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31 mars 2007 6 31 /03 /mars /2007 01:10

Une très belle vision hermétiste des Assassins ou Haschichins...

Les Secrets des Assassins

de Peter Lamborn Wilson

Après la mort du Prophète Muhammad, la nouvelle communauté islamique fut dirigée par une succession de quatre de ses anciens Compagnons, choisis par le peuple & appelés les Califes "Justement Guidés". Le dernier de ceux-ci fut Ali ibn Abu Talib : le gendre du Prophète.

Ali eut ses propres disciples ardents parmi les croyants, qui furent ensuite appelés Shi’a ou "adhérents". Ils croyaient qu’Ali devait succéder à Muhammad de plein droit, & qu’après lui ses fils (les petits-enfants du Prophètes) Hassan et Hussein auraient dû régner ; et après eux leurs fils et ainsi de suite dans une succession quasi-monarchique.

En fait, excepté Ali, aucun d’entre eux ne dirigea l’entièreté de l’Islam. Au lieu de cela, ils devinrent une lignée de prétendants et, en fait, les chefs d’une branche de l’Islam appelée Shi’isme. Par opposition aux Califes orthodoxes (sunnites) de Bagdad, ces descendants du Prophète furent connus sous le nom d’Imam.

Pour les chiites, un Imam est bien plus et d’un rang bien plus élevé qu’un Calife. Ali dirigea de droit du fait de sa grandeur spirituelle que le Prophète avait reconnue en lui en le nommant comme son successeur (en fait, Ali est également révéré par les soufis en tant que "fondateur" et prototype du Saint musulman). Les chiites diffèrent des musulmans orthodoxes ou sunnites par leur croyance que cette pré-éminence spirituelle fut transférée aux descendants d’Ali au travers de Fâtima, la fille du Prophète.

Le sixième Imam chiite, Jaffar al-Sadiq, eut deux fils. L’aîné, Ismaël, fut choisi en tant que successeur. Mais il mourut avant son père. Jaffar déclara alors son plus jeune fils Musa comme nouveau successeur.

Mais Ismaël avait déjà donné naissance à un fils - Muhammad ibn Ismaël - qu’il proclama comme prochain Imam. Les disciples d’Ismaël se séparèrent de Jaffar au sujet de cette question et suivirent le fils d’Ismaël au lieu de Musa. Ils furent alors connus en tant qu’Ismaéliens.

Les descendants de Musa régnèrent sur le Shi’isme "orthodoxe". Quelques générations plus tard, le Douzième Imam de cette lignée disparut du monde matériel sans laisser de traces. Il vit encore sur le plan spirituel, d’où il reviendra à la fin de ce cycle du temps. Il est l’"Imam Caché", le Mahdi dont parlait le Prophète. Le Shi’isme "duédodécimain" est la religion de l’Iran actuel.

Les Imams Ismaéliens languirent dans l’occultation, chefs d’un mouvement underground qui attirait les mystiques et révolutionnaires les plus extrêmes du Shi’isme. Ils émergèrent en tant que force puissante à la tête d’une armée et conquirent l’Égypte et y établirent la dynastie Fatimides, les anti-Califes du Caire.

Les premiers Fatimides régnèrent de manière éclairée, et le Caire devint la ville de l’Islam la plus culturelle et la plus ouverte. Ils ne réussirent, cependant, jamais à convertir le reste du monde islamique ; en fait, même la majorité des égyptiens n’embrassèrent pas l’ismaélisme. Le mysticisme très élevé de la secte fut sa principale force d’attraction mais aussi sa principale limitation.

En 1074, un brillant jeune perse converti arriva au Caire afin d’être introduit dans les plus hauts rangs initiatiques (et politiques) de l’ismaélisme. Mais Hassan i Sabbah se trouva bientôt emmêlé dans une lutte pour le pouvoir. Le Calife Mustansir avait nommé son fils aîné Nizar comme successeur. Mais un de ses plus jeunes fils, al-Mustali, intrigua afin de la supplanter. Lorsque Mustansir mourut, Nizar - l’héritier légitime - fut emprisonné et assassiné.

Hassan i Sabbah intrigua pour Nizar, et fut alors forcé de s’enfuir d’Égypte. Il retourna en Perse à nouveau où il prit la tête d’un mouvement révolutionnaire nizâri. Par quelque ruse intelligente, il acquit le commandement de l’imprenable forteresse montagneuse d’Alamut ("Nid d’Aigle") près de Qazvin dans le nord-ouest de l’Iran.

La vision de Hassan i Sabbah, cruelle et romantique, est devenue une légende dans le monde islamique. Avec ses disciples, il rebâtit en miniature les gloires du Caire dans ce refuge rocheux aride.

Afin de protéger Alamut et sa petite, mais intense, civilisation, Hassan i Sabbah se fondait sur l’assassinat. Tout dirigeant ou politicien ou chef religieux qui menaçait les nizâri se mettait sous le danger de la dague d’un fanatique. En fait, le premier coup public d’Hassan fut l’assassinat du premier ministre de Perse, peut-être l’homme le plus puissant de cette époque (et selon la légende, un ami d’enfance d’Hassan).

Une fois que leur réputation fut établie, la simple menace d’être sur la liste des éso-terroristes était suffisante pour empêcher les gens d’agir contre les hérétiques haïs. Un théologien fut une fois menacé par un couteau (laissé sur son oreiller lorsqu’il dormait), et ensuite corrompu par de l’or. Lorsque ses disciples lui demandèrent pourquoi il avait cessé de fulminer contre Alamut, il répondit de son pupitre que les arguments des ismaéliens étaient "à la fois pointus et de poids".

Du fait que la grande bibliothèque d’Alamut fut certainement brûlée, on sait peu de choses sur les véritables enseignements d’Hassan i Sabbah. Apparemment, il forma une hiérarchie initiatique constituée de Sept Cercles et basée sur celle du Caire, avec les assassins à la base et les mystiques érudits à son sommet.

Le mysticisme ismaélien est basé sur le concept de ta’vil, ou "herméneutique spirituelle". Ta’vil signifie en fait "reprendre quelque chose à sa source ou dans sa signification la plus profonde". Les chiites avaient toujours pratiqué cette exégèse sur le Coran lui-même, lisant certains versets comme étant des allusions voilées ou symboliques à Ali et aux Imams. Les ismaéliens étendirent la ta’vil de manière bien plus radicale. Toute la structure de l’Islam leur apparaissait comme une coque, afin d’en pénétrer le coeur, la coque doit être pénétrée par la ta’vil, et en fait elle doit être brisée afin d’être ouverte totalement.

La structure de l’Islam, plus que dans toutes autres religions, est basée sur la dichotomie entre l’exotérique et l’ésotérique. D’un côté, il y a la Loi Divine (Shariah), et de l’autre la Voie Spirituelle (Tariqah). Habituellement, la Voie est perçue comme le coeur ésotérique et la Loi comme la coque exotérique. Mais pour l’ismaélisme, les deux ensembles représentent un tout qui à son tour devient un symbole qui doit être pénétré par la ta’vil. Derrière la Loi et la Voie, se tient l’Ultime Réalité (Haqiqah), Dieu Lui-même en des termes théologiques - l’Être Absolu en termes métaphysiques.

Cette réalité n’est pas quelque chose en dehors de l’objet humain ; en fait, si elle existe alors elle doit se manifester elle-même complètement au niveau de la conscience. Donc, elle doit apparaître en tant qu’homme, Homme Parfait - l’Imam. La connaissance de l’Imam est la perception directe de la Réalité elle-même. Pour les chiites, la Famille d’Ali est identique à la conscience parfaite.

Une fois l’Imam réalisé, les niveaux de la Loi et de la Voie disparaissent naturellement comme des coquilles brisées. La connaissance de la signification intérieure libère de l’attachement à la forme extérieure : l’ultime victoire de l’ésotérique sur l’exotérique.

L’"abrogation de la Loi", cependant, fut considérée comme une hérésie ouverte par l’Islam. Pour leur propre protection, les chiites furent toujours autorisés à pratiquer la taqqiya, "la dissimulation permise" ou "occultation", et à prétendre être des orthodoxes afin d’échapper à la mort ou à la punition. Les ismaéliens pouvaient prétendre être chiites ou sunnites, selon ce qui était le plus avantageux.

Pour les nizâris, pratiquer l’occultation c’était pratiquer la Loi ; en d’autres mots, prétendre être orthodoxes signifiait obéir à la Loi Islamique. Hassan i Sabbah imposa la dissimulation à tous sauf aux rangs les plus élevés d’Alamut, car en l’absence de l’Imam les voiles de l’illusion doivent naturellement cacher la vérité ésotérique de la liberté parfaite.

En fait, qui était l’Imam ? Pour autant que l’histoire soit concernée, Nizar et son fils moururent emprisonnés et intestats. Hassan i Sabbah fut, par conséquent, un légitimiste supportant un prétendant qui n’existait pas ! Il n’a jamais prétendu être lui-même l’Imam, ni son successeur en tant que "Vieil Homme de la Montagne", et aucun de ses successeurs ne le fit non plus. Et cependant, ils prêchèrent tous au "nom de Nizar". Il est probable que la réponse à ce mystère fut révélée au sein du septième cercle de l’initiation.

Le troisième Vieil Homme de la Montagne eut un fils appelé Hassan, un jeune érudit, généreux, éloquent et aimable. De plus il était un mystique et enthousiaste étudiant des plus profonds enseignements de l’ismaélisme et du soufisme. Même durant la vie de son père, quelques alamutis commencèrent à murmurer que le jeune Hassan était le véritable Imam ; le père entendit ces rumeurs et les nia. "Je ne suis pas l’Imam, comment donc mon fils pourrait-il être l’Imam ?"

En 1162, le père mourut et Hassan (appelé Hassan II pour le distinguer de Hassan i Sabbah) devint le chef d’Alamut. Deux ans plus tard, le 17e jour de Ramadan (8 août) 1164, il proclama la Qiyamat, ou Grande Résurrection. Au milieu du mois de jeûne, Alamut brisa le jeûne à jamais et proclama ce jour fête perpétuelle.

La résurrection des morts dans leur corps à la "fin des temps" est une des doctrines les plus difficiles de l’Islam (et de la chrétienté également). Prise littéralement, elle est absurde. Prise symboliquement, cependant, elle renferme l’expérience du mystique. Il "meurt avant la mort" lorsqu’il réalise les aspects séparateurs et aliénés du moi, l’ego en tant qu’illusion programmée. Il est "rené" en conscience mais il est rené dans le corps en tant qu’individu, "l’âme en paix".

Lorsqu’Hassan II proclama la Grande Résurrection qui marque la fin des Temps, il leva le voile de l’occultation et abrogea la loi religieuse. Il offrit la participation commune et individuelle dans la grande aventure mystique, dans la liberté parfaite.

Il agit au nom de l’Imam, et il ne prétendit pas être lui-même l’Imam (en fait, il prit le titre de Calife ou de "représentant"). Mais si la famille d’Ali est identique à la conscience parfaite, alors la conscience parfaite est identique à la famille d’Ali. Le mystique qui s’est réalisé "devient" un descendant d’Ali (comme le Salman perse qu’Ali adopta en le couvrant avec son manteau, et qui est révéré par les soufis, les chiites et les ismaéliens).

Dans la Réalité, dans la haqiqah, Hassan II était l’Imam car dans la phraséologie ismaélienne, il avait réalisé l’"Imam de son propre être". La Qiyamat était donc une invitation pour chacun de ses disciples à faire de même, ou du moins à participer aux plaisirs du paradis sur terre.

La légende du jardin d’Eden à Alamut où les houris, les porteurs de coupes, le vin et le haschich du paradis dont jouissaient les assassins dans leur chair, peut provenir de la mémoire populaire de la Qiyamat. Ou bien, il se peut que cela soit littéralement vrai. Pour une conscience réalisée dans ce monde il n’y a d’autre paradis, et ses délices et ses plaisirs sont tous permis. Le Coran décrit le paradis comme un jardin. Il est donc logique pour les membres d’Alamut de devenir le reflet de l’état spirituel de la Qiyamat.

En 1166, Hassan II fut assassiné après seulement quatre années de règne. Ses ennemis se sont peut-être ligués avec des éléments conservateurs d’Alamut qui pressentaient la Qiyamat comme étant la dissolution de l’ancienne hiérarchie secrète (et donc de leur propre pouvoir en tant que hiérarches)et qui craignaient de vivre ouvertement en tant qu’hérétiques. Le fils d’Hassan II, cependant, lui succéda et établit fermement la Qiyamat en tant que doctrine nizarite.

Si la Qiyamat avait été acceptée dans toutes ses implications, cependant, elle aurait probablement apporté la dissolution et la fin de l’ismaélisme nizarite en tant que secte séparée. Hassan II, en tant que Qa’im ou "Seigneur de la Résurrection" avait relevé les alamutis de tout combat et de tout sens légitimiste. L’ésotérisme pur après tout ne peut être lié par quelque forme que ce soit.

Le fils d’Hassan II, par conséquent, se compromit. Apparemment, il décida de "révéler" que de son père était de fait et par le sang un descendant direct de Nizar. L’histoire court qu’après qu’Hassan i Sabbah eut établi Alamut, un mystérieux émissaire lui remit le petit-fils de Nizar. L’enfant fut élevé secrètement à Alamut. Il grandit, eut un fils, il mourut. Le fils eut un fils. Ce bébé naquit le même jour que le fils du Vieux de la Montagne. Les deux enfants furent secrètement échangés dans leur berceau. Même le Vieil Homme de la Montagne ne connut jamais cette ruse. Une autre version est que l’Imam Caché avait commis l’adultère avec la femme du Vieux de la Montagne, et qu’il eut un enfant naturel, qui fut Hassan II.

Les ismaéliens acceptèrent ces prétentions. Même après la chute d’Alamut sous les coups des hordes mongoles, la lignée survécut et le chef actuel de la secte, l’Aga Khan, est connu en tant que quarante-neuvième descendant d’Ali (et prétendant au trône d’Égypte). L’accent sur la légitimité des alides a préservé la secte en tant que secte. Si celle-ci est littéralement vraie ou non, cependant, n’a pas d’importance si l’on veut comprendre la Qiyamat.

Avec la proclamation de la Résurrection, les enseignements de l’ismaélisme furent à jamais étendus au-delà des frontières qui leur étaient imposées par les événements historiques. La Qiyamat reste un état de conscience auquel n’importe qui peut adhérer, un jardin sans murs, une secte sans église, un moment perdu de l’histoire islamique qui refuse de se voir oublié, se tenant en dehors du temps, un reproche ou un challenge à tout légalisme et tout moralisme, à toute cruauté de l’exotérique. Une invitation au paradis.

Reproduit de "Scandal : Essays in Islamic Heresy" par Peter Lamborn Wilson - Autonomedia, PO Box 568, Williamsburg Station, Brooklyn, NY, USA.

Sources EzoOccult

Posté par Adriana Evangelizt

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26 août 2006 6 26 /08 /août /2006 18:07

Le Soufisme au coeur de l'Islam

 

Le soufisme constitue le coeur de la tradition islamique. Il ne peut donc prétendre être vécu en dehors de celle-ci. En même temps, et par-delà le cadre de la religion révélée, il vise à l’accomplissement de l’homme sur cette terre, ici et maintenant.

De l'écorce au noyau

En tant que révélation, l’Islam détermine les règles de l’activité humaine, et définit les supports rituels de la méditation ; le soufisme est la science des saveurs et des états intérieurs. Le soufisme trouvant son origine et sa source dans la révélation islamique, tout ce qui peut ressembler à des divergences avec l’islam ne peut être lié qu’à une différence de point de vue sur une même réalité. Ainsi l’ablution rituelle, qui est une obligation légale en Islam peut être vécue comme une première approche de la purification intérieure de l’âme du disciple, qui en serait le but ultime. Pour le soufi, les pratiques de l’islam constituent le prolongement dans les actes de son cheminement spirituel.

La relation entre l’exotérisme et l’ésotérisme est semblable à celle qui existe entre le corps et l’esprit. Sans esprit, le corps est vidé de son sens, de sa source vive ; sans corps, l’esprit est insaisissable et devient une pure abstraction.

" Pour atteindre le noyau, il faut traverser l’écorce ", disait Maître Eckart. Un fruit est constitué d’une écorce (la Loi), d’une chair (la Foi) et d’un noyau (l’esprit). Mais pour atteindre le noyau, qui seul contient en germe un nouveau fruit, il faut d’abord passer par l’écorce.

L'enseignement de l'Archange

Un jour que le Prophète Mohammad était avec ses compagnons, ces derniers virent arriver un jeune homme habillé de blanc, ne portant sur lui aucune trace de poussière du voyage. Cet homme s’assit en face du Prophète, plaça ses jambes entre les siennes, et lui demanda : " qu’est-ce que l’Islam ? (littéralement, ce mot signifie "soumission"). Le Prophète répondit : l’Islam, c’est la soumission à Dieu, basée sur la pratique des cinq piliers : le double témoignage de l’unicité divine et de la révélation muhammadienne, la prière, l’aumône, le jeune du mois de ramadan et le pélerinage à la Mecque. Le jeune homme dit alors : "tu as dit vrai !", ce qui ne manqua pas d’étonner les compagnons. Puis il demanda : qu’est-ce que l’iman ? (la foi). Le Prophète répondit : l’iman, c’est le fait de croire en Dieu, en Ses anges, en Ses livres, en Ses envoyés, au Jour du jugement, et à la prédestination. Ici encore, le jeune homme s’exclama : "tu as dit vrai !", puis demanda : qu’est-ce que l’ihsan ? (l’excellence du comportement). Le Prophète répondit : l’ihsan, c’est "d’adorer Dieu comme si tu le voyais, car si tu ne le vois pas, Lui te voit". Après confirmation de ces paroles par un nouveau "tu as dit vrai !", et quelques nouvelles questions, le jeune homme partit. Le Prophète demanda alors à ses compagnons s’ils savaient qui était ce jeune homme. Devant leur ignorance, il leur révéla qu’il s’agissait du Prophète Gabriel, venu pour vous enseigner votre religion.

A partir de ce hadith (parole du Prophète), apparaissent trois niveaux de vécu et de compréhension de la réalité divine, qui rejoignent les trois notions évoquées par Maître Eckart :

-  la soumission à la loi, ou le respect de l’écorce et de la forme des choses,

-  la foi, ou la compréhension de la chair et du contenu de la religion,

-  l’excellence, ou le noyau central que constitue la prise de conscience de la présence divine.

Les soufis s’appuient sur ce hadith, à la fois pour montrer la nécessité d’une pratique littérale des obligations et des interdits de la religion, et pour faire ressortir la prééminence de l’esprit sur la lettre, en ce qui concerne l’application de ces commandements. Pour illustrer ce propos, on peut mentionner l’histoire de cet homme qui était venu prier dans la mosquée où se trouvait le Prophète. Un homme terminait sa prière. Un compagnon s’aperçut que l’un des mouvements de la prière n’avait pas été correctement exécuté. Il exhorta l’homme à refaire sa prière selon la lettre, et celui-ci s’exécuta. Sa seconde prière terminée, l’homme se tourna vers le compagnon qui l’avait apostrophé et lui demanda :

"A ton avis, laquelle de mes prières à été agréée par Dieu ?"

"La seconde, évidemment, puisque elle seule a été accomplie selon la règle".

"Eh bien, moi je crois que c’est la première qui a été agréée. Car celle-ci, je l’ai faite pour Dieu ; tandis que la seconde, je l’ai faite pour toi ".

Le Prophète, qui avait assisté à la scène, confirma cette réalité.

Vers l'excellence du comportement

L’ensemble des pratiques soufies trouvent leur source dans les versets coraniques, et les paroles du Messager. Il n’y a donc aucune innovation du soufisme par rapport à la Révélation. "La prière éloigne l’homme de la turpitude et des actions blâmables. L’invocation du nom de Dieu est ce qu’il y a de plus grand " dit le Coran, en ajoutant immédiatement : ’Dieu sait parfaitement ce que vous faites", (XXIX, 45). Ainsi est affirmée toute l’importance de l’invocation du nom de Dieu, qui est une pratique centrale du soufisme. L’allusion au regard divin fixé sur nous, qui vient immédiatement après et ressemble beaucoup à la définition de l’ihsan donnée par l’archange Gabriel, peut être comprise comme une indication du degré auquel se rattache cette pratique. Par rapport à un tel degré, la pratique de l’invocation apparaît même supérieure à celle de la prière. A l’inverse, si l’on se situe au degré minimum de la Loi, alors l’invocation n’est plus strictement nécessaire, comme le montre le hadith qui suit. Un homme vint voir le Prophète et lui demanda : "Si je pratique les cinq piliers, mais que je n’accomplis aucune oeuvre surérogatoire (i.e. supplémentaire, non obligatoire), pourrais-je prétendre entrer au paradis ?". Le Prophète lui répondit par l’affirmative. Ainsi, Le soufisme peut être présenté comme une dimension supplémentaire, un approfondissement de la Loi et de la Foi en vue de l’Excellence du comportement, pour ceux qui ressentent une telle exigence intérieure.

Le Coran recommande de se souvenir de Dieu, le plus souvent possible : "Souvenez-vous de moi, Je me souviendrai de vous", (II, 152) ; "Rappelle-toi le nom de ton Seigneur, et consacre-toi totalement à Lui", (LXXIII, 8) ; et encore : "Invoquez Dieu d’une façon abondante et glorifiez-le, à la pointe du jour et à son déclin", (XXXIII, 41 et 42). Cette notion de rappel constant de la présence divine se situe dans la perspective directe de l’ihsan. En effet, au-delà d’une mise en conformité légale, seule la prise de conscience de cette présence peut réellement transformer l’homme, et son comportement au quotidien. Seul ce sentiment de présence peut amener l’homme à cesser de se leurrer lui-même, et à constater la réalité de son état intérieur. Au-delà de l’image que les autres nous renvoient de nous-mêmes, il est un regard auquel on ne peut rien cacher. La sincérité veut que l’on agisse en fonction de ce regard. Pour illustrer ceci, le maître Rûmi raconte l’histoire suivante : un instituteur ayant appris par la bouche d’un Connaissant que l’un de ses élèves était appelé à devenir un grand Saint, il organisa une expérience pour savoir lequel c’était. Il demanda à chaque élève d’aller acheter un oiseau, puis de s’éloigner de la ville jusqu’à ce que plus personne ne le voie, et de sacrifier l’animal. Le lendemain, tous les élèves revinrent avec un oiseau mort, sauf un. Celui-ci expliqua qu’il avait été aussi loin que possible, mais que où qu’il aille, il ne pouvait échapper au regard de Dieu. Bien vivant, l’oiseau qu’il avait amené profita de son récit pour s’envoler par la fenêtre.

La nourriture du Coeur

L’Imam Ghazali définit le dhikr (l’invocation) comme une sorte de jeûne du Coeur, un combat spirituel qui consiste à "faire disparaître les défauts, à couper tous les liens et à s’approcher de Dieu le Trés-Haut par une parfaite application spirituelle". Et il ajoute " qu’ il est seulement au pouvoir du croyant de s’y préparer par la purification qui dépouille...". La purification de toutes les fausses idoles qui nous habitent et du regard d’autrui permet de ne s’attacher qu’au seul regard divin. Au-delà des réponses légales à un certain nombre de problèmes, issues du Coran ou de la coutume prophétique, il s’agit ici de savoir comment se comporter face aux multiples situations de la vie quotidienne, dans une recherche permanente de l’attitude juste. La réponse ne peut alors provenir que du tréfonds de notre être. A un homme venu l’interroger sur la droiture, le Prophète répondit par trois fois : "Interroge ton propre Coeur". Organe central, tout comme le coeur physique qui insuffle la vie à l’ensemble du corps, le Coeur dont il s’agit est en fait l’instrument de la perception spirituelle. L’invocation ne vise qu’à la revivification de ce Coeur. Et c’est cela qui explique l’importance essentielle de cette pratique dans le cheminement soufi.

Un autre hadith, où Dieu s’exprime à la première personne par la bouche du Prophète, dit ceci : "Mon serviteur ne cesse de s’approcher de moi par la pratique d’oeuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime ; et lorsque Je l’aime, Je deviens l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit, la langue par laquelle il parle, la main par laquelle il saisit, le pied par lequel il marche". Au-delà de la notion de Salut et de la conformité aux commandements divins du bien et du mal, le soufisme vise à cette transformation de l’être, à sa Délivrance, à travers un recouvrement des qualités humaines par les qualités de l’Etre divin. Pour reprendre la symbolique de la Genèse, on pourrait parler de l’Arbre du Bien et du Mal, et de l’Arbre de Vie. Le chemin spirituel étant présenté comme un retour aux origines, ce retour s’accomplit à l’endroit même où a eu lieu la chute.

Un célèbre théologien musulman, Ibn Khaldun, distingue trois sortes de combats spirituels : le premier qu’il appelle "le combat de la Piété", le second "le combat de la Rectitude", et le troisième "le combat du Dévoilement par intuition". Selon lui, la direction d’un maître spirituel n’est pas également nécessaire au niveau de chacun de ces trois degrés. Au premier degré, la présence d’un maître permet au disciple un enseignement "en acte" qui est préférable à un enseignement livresque, comme le montre l’exemple de l’archange Gabriel apprenant au Prophète les mouvements relatifs à la prière. Au second degré, Ibn Khaldun montre que la présence d’un maître permet une meilleure connaissance de la nature de l’âme individuelle, facilitant ainsi la recherche de la Rectitude. Mais là où l’enseignement d’un guide devient absolument indispensable, c’est au niveau du troisième degré : " Quant au combat spirituel de l’Intuition et de la Contemplation, dont le but est le soulèvement du voile du monde sensible et la connaissance du monde spirituel [...], elle dépend d’une façon nécessaire et absolue d’un maître de l’initiation [...], sans lequel ce combat spirituel serait vain dans la plupart des cas". Pour conclure, Ibn Khadun nous dit que si le terme "soufisme" s’applique aux trois degrés que nous venons de mentionner, il désigne d’une manière plus spécifique le dernier d’entre eux.

Pour terminer sur une image, on peut évoquer la vie spirituelle par une analogie avec la vie corporelle. Ici, la Loi est représentée par la peau, l’aspect visible et extérieur de l’être humain. La Foi est symbolisée par la chair, la substance et le poids de l’être. Enfin, l’Esprit est constitué par les os, et la moelle qu’ils contiennent. Le soufisme se veut cette "substantifique moelle", cette source de vie qui nourrit et régénère le corps qui la contient.

Sources :  Soufisme

Posté par Adriana Evangelizt

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