi ce dieu unique, dont il n'y a pas d'autre… » On notera qu'il y a une frappante similitude entre cette formule et celle d'Isaïe 44,6 « à part moi, il n'y a pas de dieu », ou celle de la première partie de la profession de foi ou shâhada musulmane, lâ ilâh illâ-llâh, « Il n'y a pas d'autre dieu sinon Allâh ». Aton, l'Unique, est un dieu vivant, ânkh, à la fois transcendant et proche de sa création, qu'il domine, qu'il inonde de son amour, à laquelle il prodigue sans cesse la vie, embrassant de sa sollicitude tous les êtres vivants et tous les peuples de la terre, dans une perspective universaliste d'une étonnante générosité :

« Ô Aton vivant qui a inauguré la vie…
Toi qui développes l'embryon dans les femmes ;
Toi qui crées la semence dans les hommes ;
Toi qui fais vivre le fils dans le sein de sa mère ;
Toi qui l'apaises pour qu'il ne pleure plus ;
Nourrice dans le sein ;
Toi qui donnes le souffle pour faire vivre chaque être que tu crées,
Lorsqu'il sort du sein pour respirer, au jour de sa naissance,
Tu ouvres sa bouche et tu pourvois à ses besoins.
Quand le poussin dans l'œuf pépie encore sous la coquille,
Tu lui donnes le souffle à l'intérieur, pour le faire vivre.
Tu lui crées la maturité pour briser l'œuf de l'intérieur,
Il sort de l'œuf pour, en pépiant, manifester qu'il est complètement formé,
Et il marche sur ses pattes sitôt qu'il en est sorti… »

« Tu mets chaque homme à sa place et tu pourvois à ses besoins,
À chacun sa provende et son temps de vie.
Leurs langues sont diverses en leurs paroles,
Et leur apparence de même ;
Leurs couleurs de peau sont variées,
Car tu as diversifié les pays et les peuples étrangers… »

À ce lyrisme s'accorde l'iconographie spécifique du dieu Aton toujours représenté à Amarna comme le Globe solaire dont les rayons se répandent sur la terre en un éventail de lumière, générateur de vie ; les petites mains qui les terminent et dont certaines présentent le signe de la vie, ânkh, devant les narines du roi ou de la reine symbolisent le don de la vie offert souverainement par le dieu.

Le caractère révolutionnaire de la religion d'Akhénaton se concrétise par la lutte contre la foule des autres dieux, dont le roi fit marteler les images et les noms. Cet anti-polythéisme intolérant annoncerait l'exclusivisme monolâtrique de la Bible, l'intransigeance du Dieu d'Israël envers les Baals cananéens. La révolution religieuse d'Akhénaton a donc été longtemps perçue par les égyptologues et est encore comprise aujourd'hui par le grand public comme l'instauration d'« un premier monothéisme universel » – ce sont les termes mêmes employés par mon Petit Larousse des noms propres à l'entrée Aménophis IV – dont on admettait et dont on admet encore, avec plus ou moins d'assurance, qu'il avait eu sa part dans le développement de la pensée de Moïse et du monothéisme israélite.

La révolution amarnienne et la religion d'Akhénaton : visions nouvelles

Cependant, depuis plusieurs décennies, une analyse de plus en plus serrée des textes et de la documentation archéologique a ébranlé les fondements mêmes de la lecture « proto-monothéiste » de la religion d'Akhénaton. Parmi les chercheurs qui ont été les artisans de ce renouvellement épistémologique, on citera surtout Jan Assmann, professeur à Heidelberg.

Ce qui est particulièrement neuf dans la perception qu'a Assmann de la « révolution » amarnienne, c'est de la situer dans le cadre d'une évolution majeure de la religion égyptienne, perceptible dès l'avènement de la XVIIIe dynastie soit au début du Nouvel Empire, au XVIe siècle av. J.-C. Cette évolution se caractérise par deux phénomènes saillants, une crise du polythéisme et la naissance d'une nouvelle théologie.

Une grave crise du polythéisme

L'extraordinaire foisonnement des dieux semble tout à coup difficile à gérer pour les Égyptiens. L'hymnographie du Nouvel Empire manifeste nettement une tendance à l'épuration, à l'insistance sur l'Unité du divin plutôt que sur sa diversité. Cette tendance « antipolythéiste » exaltes, des hommes, des animaux. Ce Soleil, , lorsqu'il atteint le monde nocturne, est associé à Osiris, le dieu bon, mort et ressuscité, paradigme de toute résurrection et de toute immortalité. Mais Rê est en outre assimilé par les pharaons de la XVIIIe dynastie au dieu protecteur de leur lignée et de leur cité de Thèbes : Amon, dont le clergé ne cesse d'étendre son influence sur la société, grâce aux prodigalités de la Couronne et aux richesses apportées par les conquêtes. Amon est aussi Amon-Rê, le dieu suprême, l'Un sans égal, le roi des dieux.

Naissance de la « théologie de la volonté divine »

C'est dès lors dans la théologie d'Amon qu'émerge le plus nettement une nouvelle conception des rapports entre dieu et les hommes, qu'Assmann appelle la nouvelle « théologie de la volonté ». Auparavant, la vision égyptienne du monde considérait celui-ci comme une machine harmonieusement réglée, selon la loi de Maât le cosmos et la solidarité sociale se trouvaient dans un équilibre dynamique. Les dieux en étaient les puissances fonctionnelles et n'entretenaient avec les hommes que des rapports peu personnalisés. Selon la nouvelle conception, Amon-Rê subjugue le panthéon et s'affirme en seul créateur initial de l'univers, dont dépendent à la fois les autres dieux et les hommes. Il intervient désormais dans la marche de l'histoire, il est, de manière toujours plus insistante, le souverain suprême de l'univers, dont la toute-puissance et la générosité sont symbolisées par le Soleil et sa course régulière dans le ciel ainsi que dans le monde invisible et nocturne de la Douat, l'au-delà, où il répand ses largesses sur les morts revivifiés. Des hymnes « solaires » célèbrent sur le ton d'un lyrisme inaccoutumé la beauté et la bonté du Créateur. Les prières de demande, les actions de grâce vont bientôt se multiplier, caractérisant la formation d'une piété dite « personnelle » ou « privée ».

La démythologisation « monothéiste » d'Akhénaton : une pure phénoménologie de l'existence

La « révolution » d'Akhénaton vient brusquer cette évolution, ou plutôt la dévier, en démythologisant radicalement la vision égyptienne du monde et en identifiant le dieu suprême et « Unique » au seul Globe solaire Aton, en fait à la Lumière elle-même considérée, dans une optique rationalisante, comme le principe explicatif exclusif, nécessaire et suffisant de toute la réalité. Dans son superbe isolement, la cité d'Akhetaton devient la manifestation ou akhet de l'unicité du Globe. Aton, la Lumière, est la vie même, le pur phénomène de l'existence. Quand la lumière n'inonde plus sa création, l'existence de celle-ci s'éteint, elle est pour ainsi dire mise entre parenthèses.

Dans la théologie solaire antérieure, le coucher du soleil à l'Occident n'interrompait pas sa course : de nuit, il prodiguait ses dons aux défunts immortels, dans la Douat, et tel un bon berger, il continue à veiller sur les vivants assoupis. En revanche, lorsqu'Aton se couche l'existence s'éclipse. La vie s'arrête. C'est l'expérience de la mort. Les textes sont formels : « Ils [les hommes] ne vivent que lorsque tu brilles pour eux » (Petit Hymne) ; « Voir tes rayons, c'est être » ; « Te lèves-tu qu'ils vivent, te couches-tu qu'ils meurent. Tu es l'existence par toi-même, c'est de toi que l'on vit » (Grand Hymne) ; « Quand on te voit on dit vivre, de ne pas te voir on meurt » (tombe de Panéhésy).

En fait, c'est la réalité de l'invisible, de l'existence non-immédiate qui est tue, sinon niée. Le parcours du soleil n'est plus considéré que dans sa course diurne, selon une trajectoire désormais non cyclique, qui semble interrompue durant la nuit. Dans la religion de l'Aton, il n'y a d'autre réalité que celle éclairée par la lumière. Rien de ce qui n'est pas visible n'est. Le seul dieu est Aton, la lumière éclairante qui crée l'existence. La divinité est pur phénomène, elle n'est pas une essence cachée. C'est pourquoi le Grand Hymne à Aton évoque une création continue, toujours actuelle : Aton crée chaque jour, il ne crée que dans le jour. La nuit est une éclipse du créé. Point d'au-delà, dès lors, en dehors de l'ici-bas illuminé par Aton. C'est la fin d'Osiris et de son au-delà, absents des tombes à Amarna.

Malgré la persistance de la plupart des auteurs à vouloir parler de « monothéisme » lorsqu'il est question de la religion d'Akhénaton, on peut douter du bien-fondé de cette appellation. Le terme « monothéisme » est un héritage de la tradition judéo-chrétienne extrêmement marqué par celle-ci. Le concept implique l'idée d'un Dieu unique et transcendant, entretenant avec les hommes un lien d'amour et personnel. Pour les Juifs, c'est le Dieu de l'Alliance, d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, qui parle à Moïse, aux prophètes et par eux ; pour les chrétiens, c'est Notre Père, Dieu parmi nous, Emmanuel, le Logos ou Parole, incarné en la personne de Jésus-Christ, l'Esprit Saint qui vivifie ; pour les musulmans, c'est Allah, qui parle « en langue arabe claire » dans le Coran et qui aime l'humanité d'un amour « matriciel » – ar-Rahmân. La dimension « personnelle » de Dieu est indissociable de l'idée monothéiste.

Or, si Aton est Unique, c'est aussi un « monstre froid ». Certes, il ne cesse de créer et de prodiguer ses bienfaits, mais un peu à la manière d'un automate ou d'un « distributeur automatique ». On a souvent relevé qu'Aton est un dieu muet. Il ne parle jamais. Il crée sans mot dire ; en aucun cas il n'est un « Je », une personne. On n'insiste pas assez, à mon sens, sur cette singularité, sans doute sans équivalent dans toute l'histoire des religions : Aton est un « dieu » qui semble démuni de la plus fondamentale des capacités de la personne, le don de l'expression, partant de la pensée. N'est-ce pas là le motif principal du rejet de la religion d'Aton par les Égyptiens ? Aton ne pouvait pas être aimé. En Amon, au contraire, les Égyptiens avaient un dieu aimant et aimable, un dieu vers qui se tourner.

Au fond, Aton n'était pas un dieu, mais simplement le Soleil considéré comme le tout du tout, le principe, la source de l'Univers. Si la religion « amarnienne » ne préfigure en rien le monothéisme biblique, elle ressemble fort, à des siècles de distance, à la pensée des présocratiques, qui étaient à la recherche de l'élément cardinal du cosmos, de l'archè pouvant rendre compte de l'existence de ce dernier dans son intégralité. Aton, par ailleurs, n'est en rien transcendant ; il fait partie du monde matériel, dont il est la source, car il n'est autre que la Lumière, ou plutôt le Globe et la Lumière qui en émane. Ce thème de la Lumière immanente, source première et continue de l'existence, consonne étrangement avec certaines philosophies modernes ou avec des données de la cosmologie scientifique actuelle ; il n'en demeure pas moins qu'il est difficile d'encore considérer Aton comme un dieu, a fortiori comme « Dieu ». Il me semble donc inapproprié de parler de « monothéisme » à propos de la pensée d'Akhénaton ; ne représenterait-elle pas en fait la formulation du premier a-théisme, une philosophie purement natulle, une sorte de « matérialisme transcendantal » au sens kantien du terme ?

Il y a, on le voit, un abîme entre le dieu de Moïse, ou plutôt de l'Ancien Testament, et celui d'Akhénaton, et il faut résolument écarter l'idée d'une quelconque filiation entre le pseudomonothéisme amarnien et le monothéisme biblique. Le développement tardif de celui-ci, qu'on ne peut raisonnablement plus faire remonter au-delà de l'époque des prophètes, d'Osée surtout (vers 750 av. J.-C.), et qui n'a sans doute atteint son expression radicale qu'après l'exil à Babylone, avec le Deutéro-Isaïe et le courant deutéronomiste (VIe siècle av. J.-C.) – c'est-à-dire à une époque où Akhénaton et Aton ont été complètement effacés des mémoires – est d'ailleurs un argument dirimant contre l'hypothèse popularisée par Freud. En revanche, il y a peut-être des liens entre la naissance de l'idée monothéiste et ce qu'était devenue la religion d'Amon au Ier millénaire, mais ça, c'est une autre histoire…

Sources Clio

Posté par Adriana Evangelizt

 

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6 février 2007 2 06 /02 /février /2007 14:29

Les Yezidis, « adorateurs du diable »


par Jean-Paul Roux

Directeur de recherche honoraire au CNRS
Ancien professeur titulaire de la section d'art islamique à l'École du Louvre




0n les nomme les « adorateurs du diable ». Peut-on, quand on est sain d'esprit et nullement satanique, adorer l'esprit ou le principe du mal ? Or ils ne sont ni fous ni possédés. Si, dans leur grande majorité, ce sont des gens simples, paysans ou nomades qui ont souvent cherché refuge dans les montagnes contre les persécutions, ils comptent dans leurs rangs, depuis longtemps, des hommes cultivés, éminents. Il y en eut, au XXe siècle, qui furent professeurs d'université et membres de l'Académie des sciences de l'URSS et, en plus grand nombre, des foqara, observant une véritable ascèse, se refusant alcool et tabac et jeûnant quatre-vingt-douze jours par an – les six jours qu'exige leur religion, et quatre-vingt-six jours surérogatoires. Désirant mieux comprendre la doctrine des Yezidis, nous nous sommes adressés à Jean-Paul Roux.



Quelques musulmans sunnites m'ont expliqué que l'islam, au sein duquel les Yezidis sont insérés, leur a tant répété qu'Allah était clément et miséricordieux qu'ils ont jugé qu'ils n'avaient rien à craindre de Lui et qu'il valait mieux se concilier Iblis (Satan) pour l'empêcher de nuire. Je n'ai jamais pu discerner s'ils plaisantaient ou étaient sérieux, mais j'inclinerais à penser qu'ils croyaient en ce qu'ils avançaient, car certains savants occidentaux ont donné la même explication – laquelle n'avait sans doute pas germé dans leur esprit...

Ils ne sont pas très nombreux aujourd'hui tant ils ont été massacrés depuis le XVIIe siècle au moins, et sans doute avant, puisque le tombeau qu'ils vénèrent le plus, celui de « Hadi », avait déjà été détruit en 1254 et 1414, par représailles contre leurs actions subversives – d'aucuns diraient leurs actes de banditisme – ou seulement par intolérance religieuse ; nombre d'entre eux ont été obligés de se convertir à l'islam pour échapper à la mort – on avance le nombre de quinze mille conversions forcées pour la seule année « noire » de 1892 ! Ils auraient encore constitué une communauté de quelque cent cinquante mille âmes au début du XXe siècle, d'à peine la moitié vers 1950, ce qui pour ma part me paraît trop peu. Il est impossible de savoir maintenant s'ils ont continué à se diluer dans les masses musulmanes ou si, au contraire, ils ont profité de l'essor démographique contemporain. Une certitude, ils existent encore.

Yazid et Adi, ancêtres fondateurs


Ce sont des Kurdes qui vivent dans le nord de l'Irak, le nord-ouest de l'Iran, et en plus petit nombre en Syrie et en Turquie d'une part, en Arménie et en Géorgie d'autre part, où ils ont émigré récemment. Leur nom renvoie au calife Yazid (680-683) qui réprima la révolte des partisans d'Ali et tua le petit-fils du Prophète à Kerbela, l'année même de son avènement, la bête noire des chiites – ce qui interdit de les rattacher à ces derniers, à ce Yazid, auquel leurs ancêtres demeurèrent fidèles après la chute des Omeyyades et l'avènement des califes abbassides (750). Quelque deux cent cinquante ans plus tard, le roman d'Abu Muslim, épopée de la révolution abbasside, ne voit rien d'autre en eux que des partisans attardés des Omeyyades.

On a cherché l'origine de leurs doctrines, comme on l'a fait pour tous les autres sectaires du Proche-Orient, dans le mazdéisme, le manichéisme, le christianisme, les anciennes religions de Syrie et même dans l'islam dont elles ne formeraient qu'une hérésie. Massignon a pu écrire que le yézidisme était un « sunnisme anti-chiite » et la forme « spécifique de l'islam kurde », bien qu'il ne présente presque pas de points communs avec ce dernier et soit vraiment une religion à part. Qu'ils aient un jour été mazdéens est vraisemblable ; qu'ils se soient convertis partiellement au christianisme n'est pas impossible, et ils ont certainement subi une forte influence islamique ; mais leur système est un syncrétisme évident de traditions populaires et de réminiscences de dogmes des grandes religions universelles. Il est plus difficile de dire ce qui revient aux uns et aux autres car, en dehors de petits opuscules, ils n'ont laissé aucun texte didactique. Leur foi se transmet par voie orale, ce qui explique sans doute l'absence d'unité de leurs dogmes.

Leur existence, longtemps mêlée à celle de tous les opposants aux Abbassides, n'apparaît distinctement qu'avec le cheikh syrien Adi (Hadi en kurde) qui vécut très vieux entre les années 1070 et 1160. Cultivé, en relations avec l'élite intellectuelle de Bagdad – ville où il passa de longues années avant de s'installer dans le sud-est du Kurdistan – Adi jouit d'une vaste renommée comme ascète, mystique et thaumaturge. Adepte du sunnisme, il fonda une congrégation religieuse, celle des Adawi, qui se scinda très vite en deux branches, celle d'Égypte demeurant orthodoxe, celle du Kurdistan s'adaptant au contexte et s'éloignant de l'islam. Adi, tout vénéré qu'il fût, divinisé même, dirent ses ennemis, semble n'avoir eu d'autre influence sur les Yezidis que de les entraîner vers le mysticisme et la méditation des problèmes du mal. Il devint pourtant leur grand ancêtre fondateur, la référence incontournable, reléguant Yazid au second plan.

Le problème du mal et Satan


Aux X-XIIe siècles, les théologiens et les mystiques musulmans y portèrent la plus haute attention. D'après le Coran (II, 27 sq.), le Seigneur ordonna aux anges de se prosterner devant Adam : « Ils se prosternèrent à l'exception d'Iblis qui refusa et s'enorgueillit ». À des hommes aussi éminents que Mansur Hallaj (vers 859-927) et Ibn Arabi (1163-1202), l'existence de l'esprit mauvais parut incompatible avec les doctrines de la prédestination et de l'omnipotence divine. Si tout est écrit (mektub), Satan n'a pas sa raison d'être. Si le mal existe indépendamment de Dieu, Dieu n'est pas tout-puissant, et qui n'est pas tout-puissant n'est pas Dieu. La méditation sur ces données les amena à conclure que Satan refusa d'obéir par « amour exclusif de l'idée pure de la déité », car il ne voulait rendre hommage qu'à Dieu seul et, comme le dit Hallaj, qu'il n'y avait pas en définitive « parmi les habitants du ciel de monothéiste comparable à lui » (Massignon). C'était une réhabilitation presque totale.

Ces idées durent cheminer lentement chez les Yezidis qui ne sont nommés « adorateurs du diable » que depuis le XVIIe siècle, alors qu'un grand juriste leur rappelle déjà au XIIIe siècle les principes élémentaires de la loi (charia) et met en évidence le fantastique travail de valorisation et de mythisation d'Adi.


Les Yezidis refusent l'étiquette qu'on leur met. Ils nient l'existence de Satan, n'ont même pas le droit de prononcer son nom. Comment pourraient-ils l'adorer ? Le mal existe et la souffrance subséquente, c'est vrai, mais ce sont des données de l'existence dont nul n'est responsable. Les fautes cependant méritent châtiment. Or, sans démon, il n'y a pas d'enfer : les hommes expient en se réincarnant – bien que, au niveau populaire, la crainte de l'enfer demeure. Pour eux, ils ont un Dieu unique, infiniment bon, trop éloigné des hommes pour pouvoir s'occuper d'eux et qui se décharge de ce soin sur sept anges (melek) : de loin en loin, ils descendent sur terre, s'incarnent pour donner des lois ou pour aider les hommes, puis repartent au ciel, non sans laisser parmi nous quelques descendants, dont les cheikh, qu'ils n'ont d'ailleurs pas eus par commerce charnel.

Qui sont ces anges ? Comment les nomme-t-on ? On hésite à le dire, et les listes établies varient. On parle même d'un Isa Melek (Jésus), fils de la lumière divine et de Marie (comme l'a dit Tertullien), peut-être pour s'attirer la sympathie des chrétiens dont les Yezidis ont grand besoin et qu'ils semblent avoir trouvée, notamment chez les Arméniens. Deux seuls sont toujours nommés : Ezi Melek, dans lequel on reconnaît le calife Yazid, et le plus grand de tous Tawus Melek, « l'Ange paon » – et non le « Roi paon » comme on le dit parfois en confondant melek, « ange » et malik, « roi ». C'est là où nous retrouvons Satan, car le bel oiseau dont la queue étincelle, toute lumineuse, est, en Orient, souvent assimilé au diable. La réhabilitation d'Iblis se trouverait donc pleinement achevée et ferait de lui l'archange tombé, puis pardonné, élu entre tous, à qui Dieu a confié le gouvernement du monde.

En marge de l'islam…


Les Yezidis ne sont certes pas musulmans, même s'ils ont emprunté à la mystique de l'islam la base de la théorie de la chute et du salut du diable, et les quelques signes de leur appartenance à cette religion sont peut-être de pure convenance. Ils prient quatre fois par jour le soleil et la lune à leur lever et à leur coucher. Ils jeûnent six jours par an, paient un impôt considérable à leurs cheikh, multiplient les pèlerinages aux lieux saints, tombeaux, arbres, sources, souvent situés en altitude ; ils organisent des processions avec leurs sept sindjaq, images en bronze du paon ; ils célèbrent les fêtes du soleil, de sultan Yezid, du Nouvel An (en sacrifiant des animaux) et, avec quelques jours de décalage, la fin du ramadan ou Pâques. Ils ignorent les interdits coraniques du vin, de la viande de porc, condamnent la polygamie tout en la pratiquant un peu, mais répudient leurs femmes comme les musulmans. Ils sont organisés en castes dont ils ne peuvent sortir, même par le mariage, un peu à la manière des ordres religieux sunnites. Les simples fidèles, les murid, par opposition aux qawal, sortes de prêtres chargés de réciter ou de chanter les hymnes, et aux foqara, les ascètes (initiés ?), doivent confesser Dieu, vénérer leurs maîtres, les cheikh ou les pir – ces derniers étant chez eux des adjoints des premiers. Quelques lois étranges, signalées en certains endroits, ne doivent pas être considérées comme générales, mais expressions des traditions locales : interdiction de couper les arbres, de se vêtir de bleu, de manger des laitues et des choux-fleurs (!), d'élever des chiens, animaux impurs, que parfois ils prennent pourtant en affection. Je n'ai jamais rien lu ou entendu qui vise à justifier ces lois.

La forte personnalité des Yezidis a éveillé dès le XIXe siècle l'attention des savants, et la première publication sur eux, à ma connaissance, aurait paru à Kazan en 1888 ; des enquêtes poussées ont été menées par des chercheurs jusqu'au milieu du siècle dernier, et presque tout ouvrage d'islamologie générale en parle. On manque pourtant de travaux récents, parce que la pénurie des textes, l'éparpillement des communautés, l'ignorance que les petites gens ont de leur religion et l'explication « moderniste » ou « rationaliste » qu'en donnent les élites sont sans doute des obstacles décourageants. Ajoutons que toute étude sérieuse implique une connaissance parfaite des substrats préislamiques et des influences qu'ont pu exercer les grandes religions universelles

Sources
Clio

Posté par Adriana Evangelizt

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6 février 2007 2 06 /02 /février /2007 12:28

Quand on voit le parcours des missionnaires qui n'avaient pas nos moyens de locomotion, on reste assez admiratif. Dans cet article, on retrouve un de mes ancêtres, grand voyageur s'il en fut, qui m'a certainement transmis par delà le temps son goût des voyages et de l'aventure, sa rébellion et son mysticisme... Thomas Mancarollo de Plaisance, dont le prénom est celui de mon père et le nom celui de ma mère. Le hasard n'est-il pas curieux ?

Le christianisme en Asie centrale


par Jean-Paul Roux

Directeur de recherche honoraire au CNRS
Ancien professeur titulaire de la section d'art islamique à l'École du Louvre

L'Asie centrale, de tout temps terre de passage, d'invasion, de rencontre des civilisations venues des quatre points cardinaux, est le lieu de la diversité anthropologique, linguistique et culturelle par excellence. Comment, et sous quelle forme le christianisme s'y implanta-t-il ? Quel rôle y joua-t-il ?

C'est en partant des foyers de la Mésopotamie et du plateau iranien que le christianisme a gagné l'Asie centrale. Il n'y avait pas alors d'autre voie de pénétration. Nous sommes malheureusement fort mal documentés sur l'apostolat dans le Moyen-Orient. Selon la tradition, la tâche de l'évangélisation en direction de l'est aurait été confiée à saint Thomas, ce disciple de Jésus qui, par sa bienheureuse incrédulité, avait eu le privilège de mettre sa main dans les blessures du crucifié. Avec quelques compagnons dont les noms sont conservés, il aurait prêché en Iran avant de se rendre dans l'Inde. Rien ne permet de penser que la tradition se trompe. Rien ne permet non plus d'affirmer qu'elle dit la vérité.

Quoi qu'il en soit, la religion nouvelle, née au sein du judaïsme, a dû connaître un succès relativement important. Elle s'est appuyée, comme ailleurs, sur les communautés juives qui avaient essaimé en Asie après la déportation des Hébreux à Babylone et avaient été renforcées par de nouveaux venus après la prise de Jérusalem par Titus, en 70 apr. J.-C. Bien que l'Église primitive mésopotamienne n'ait pas produit de grands penseurs comme les Églises cappadocienne ou alexandrine, elle n'était pas sans importance. En effet, elle se fit représenter au concile de Nicée (325) et avait à sa tête plusieurs évêques, dont nous ne connaissons à vrai dire qu'un seul par son nom, Jean. Il y a lieu de croire qu'elle dépendait d'Édesse, l'actuelle Ourfa, au sud-est de la Turquie, ville qui avait su garder son indépendance culturelle et s'exprimait, non en grec, comme ailleurs, mais en syriaque. Cette langue qui acquit alors plein droit de cité dans le christianisme restera l'idiome officiel des chrétiens asiatiques. Elle joua chez eux le même rôle que le latin en Occident, sans exclure toutefois les langues vernaculaires. Malgré leurs incontestables succès, il ne semble pas que les chrétiens aient réussi à former des communautés avant la fondation de l'Empire sassanide, en 226. Il se peut que celui-ci les ait stimulées en constituant une monarchie puissante et en faisant du mazdéisme la religion d'État. Mais elles durent, dès la deuxième moitié du IIIe siècle, entrer en concurrence avec le manichéisme. La religion dualiste de Mani était en effet appelée à obtenir une très large audience, tant en Occident, où elle sera traquée, qu'en Orient, où elle se répandra jusqu'en Chine et en Mongolie. De la prospérité des chrétiens aux Ve et VIe siècles, nous trouvons un témoignage indirect dans les persécutions organisées contre eux par Chahpour II (310-379) et Yazdegirt II (438-457) – la première de celles-ci, en 338, lui porta un coup sensible – et une preuve directe dans l'organisation qu'ils se donnèrent : désormais, les évêques, groupés en métropolitats, sont placés sous l'autorité d'un catholicos représentant le patriarche d'Antioche.

Le nestorianisme

Le concile de Nicée avait affirmé que le Christ était vrai Dieu et vrai homme, sans définir les rapports que les natures divine et humaine entretenaient dans l'unique personne de Jésus. Nestorius, patriarche de Constantinople (vers 380-454), crut pouvoir établir qu'en lui résidaient deux natures indépendantes, ce qui signifiait notamment que Marie n'était pas la mère de Dieu. En 431, le concile d'Éphèse, ayant à trancher la question, condamna Nestorius, ce qui eut pour conséquence de faire de ses disciples, les nestoriens, des hérétiques. L'Empire romain les combattit avec vigueur et les élimina à peu près totalement. En revanche, hors de l'empire, et particulièrement dans les possessions des Sassanides, ils ne furent pas visés en tant que sectaires. Leur doctrine devint celle, sinon de tous, du moins de la plupart des croyants.

La rupture entre les chrétiens d'Iran et l'Église romaine ne fut pas provoquée par une divergence doctrinale, mais par des considérations politiques. L'hostilité traditionnelle entre les Empires romain et iranien avait tourné à une guerre ouverte particulièrement âpre, presque sans trêve. Or, le premier, depuis l'édit de Milan (313), était devenu un empire chrétien ou, pour mieux dire, l'Empire chrétien. Quant au second, avec cette optique très orientale de confondre religion et nationalité, il considérait volontiers ses sujets chrétiens comme des étrangers, voire comme des espions ou des traîtres en puissance. À plusieurs reprises, il déplaça des communautés qu'il jugeait dangereuses ; par contrecoup, cela amenait des chrétiens dans des pays où la chrétienté n'avait peut-être pas encore pénétré.

On connaît la déportation de melchites, c'est-à-dire d'orthodoxes, qui furent installés à Romagyri, près de Tachkent, dans l'actuel Ouzbékistan, et celle de jacobites transplantés à Yarkand, au Xinjiang ou Turkestan chinois, dont Marco Polo signalera encore la présence ; ces derniers étaient adeptes d'une autre hérésie, le monophysisme, qui voyait dans la personne du Christ une seule nature où se fondaient le divin et l'humain. Afin d'éviter de telles déportations, il était nécessaire, pour les chrétiens iraniens, de prouver leur fidélité en rompant avec Rome et Byzance, et de constituer une église nationale qui ne pût pas être accusée de complicité avec l'ennemi. En 424, le catholicos nestorien de Séleucie-Ctésiphon se détacha d'Antioche et ne reconnut plus d'autorité au-dessus de la sienne. La puissance de cette Église est prouvée par le nom « monastères de Perse » que les Chinois donneront aux monastères chrétiens des VIIIe et IXe siècles, alors même que le mazdéisme aurait dû leur apparaître à juste titre comme la religion spécifiquement iranienne.

Plus tard, en partie grâce aux prédications enflammées de Narsès, mort vers 507, vint s'adjoindre, à la rupture politique, la rupture idéologique. Les nestoriens conservaient un attachement indiscutable à l'unité spirituelle de l'Église et souhaitaient débattre de leur position idéologique. Mais l'état de guerre entre Byzantins et Iraniens, puis l'invasion arabe et la constitution d'un empire musulman, par définition lui aussi en conflit avec le monde chrétien, dressa un véritable mur derrière lequel ils se trouvèrent enfermés, ce qui les obligea à vivre en vase clos.

L'occupation arabe et la substitution d'un pouvoir musulman à un pouvoir mazdéen ne semblent pas avoir aggravé la situation des chrétiens d'Iran. Elles la rendirent peut-être même, pour un temps, moins mauvaise. Les nestoriens apportèrent une importante contribution à la genèse de la civilisation islamique, notamment dans le domaine médical et astrologique, mais aussi comme traducteurs de textes anciens, ce qui leur valut une position enviable. Les liens étaient assez étroits entre le califat et l'autorité ecclésiale pour que, avec l'avènement des Abbassides en 750, le catholicos quittât Séleucie-Ctésiphon et s'installât dans la nouvelle capitale, Bagdad.

Premières chrétientés d'Asie centrale

Le christianisme n'avait pas attendu l'arrivée des Arabes pour se répandre très loin à l'est et manifester une intense activité missionnaire. Dès le Ve siècle, il avait pénétré au Seïstan, qui n'était pas encore le désert qu'en firent Gengis Khan et Tamerlan, en Bactriane (dans le nord de l'actuel Afghanistan), en Ariane (région de Herat) et en Margiane (Turkménistan actuel). En 498, les Hephthalites ou Huns Blancs (les Ye-ta des Chinois) qui avaient détruit le royaume bactrien et occupé le Pendjab s'étaient convertis en partie. En 549, ils réclamèrent l'érection d'un évêché au catholicos. Le principal centre du christianisme semble alors avoir été la ville de Merv – Mary, dans l'actuel Turkménistan – dont devaient dépendre la mission de Sogdiane, en Ouzbékistan, et celles engagées auprès des peuples de la steppe. Ici et là, des résultats, dont nous ne pouvons pas mesurer la portée, avaient été obtenus. Les Turcs, qui constituaient alors l'essentiel des hordes nomades en Asie centrale, avaient été particulièrement sensibles à la religion qui venait d'Occident. Nous le voyons à quelques indices. En 591, le Sassanide Bahram avait engagé à son service des mercenaires turcs, comme cela restera la coutume sous l'islam. Or, beaucoup d'entre eux étaient marqués du signe de la croix parce que, disaient-ils, leur mère le leur avait appliqué au cours d'une grande famine sur le conseil de chrétiens, quelque trente ans plus tôt, donc aux alentours de 560. En 624, Élie, évêque de Merv, annonce la conversion d'un chef turc et de sa tribu. Une autre conversion similaire est signalée en 781. Dès le VIIe siècle, au plus tard au VIIIe siècle, une église est construite sur le Tchou pour une communauté dont on aura des témoignages jusqu'au XIVe siècle. À la fin du VIIIe siècle, une métropole est instituée pour « le pays des Turcs », qu'il ne faut pas confondre avec celle qui existe à la même époque à Samarcande. Quand les musulmans prendront Talas en 893, ils transformeront en mosquée une grande église qui s'y trouvait. Elle ne dut pas être la seule à subir ce sort. Plus nombreuses certainement furent celles de Sogdiane qui devinrent des mosquées. J'ai des raisons archéologiques de croire que cet édifice de Boukhara, très enfoncé dans le sol, que l'on affirme être le plus ancien sanctuaire musulman de la ville à être conservé, est une ancienne église sur laquelle ont été appliqués des porches à décor islamique. En effet, son plan peut relever de l'art chrétien de l'époque, mais absolument pas de l'islam. Vers 895, dans le royaume voisin du Khwarezm, la « Chroesmie » – bas cours de l'Oxus ou Syr-Darya –, le christianisme est si bien implanté qu'on peut même envisager qu'il est la religion dominante. Ce doit être du Khwarezm que partirent les missionnaires qui évangélisèrent en partie les Khazars de la mer Caspienne, dont la classe dirigeante était juive, et où l'islam progressait, parce que les liens de ce riche pays avec les bassins de la Caspienne, de la mer Noire, et avec la Volga, étaient aussi étroits qu'anciens. Au XIe siècle encore, malgré les progrès de l'islamisation dus à l'entrée du Kharezm dans le Dar al-Islam (le monde sous domination islamique), le christianisme demeurait prospère dans cette région. Le grand savant al-Biruni dit cependant que celui-ci était melchite (orthodoxe) et en relation avec Constantinople.

Bien plus à l'est, dans cette seconde moitié du Ier millénaire, des chrétiens vivaient à Kashgar, à Khotan, à Yarkand et dans la région occidentale du Tibet pour laquelle, en 795, on désigne un métropolite. À l'époque de la domination ouïgoure (VIIIe-XIIe siècles), dans les oasis du Gan-su et du Xinjiang, en Sérinde, des communautés chrétiennes vivaient en harmonie avec des communautés bouddhiques, taoïstes, manichéennes et chamanistes… Dans la grotte aux manuscrits de Dunhuang sera notamment trouvé par Paul Pelliot un Éloge à la Sainte Trinité du VIIIe siècle. La fin du manuscrit énumère la liste de trente-cinq ouvrages nestoriens traduits par un certain King-sing (Adam) qu'on soupçonne avoir été l'auteur de l'inscription de Si-ngan-fou. Ce texte célèbre, daté de 781, est le principal témoin de la venue en 635 dans la capitale chinoise, Xian, de religieux bactriens conduits par A-lo-pen, apportant la « religion radieuse ». Il porte une double version, en chinois et en syriaque, d'un exposé du dogme et de l'histoire du christianisme en Chine depuis son introduction, et l'autorisation qui lui fut donnée par décret impérial de fonder une Église. Après une période d'essor, l'interdiction des cultes étrangers en 845 portera un coup mortel à cette Église chinoise, encore insuffisamment implantée, comme elle en portera un au manichéisme que les Ouïgours avaient adopté.

Il faut qu'au Xe siècle, l'infrastructure chrétienne ait été bien solide, malgré la pression musulmane en Asie centrale, pour qu'ait pu se réaliser la grande expansion des XIe-XIIe siècles. Il n'est sans doute pas inutile de faire remarquer qu'au fur et à mesure qu'il progresse vers l'Orient, le nestorianisme, toujours monocéphale, s'éloigne de son chef, le catholicos, de qui chaque évêque dépend directement sans passer par le métropolite. Il court ainsi le risque de voir ses provinces les plus avancées coupées de leur supérieur, et ses ouailles, perdre l'unité de la foi. Que celle-ci reste immuable ne peut guère s'expliquer que par la volonté tenace de garder des contacts et par l'usage du syriaque, ciment de la fidélité.

Le chroniqueur syriaque de l'époque mongole Bar Hebraeus, nommé aussi Abu'l-Faradj, a conservé la lettre écrite par l'évêque de Merv, Abdisho, en 1009, par laquelle il annonce au catholicos Jean VI la conversion du grand peuple turc des Kereyit ; il s'agit de ce peuple dont, plus tard, le chef portera le titre d'Ong-Khan – le roi wang, en chinois khang – et jouera un si grand rôle dans la vie de Gengis Khan. Signe évident de la souplesse et de la force d'adaptation de l'Église nestorienne, le catholicos accorde aux nouveaux convertis, dont le régime est par nécessité carné, un adoucissement des lois du carême. À la même époque sans doute, un autre grand peuple de Mongolie, turc ou mongol, celui de Naïman, s'ouvre aussi au christianisme. Il en fera la religion de son souverain et de la majorité de ses sujets au XIIIe siècle. Je ne suis pas très convaincu de la qualité de la foi des Naïman chez qui le chamanisme semble encore très virulent et dont le roi, le célèbre Kütchlüg, se montrera un peu plus tard assez versatile pour passer au bouddhisme, dont il sera aussi mauvais adepte qu'il avait été mauvais disciple du Christ. Je le suis bien plus de la foi des Kereyit et de celle d'un troisième peuple turcophone qui adopta le christianisme, les Öngüt. À l'époque des Tang (618-907) les Öngüt vivaient au nord-est de la boucle du Fleuve jaune, au pays ordos. Sous les Jin, on les trouve, après une déportation ou une émigration partielle, en Mandchourie méridionale. Ils occupent alors de vastes territoires s'étendant de ce pays jusqu'à la zone de leur habitat primitif. La date de leur conversion serait à peu près la même que celle des Kereyit, voire un peu antérieure, et elle aurait été totale et profonde. C'est par centaines que l'on a retrouvé des croix de bronze dans l'Ordos. Il se peut que les Öugüt soient à l'origine de la pénétration superficielle ou ponctuelle du christianisme chez les Tatars, ce peuple turc ou mongol installé en Mongolie du Nord et demeuré extrêmement barbare. Deux textes chinois, évoquant les années 1089 et 1100, nomment deux de leurs chefs aux noms chrétiens, Marc et Jean.

Pour être moins spectaculaire qu'en Mongolie et de moindre conséquence, le succès du christianisme n'était pas négligeable à l'ouest des steppes. Il était dû en grande partie aux Comans, appelés Polovtses par les Russes, et Kiptchaks par les musulmans. Ce peuple avait supplanté les Khazars dans les plaines au nord de la mer Noire au XIe siècle. L'existence, au moins à partir de 1200, d'un clergé turc chez les Comans était un atout considérable. En effet, le turc coman servait de lingua franca de la Caspienne aux frontières chinoises. Alliés des Géorgiens du Caucase pour fermer la route à l'Islam, les Comans avaient fait baptiser beaucoup des leurs à la demande du roi de Géorgie, David II. Par eux était enfin jeté un pont entre les chrétiens du Proche-Orient et ceux de l'Asie centrale. On a beaucoup appris grâce à un remarquable ouvrage retrouvé dans la bibliothèque de Pétrarque, le Codex Comanicu, qui date approximativement de 1330, et contient, d'une part un lexique persan, latin et turcoman, d'autre part un ensemble de textes sacrés.

Un autre grand peuple turc – celui des Qarluq – que certains disent avoir été chrétien, peut avoir pris le relais. Il est envisageable que relèvent de lui les deux cimetières chrétiens, distants de cinquante-cinq kilomètres, l'un sur le Tchou, l'autre près de Pichpek (Frounzé). Le premier, petit, et le second, très vaste, comprennent plus de trois mille sépultures. Celles-ci ont livré plus de 550 inscriptions en syriaque et en turc, dont 80 pour cent sont datées. Les plus anciennes remontent à 1201, les plus récentes, à 1345. Elles font connaître le clergé, des maîtres d'école et l'appartenance à l'Église de hauts dignitaires, begs (beys) ou émirs. Les plus anciennes de ces tombes remontent à la vieille communauté chrétienne dont nous avons parlé. Des travaux de fortification furent certainement effectués, pour résister à l'islam, par l'Empire bouddhiste des Qara-Khitaï. Celui-ci domina la région de 1130 à 1211 environ et vit le nestorianisme d'un œil assez bienveillant. Il permit même la conversion de quelques-uns de ses membres. On connaît notamment un chef qui fit baptiser son fils sous le nom d'Ilich (Élie). Quant aux tombes les plus récentes, elles relèvent de l'époque de l'hégémonie mongole. Que ce grand mouvement d'évangélisation ait pu toucher les nomades oghuz qui faisaient paître leurs troupeaux au nord du Syr-Darya n'aurait rien d'extraordinaire. Je suis maintenant enclin à partager l'avis de ceux qui voyaient des chrétiens ou des hommes soumis à l'influence chrétienne en ces Seldjoukides, Israël, Mikhaël et Musa (Moïse), appelés à la carrière que l'on sait en Iran, au Proche-Orient arabe et en Anatolie. On a longtemps rejeté cette hypothèse et je l'ai fait moi-même. Pourtant, à présent, j'incline à faire mienne l'opinion, peut-être un peu excessive, que Lev Gouliliov a émise en 1970. Selon cet historien, il y a eu une véritable implantation des valeurs chrétiennes dans les steppes, et les nestoriens ont été les seuls à transmettre aux Turcs des notions religieuses abstraites, très difficiles à assimiler par eux.

L'Empire mongol amena un total bouleversement en Asie et, pour le christianisme, deux faits nouveaux. Le premier est la déportation de populations chrétiennes dans les régions les plus diverses, avec une ampleur sans commune mesure avec celle effectuée par les Sassanides. Le second est l'intervention de l'Église catholique romaine et de l'Église arménienne.

Rien ne permet d'affirmer que les Arméniens ne se soient pas aventurés en Asie centrale avant l'Empire mongol, mais nous n'en avons aucune preuve. En revanche, leur présence agissante est plus qu'attestée aux XIIIe et XIVe siècles dans toutes les régions sous la domination de Gengis Khan, et de ses successeurs. Dans leur royaume de Cilicie, les Arméniens s'étaient franchement ralliés aux envahisseurs. Ils en tirèrent aussitôt des bénéfices. En 1253, le roi Hayton, à la suite de son connétable Sempad, avait fait le voyage jusqu'à la cour impériale du nord de la Mongolie. Guillaume de Rubrouck, à la même époque, rencontra des Arméniens au camp de Sartak et à la cour du grand khan Mongka. À Zayton (Quanzhou), une « riche matrone arménienne » avait fait construire à ses frais une église au début du XIVe siècle et l'archevêque latin de Pékin, Jean de Monte Corvino, se consacra, pendant une époque de sa vie, uniquement à la communauté arménienne. On a par ailleurs retrouvé en Mongolie du Nord la tombe d'un évêque arménien mort en 1324 ou en 1325…

Les déportations des Mongols jetèrent des chrétiens un peu partout dans l'empire et nous savons bien que, de ces malheureux, nous ne pouvons avoir qu'une connaissance très partielle. Ils devaient être foison. Il y avait des Allemands à Talas qui travaillaient le fer. Le franciscain Jean de Plan Carpin rencontra des Russes et des Hongrois « qui avaient vécu continuellement avec les Tartares ». Son compère Guillaume de Rubrouck fit avec émotion la connaissance à Karakorum, la capitale mongole, d'un certain Guillaume Buchier, naguère orfèvre à Paris, et d'une jeune Lorraine de Metz, nommée Pâquette. Des Alains du Caucase formaient la garde impériale à Pékin et jouissaient de nombreux privilèges. Quant aux Géorgiens au service de l'empire, ils étaient, dit Benoît de Pologne, très respectés à cause de leur bravoure et de leurs qualités guerrières.

Des rumeurs parvenaient en Europe sur la conversion réalisée ou imminente des souverains mongols. Une légende bien accréditée évoquait même l'existence d'un certain prêtre Jean, autre part, les Tartares, comme on les appelait, avaient envahi la Pologne, la Hongrie et la Croatie ; ils avaient atteint l'Adriatique en 1241-42, et constituaient une menace pour l'Occident. Tout cela incita la papauté et le roi de France à leur envoyer des messagers, moitié missionnaires, moitié ambassadeurs. Les deux grands ordres mendiants récemment fondés au début du XIIIe siècle, les dominicains et les franciscains, en fournirent le personnel. Parmi les premiers qui partirent pour un prodigieux voyage dont on a peine aujourd'hui à mesurer l'audace et les difficultés, et qui en revinrent, on peut citer le dominicain Simon de Saint-Quentin (1245) et surtout les franciscains Jean de Plan Carpin et Guillaume de Rubrouck (1251 et 1253), lesquels doivent leur célébrité à leur remarquable personnalité et aux récits qu'ils firent de leur mission. Maints autres les imitèrent que l'on ne connaît que par un nom, que par un court texte. Beaucoup enfin demeurent dans un anonymat absolu. En 1289, Jean de Monte Corvino, envoyé par Nicolas IV, fonda la mission de Chine à laquelle participèrent Gérard Albuini, Peregrino di Castello et André de Pérouse. Le bienheureux Odoric de Pordenone y participa aussi ; il fut le premier à visiter Lhassa et, de retour à Avignon, rédigea un ouvrage avant de mourir, en 1331. La réouverture de ce qui avait été la « route de la soie » fit partir, derrière eux, les marchands, Génois surtout, et aussi Vénitiens. Ils furent innombrables et l'on rencontre encore, de-ci de-là, perdue dans l'immensité asiatique, une pierre tombale qui porte un nom français ou italien. Les premiers dont nous connaissons l'existence sont les Polo qui allèrent en Chine pour la première fois en 1261, puis à nouveau avec le jeune Marco qui y séjourna de 1271 à 1295.

Le Livre des Merveilles de Marco Polo, les écrits des hommes politiques arméniens Sempad et Hayton, ceux des moines et évêques contribuent à esquisser un tableau des chrétientés au cœur de l'Asie à l'époque mongole. À travers ces ouvrages, on voit renaître les métropoles nestoriennes, sur un territoire qui s'étend depuis Pékin et le Shaanxi jusqu'en Iran. Surgissent de l'oubli les évêchés catholiques de Saray, sur la Volga, d'Ourgentch, près de la mer d'Aral, de Samarcande, institué en 1329 pour Thomas Mancarollo de Plaisance, d'Almalik, et bien d'autres encore. Cette présence de l'Église romaine semble relever du prodige, car enfin, les obstacles ne manquaient pas et il fallait une bien grande foi pour les surmonter ! L'islam, en pleine expansion, était naturellement hostile. Dans des crises de fanatisme, il ne manquait pas, quand il le pouvait, de s'attaquer aux centres chrétiens. Le vieux foyer de l'Ili fut ainsi assailli dans sa capitale d'Almalik en 1339. L'évêché et le couvent franciscains furent détruits, cinq religieux et quelques laïcs mis à mort. Jean de Marignoli en relèvera les ruines en 1341 et pourra alors librement prêcher et « procéder à de nombreux baptêmes ». Les nestoriens se montraient hésitants, parfois favorables au point de se rallier à Rome, plus souvent hostiles devant ce qu'ils considéraient comme une rivalité d'origine étrangère. Cette attitude s'explique en partie parce que les Latins les traitaient d'hérétiques et essayaient de les convertir. Les routes à parcourir étaient longues et bien sûr dangereuses. Nous possédons une longue liste de religieux qui disparurent sans laisser de traces. De plus, la barrière linguistique était de taille. Pour prêcher le Christ, il fallait se faire comprendre.

Maints Occidentaux possédaient l'arabe, appris aux croisades, mais on ne le parlait pas en Asie centrale. L'arménien et, plus encore, le turcoman étaient les véhicules de la prédication. Le franciscain Johanem, dans ses Lettres de 1321 et des années suivantes, déplore que Français et Italiens ne sachent pas le turc comme les Allemands, les Anglais et les Hongrois. Malgré tout, l'Église progressait ! Déjà au milieu du XIIIe siècle, André de Longjumeau, envoyé de saint Louis, signale l'existence de nombreuses communautés chrétiennes indigènes en Asie centrale. Le connétable d'Arménie, Sempad, en 1248, écrit : « Les chrétiens se sont placés sous la souveraineté du khan qui les a reçus avec grand honneur, leur a accordé des franchises et a défendu qu'on les moleste. »

C'était bien grâce aux Mongols – Sempad l'avait admirablement compris – que le christianisme se montrait florissant. L'Europe s'imaginait qu'ils étaient convertis ou qu'ils étaient toujours à la veille de le faire. Elle se trompait. Peu de princes, en définitive, se feraient chrétiens. Citons Toktaï, Eldjigideï et Noyan. Le premier, un khan de la Horde d'Or converti en 1312, serait mort sous la robe franciscaine. Du second, nous savons qu'il était khan des Mongols de Djaghataï, dans l'Asie centrale. Le troisième, dont les étendards étaient frappés de la croix, fut le rival malheureux de Koubilaï dans la course au pouvoir suprême. Mais les empereurs mongols, sans être chrétiens eux-mêmes, entretenaient des relations étroites avec les chrétiens et étaient favorables à leur foi. Ils le devaient aux Öngüt, cette grande tribu turcophone dont nous avons évoqué la conversion. Du vivant même de Gengis Khan, en 1204, les Öngüt s'étaient ralliés à eux spontanément et avaient rendu au conquérant un singulier service au temps difficile de ses débuts. Celui-ci ne l'avait pas oublié. Il avait donné sa fille en mariage au roi des Öngüt, établissant ainsi une tradition d'union matrimoniale entre la famille impériale et la famille royale öngüt, ce qui lui donnait le haut statut de « gendre ». Hülegü (1253-1265), vice-roi (ilkhan) de Perse, épousera une chrétienne, une maîtresse-femme, comme il y en avait beaucoup à l'époque. Mongka, le grand khan (1251-1259), était fils d'une chrétienne. Koubilaï (1260-1294) mariera encore deux de ses petites-filles au prince öngüt Körküz – Georges – une des hautes figures du XIVe siècle. La mère de ce nestorien rallié à Rome était d'ailleurs elle-même une fille de Koubilaï. On a retrouvé dans sa capitale, Olon-süme, dans l'actuelle Mongolie intérieure, deux églises, l'une nestorienne, l'autre catholique, avec un étonnant décor gothique, unique en Extrême-Orient.

Tous ces princes dont les mères et les épouses étaient chrétiennes ne pouvaient exprimer que de bons sentiments à l'égard du christianisme. Reines ou reines-mères mettaient leur influence à favoriser l'Église. C'est pourquoi l'on trouvait souvent des chrétiens à des postes de commande, Plan Carpin parle de ceux qui sont au service de Guyuk (1246-1248). On sait que les deux maîtres de son administration, Qadaq et Tchinqai, appartenaient à l'Église. Mongka avait comme conseiller le Kereyit nestorien Bolghaï… L'étonnante aventure de deux Turcs nés près de Pékin illustre l'influence des Öngüt sur la monarchie mongole. Tous deux avaient décidé d'entreprendre le pèlerinage de Jérusalem : le premier, Marcus, né en 1224, devint, en 1281, patriarche des nestoriens sous le nom de Mar Yaballaha III parce qu'en tant qu'Öngüt on le savait proche du trône. Le second, Rabban Sauma, né vers 1225, fut ambassadeur en Europe dans les années 1280. Il visita Constantinople, Rome, Paris, où Philippe le Bel le reçut, et la Guyenne, où il séjourna près du roi d'Angleterre. Il écrivit ses souvenirs de voyage, dont nous possédons une version résumée.

Le ministre de l'ilkhan, qui est aussi un très grand historien de langue iranienne, Rachid al-Din, se plaindra ouvertement de la femme de Huhegü qui, dit-il, s'attache à « protéger les chrétiens […] au point que, dans toute l'étendue de l'empire, on élevait journellement de nouvelles églises ». Le voyageur marocain Ibn Battuta, en 1333, gémira de ce que Djenkchi, khan djaghataï de l'Ili, « tourmente les musulmans, traite injustement ses sujets et permet aux juifs et aux chrétiens de réparer leur temple » : un comble, en effet !

Le sort du christianisme était dès lors lié à celui de l'Empire mongol. L'effondrement de ce dernier lui porta un coup mortel. Au Proche-Orient, la réaction de l'islam, humilié, brimé, qui s'était cru perdu, fut des plus vives et les communautés chrétiennes devinrent les premières victimes. La rupture des relations commerciales et culturelles entre l'Occident et l'Extrême-Orient isola totalement, derrière la barrière islamique, les communautés chrétiennes de l'Asie centrale abandonnées à la pression musulmane. Elles ne disparurent certainement pas très vite, mais un peu trop tôt pour que les missions des temps modernes puissent leur venir en aide. Le jésuite Benoît de Goës aura la surprise, en 1602, d'entendre le roi de Kashaar reconnaître dans la doctrine qu'il lui expose la religion de ses ancêtres. Plus près de nous, en 1935, le père A. Mostaert rencontrera en Ordos des Mongols qui portent des noms chrétiens et vénèrent la croix. On admet en général que la petite communauté catholique de Tsparang, au Tibet, dispersée par le roi du Ladakh, avait été fondée par un jésuite au début du XVIIe siècle. Rien ne prouve qu'elle fut une création ex nihilo. Elle pourrait être la résurrection d'une communauté médiévale. Dans ce cas, ce serait, à notre connaissance, la seule en Asie centrale à avoir subsisté.

Sources Clio

Posté par Adriana Evangelizt

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