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27 avril 2007 5 27 /04 /avril /2007 04:01

Chapître très intéressant. Il faut savoir que nous portons tous en nous une "mémoire archaïque" où sont inscrits tous les évènements marquants de l'histoire de notre âme. C'est quelque chose de latent en chaque individu. Pour vous donner un exemple, j'ai une amie qui avait un blocage. Le blocage venait d'un de ses ancêtres qui a été assassiné pendant la Révolution de 1789. La tragédie qu'avait connu sa famille à cette époque avait laissé sur leur âme une blesssure indélébile que mon amie portait aussi. Et c'est sa physiologue qui lui a dit ça. Ces praticiens ne sont pas remboursés par la Sécurité Sociale et pourtant, ils sont sur la bonne Voie. Ils savent que pour guérir le corps, il faut soigner l'Âme.

Moïse, son peuple et le monothéisme

par Sigmund Freud

II. Le peuple d'Israël

14ème partie

13ème partie

12ème partie

11ème partie

10ème partie

9ème partie

8ème partie

1ère partie

 

 

IV. Le progrès dans la spiritualité

 

Pour continuer d'exercer sur un peuple quelque action psychique, il ne suffit pas, c'est évident, de lui affirmer qu'il a été spécialement choisi par Dieu. Il faut aussi, d'une manière quelconque, le lui prouver si l'on tient à ce qu'il y ajoute foi et à ce qu'il tire des conséquences de cette croyance, Dans la religion de Moïse, ce fut l'Exode qui servit de preuve. Dieu ou en son nom Moïse ne se lassaient jamais de faire état de cette marque de faveur. C'est pour commémorer cet événement que fut instituée ou plutôt modifiée la fête de Pâques. Mais il ne s'agissait plus que d'un souvenir, l'Exode lui-même appartenait à un lointain passé. À l'époque qui nous intéresse les preuves de la faveur divine étaient devenues bien rares et les événements dénotaient plutôt une disgrâce. Les peuples primitifs avaient accoutumé de déposer, voire même de châtier leurs dieux quand ceux-ci ne leur accordaient pas la victoire, le bonheur et le bien-être.

Les monarques ont, de tout temps, été traités de la même façon que les dieux, ce qui témoigne en faveur d'une ancienne identité, d'une origine commune. Les peuples modernes aussi chassent leurs souverains quand la splendeur des règnes vient à être ternie par des défaites qui entraînent des pertes de territoires et d'argent. Par quel miracle alors le peuple d'Israël, si rigoureusement traité par son Dieu, persista-t-il cependant à lui montrer tant de soumission? C'est là un problème que nous sommes obligés de laisser sans solution pour le moment.

Tout ceci nous incite à rechercher si la religion de Moïse n'a pas donné au peuple autre chose qu'un accroissement de sa confiance en lui-même au travers de son sentiment d'être préféré par Dieu. Et cette autre chose est vraiment facile à déceler. Leur religion a donné aux Juifs une idée plus grandiose de la divinité ou, plus exactement, l'idée d'un Dieu plus grand. Quiconque croyait en ce Dieu devait, de quelque manière, participer à sa grandeur et pouvait s'en trouver élevé. Ce fait ne manquera pas de surprendre les incrédules, mais peut-être un rapprochement leur fera-t-il mieux comprendre ce sentiment : prenons, par exemple, un sujet britannique et supposons qu'une quelconque révolution vienne à éclater dans le pays étranger où il se trouve. Cet homme ne s'inquiétera pas, contrairement à tout ressortissant d'un petit État continental. C'est que le sujet britannique sait que si l'on se permettait de toucher à un seul de ses cheveux, son gouvernement enverrait un navire de guerre. Cela, les émeutiers ne l'ignorent pas non plus. Au contraire, le petit État, lui, ne possède aucun navire de guerre. Le sujet britannique est fier de la puissance de son empire, mais cette fierté tient aussi à un sentiment de sécurité, à la certitude d'une protection dont jouit tout sujet du Royaume-Uni. Il en est de même, sans doute, quand il s'agit de la conception d'un Dieu sublime et comme on ne saurait prétendre à aider Dieu dans son gouvernement du monde, la fierté de sa grandeur va de pair avec le sentiment d'avoir été « élu ».

L'une des lois mosaïques a plus d'importance qu'on ne lui en attribue tout d'abord. C'est l'interdiction de se faire une image de Dieu, c'est-à-dire l'obligation d'adorer un dieu invisible. Je présume que Moïse a dû, sur ce point, être plus strict encore que la religion d'Aton. Peut-être ne cherchait-il qu'à être logique, sa Divinité ne devait avoir ni nom ni visage. Peut-être s'agissait-il là d'une nouvelle mesure de protection contre d'illicites pratiques magiques. Mais une fois cette interdiction admise, elle avait certainement d'importants effets, à savoir : une mise à l'arrière-plan de la perception sensorielle par rapport à l'idée abstraite, un triomphe de la spiritualité sur les sens ou plus précisément un renoncement aux instincts avec tout ce que ce renoncement implique au point de vue psychologique.

Afin de rendre plus plausible ce qui, à première vue, ne semble pas convaincant, faisons appel à certains phénomènes de caractère analogue survenus au cours du développement de la civilisation humaine. Le plus ancien et peut-être le plus important d'entre eux se perd dans la nuit des temps, et cependant ses surprenantes conséquences nous contraignent à en postuler la réalité. Chez nos enfants et chez les adultes névrosés, comme chez les primitifs, nous retrouvons le phénomène mental que nous avons appelé « croyance en la toute-puissance de la pensée ». Il s'agit là, à notre avis, d'une surestimation de l'influence que nos facultés mentales - les facultés intellectuelles dans le cas présent - sont capables d'exercer sur le monde extérieur en le modifiant. Toute la magie, prédécesseur de la science, repose sur cette croyance. Toute la magie des mots découle de cette foi en la toute-puissance de la pensée comme aussi la conviction du pouvoir lié à la connaissance et à l'énonciation de quelque nom. Nous estimons que « la toute-puissance de la pensée » exprimait le prix que l'homme attachait au développement du langage qui amena de si extraordinaires progrès des activités intellectuelles. C'est alors que s'établit le règne nouveau de la spiritualité à partir duquel les concepts, les souvenirs, les déductions, prirent une importance décisive au contraire des activités psychiques inférieures relatives aux perceptions sensorielles immédiates. Ce fut certainement là, sur la voie du devenir humain, l'une des étapes les plus importantes.

Un processus plus tardif se présente à nous sous une forme bien plus tangible : sous l'influence de conditions extérieures qu'il ne nous appartient pas d'étudier ici et qui d'ailleurs ne sont pas toutes bien connues, une organisation patriarcale de la société succéda à l'organisation matriarcale, ce qui naturellement provoqua un grand bouleversement des lois alors en vigueur. Il nous semble percevoir comme un écho de cette révolution dans l'Orestie d'Eschyle. Mais ce bouleversement, ce passage de la mère au père a un autre sens encore . il marque une victoire de la spiritualité sur la sensualité et par là un progrès de la civilisation. En effet, la maternité est révélée par les sens, tandis que la paternité est une conjecture basée sur des déductions et des hypothèses. Le fait de donner ainsi le pas au processus cogitatif sur la perception sensorielle fut lourd de conséquences.

Entre les deux faits que nous venons de citer s'en produisit un jour un autre, apparenté surtout à celui que nous avons étudié dans l'histoire des religions. L'homme se vit amené à reconnaître l'existence de forces « spirituelles », c'est-à-dire de forces que les sens, et singulièrement la vue, ne peuvent saisir et qui ont cependant des effets indéniables et même extrêmes. Si nous nous en référons au langage, c'est le déplacement de l'air qui fournissait une image de la spiritualité, puisqu'en effet l'esprit emprunte son nom au souffle d'air (animus, spiritus et, en hébreu, ruach-fumée). Ainsi naquit l'idée d'une âme, principe spirituel de l'individu. Ce souffle d'air, l'observation le retrouva dans la respiration de l'homme, laquelle ne cesse qu'à la mort.

Aujourd'hui encore nous disons d'un mourant qu'il rend le dernier soupir. C'est ainsi que s'ouvrit à l'homme le royaume de l'esprit. L'âme qu'il avait découverte en lui-même, il fut disposé à la prêter à toute la nature. L'univers tout entier se trouva pourvu d'une âme et la science, qui naquit bien plus tard, eut fort à faire pour déposséder de cette âme une partie du monde, tâche qui n'est pas encore achevée aujourd'hui.

Grâce à l'interdiction mosaïque, Dieu fut porté à un échelon plus élevé de la spiritualité et une porte s'ouvrit devant ces nouvelles modifications du concept de Dieu dont nous parlerons par la suite. Occupons-nous, auparavant, d'une autre de ses conséquences. Tout progrès de la spiritualité a pour effet d'accroître la confiance en eux-mêmes des individus, de les rendre orgueilleux, de telle sorte qu'ils finissent par se croire supérieurs à ceux qui subissent encore le joug de la sensualité. Nous savons que Moïse inculqua aux Juifs la fierté de se croire un peuple élu ; grâce à la dématérialisation de Dieu, un nouveau joyau s'ajouta encore au trésor secret de ce peuple.

Les Juifs continuèrent à s'intéresser aux choses spirituelles, les malheurs politiques de leur nation leur apprirent à apprécier à sa juste valeur le seul bien qui leur restât : leurs documents écrits. Immédiatement après la destruction par Titus du Temple de Jérusalem, le rabbin Jochanaan ben Sakkai demanda l'autorisation d'ouvrir à Jahné la première école consacrée à l'étude de la Thora. Désormais ce furent les Livres Sacrés et leur étude qui empêchèrent ce peuple dispersé de se désagréger.

Tous ces faits sont généralement connus et admis. J'ajouterai seulement que cette si caractéristique évolution des Juifs fut due à l'interdiction formulée par Moïse d'adorer Dieu sous une forme visible.

La préférence accordée par les Juifs, pendant environ deux mille ans, aux efforts spirituels, eut naturellement certains effets : elle provoqua une atténuation de la brutalité et de la violence qu'on rencontre habituellement là où le développement athlétique est devenu un idéal populaire. Il ne fut pas permis aux Juifs d'accéder à cette harmonie entre activités spirituelles et physiques que réalisèrent les Grecs. Dans ce conflit, ils optèrent du moins pour ce qui était le plus important du point de vue culturel.

 

V. Le renoncement aux instincts

 

On ne comprend pas, au premier abord, pourquoi tout progrès de la spiritualité, tout recul de la sensualité, renforce la confiance en soi des individus aussi bien que des nations. Ce fait semble présupposer une certaine échelle de valeurs ainsi que l'existence d'une personne ou d'une instance qui disposerait de cette échelle. Pour nous faire mieux entendre, examinons un cas analogue de psychologie individuelle, cas actuellement bien compris de nous.

Quand le ça tente d'imposer à un être humain quelque exigence pulsionnelle d'ordre érotique ou agressif, la réaction la plus simple, la plus naturelle du moi, maître des systèmes cogitatif et musculaire, est de satisfaire par un acte cette exigence. Cette satisfaction instinctuelle, le moi la ressent comme un plaisir, tandis que l'insatisfaction aurait provoqué, pour lui, du déplaisir. Toutefois il peut arriver que le moi, du fait de quelque obstacle extérieur, par exemple s'il s'aperçoit que l'acte en question entraînerait un grave danger, renonce à cette satisfaction. Le renoncement à une satisfaction, à une pulsion, par suite d'obstacles extérieurs, par obéissance, comme nous disons, au principe de réalité, n'est jamais agréable. Il provoquerait une tension et un déplaisir durables s'il ne se produisait, en même temps, grâce à un déplacement d'énergie, une diminution de la force pulsionnelle elle-même. Mais il peut arriver que le renoncement se produise pour des motifs que nous pouvons à juste titre qualifier d'intérieurs. Au cours de l'évolution individuelle, une partie des forces inhibitrices du monde extérieur se trouve intériorisée, il se crée dans le moi une instance, qui, s'opposant à l'autre, observe, critique et interdit. C'est cette instance que nous appelons le surmoi. Dès lors, le moi, avant de satisfaire les instincts, se trouve obligé de tenir compte non seulement des dangers extérieurs, mais encore des exigences du surmoi et il aura ainsi d'autant plus de motifs de renoncer à une satisfaction. Mais alors que le renoncement dû à des raisons extérieures ne provoque que du déplaisir, le renoncement provoqué par des raisons intérieures, par obéissance aux exigences du surmoi, a un effet économique différent. A côté d'un déplaisir inévitable, il assure aussi un gain en plaisir, une sorte de satisfaction compensatrice. Le moi se sent exalté et considère comme un acte méritoire son renoncement à la pulsion. Nous croyons avoir compris le fonctionnement de ce mécanisme : le surmoi est le successeur et le représentant des parents (et des éducateurs) qui, pendant les premières années de l'individu, ont surveillé ses faits et gestes. Le surmoi continue, sans y presque rien changer, à remplir les fonctions de ces parents et éducateurs, ne cessant de tenir le moi en tutelle et d'exercer sur lui une pression constante. Comme dans l'enfance, le moi reste soucieux de ne pas perdre l'amour de ce maître dont l'estime provoque en lui un soulagement et une satisfaction, et les reproches, un remords. Quand le moi a fait au surmoi le sacrifice de quelque satisfaction instinctuelle, il en attend, en retour, un surcroît d'amour. Le sentiment d'avoir mérité cet amour se transforme en fierté. A une époque où l'autorité ne s'était pas encore intériorisée et muée en surmoi, la relation entre la crainte de n'être plus aimé et l'exigence pulsionnelle devait avoir été la même. Un sentiment de sécurité et de satisfaction naissait chaque fois que, par amour filial, l'être renonçait à quelque satisfaction instinctuelle. Ce bon sentiment ne pouvait avoir acquis son caractère narcissique particulier qu'une fois l'autorité intégrée elle-même dans le moi.

Mais cette explication de la manière dont un renoncement à la pulsion se transforme en satisfaction peut-elle jeter quelque lumière sur le phénomène que nous voulons étudier, c'est-à-dire sur l'accroissement de la confiance en soi et sur les progrès de la spiritualité? En apparence, le profit sera maigre car les circonstances sont tout à fait différentes. Ni renoncement à la pulsion, ni personnage ou instance supérieurs en vue desquels se fait le sacrifice n'entrent ici en jeu, et voilà qui ne tarde pas à nous faire hésiter. Cependant une objection se présente : le grand homme ne personnifie-t-il pas justement cette autorité pour l'amour de laquelle on agit ? Comme il est un substitut du père, ne nous étonnons point de lui voir, en psychologie collective, remplir le rôle du surmoi. Cette observation doit valoir également pour Moïse dans ses rapports avec le peuple juif. Toutefois, ailleurs l'analogie n'apparaît plus vraiment. Qu'est-ce que progresser dans la voie de la spiritualité sinon reléguer au second plan les perceptions sensorielles directes en donnant le pas aux souvenirs, aux déductions, aux réflexions, tous processus intellectuels tenus pour supérieurs, c'est décider, par exemple, que la paternité, bien que les sens ne la puissent déceler, est plus importante que la maternité. C'est pourquoi le fils porte le nom de son père et en hérite. Ou bien encore c'est déclarer : notre Dieu est le plus grand, le plus puissant, bien qu'il soit invisible comme le vent d'orage ou comme l'âme. Le renoncement à une exigence instinctuelle d'ordre sexuel ou agressif semble être quelque chose d'entièrement différent. De même, lorsqu'il s'agit de certains progrès spirituels tels par exemple que le triomphe du droit paternel, il est impossible de déterminer l'autorité qui décide de ce qui doit avoir le plus de prix. Ce ne peut être ici l'autorité paternelle puisque cette autorité n'a justement été conférée au père que par le progrès. Il faut donc se contenter de constater un phénomène: le fait qu'au cours de l'évolution de l'humanité, la sensualité a progressivement été vaincue par la spiritualité et que tout progrès de cet ordre provoque chez les hommes un sentiment d'orgueil et de contentement de soi. Mais nous ignorons pourquoi il en est ainsi. Un beau jour, il advient encore que la spiritualité elle-même se trouve vaincue par le phénomène émotionnel mystérieux de la foi. C'est le fameux credo quia absurdum et celui même qui le regarde comme un renoncement à la raison le considère cependant aussi comme une sublime réalisation. Peut-être toutes ces situations psychologiques comportent-elles un autre point commun, peut-être l'homme attribue-t-il plus de prix à ce qui lui est le plus difficile à atteindre et sa fierté tient-elle à un narcissisme accru par la conscience de la difficulté vaincue.

Que voilà donc une dissertation peu profitable! Certains penseront peut-être qu'elle n'a d'ailleurs aucun rapport avec le sujet, nos recherches ayant pour but de découvrir ce qui a déterminé le caractère du peuple juif. Cela ne serait qu'à notre avantage, mais un fait trahit la parenté des deux problèmes, un fait qui, par la suite, nous préoccupera plus encore. Cette religion, après avoir commencé par interdire de figurer la divinité, est devenue toujours davantage, au cours des siècles, une religion de renoncement aux instincts. Certes, sans exiger une continence totale, elle se contente de mettre un frein sérieux à la liberté sexuelle. Dieu est tout à fait dépouillé de sexualité et devient un idéal de perfection éthique. Mais qui dit éthique dit restriction des instincts. Les prophètes ne sont jamais las de rappeler que Dieu exige une seule chose de son peuple.. qu'il mène une vie de justice et de vertu, donc qu'il s'abstienne de toutes les satisfactions instinctuelles qu'aujourd'hui encore la morale considère comme des péchés. En regard des exigences de l'éthique, le commandement même de croire en Dieu semble passer au second plan. C'est ainsi que le renoncement aux pulsions semble jouer un rôle prédominant dans la religion, bien qu'il n'y ait pas été édicté dès le début.

Une observation va ici éviter un malentendu. Même si l'on se refuse à croire que le renoncement à la pulsion et la morale basée sur ce renoncement sont l'essentiel de la religion, il n'en reste cependant pas moins vrai que renoncement et religion sont génétiquement étroitement liés. Le totémisme, première forme connue de la religion, contient toute une série d'interdictions et de commandements qui constituent la base indispensable de tout le système. Ces commandements, ces interdictions ne sont que des renoncements à des pulsions ; c'est le cas, par exemple, de la vénération du totem qui comporte l'interdiction de nuire à ce dernier ou de le tuer, le cas également de l'exogamie, c'est-à-dire du renoncement à la mère, aux soeurs de la horde, passionnément convoitées, et la reconnaissance de droits égaux pour tous les membres de la horde des frères, ce qui équivaut à abandonner toute lutte violente entre rivaux. Nous voyons dans tous les règlements une première ébauche d'un ordre moral et social. Il ne nous échappe pas que deux motifs entrent ici en jeu : les deux premières interdictions sont conformes à ce qu'avait voulu le père évincé et continuent, pour ainsi dire, sa volonté; la troisième, celle de l'égalité des droits des frères, ignore cette volonté et tend à maintenir intact l'ordre nouveau établi après le meurtre du père. S'il en était autrement, un retour à l'état antérieur deviendrait inévitable. C'est ici que les lois sociales se séparent des autres qui, affirmons-le, émanent directement de la religion. Dans l'évolution, bien plus rapide, de l'individu, l'on retrouve l'essentiel de ce processus. Ici encore l'autorité parentale, surtout celle du père, être omnipotent et qui a le pouvoir de châtier, incite l'enfant à renoncer à ses pulsions et détermine ce qui est permis et ce qui est interdit. Les actes qui font qualifier un enfant de « sage » ou de « méchant» seront, plus tard, considérés, quand la société et le surmoi se seront substitués aux parents, comme « bons » ou « mauvais », vertueux ou vicieux. Et pourtant c'est toujours d'une seule et même chose qu'il s'agit, d'un renoncement aux instincts par suite de l'existence d'une autorité venue remplacer et continuer celle du père.

Cette manière de voir se trouve encore renforcée quand nous étudions le concept étrange de la sainteté. Qu'est-ce donc qui donne à quelque chose, par comparaison avec tout ce que nous respectons, un caractère sacré? D'abord les rapports du sacré avec le religieux sont indéniables et très marqués ; tout ce qui tient à la religion est sacré et c'est là le fondement même de la sainteté. D'autre part, notre jugement est troublé par maintes tentatives de conférer un caractère de sainteté à nombre d'autres choses, individus, institutions, fonctions, qui n'ont pas grand-chose à voir avec la religion. Ces efforts sont souvent très tendancieux. Examinons tout d'abord le caractère prohibitif inhérent à la sainteté. Ce qui est sacré, il est naturellement interdit d'y toucher. Toute interdiction sacrée a un caractère nettement affectif, mais, à dire vrai, aucun motif rationnel. Par exemple, pourquoi les relations incestueuses d'un individu avec sa fille ou avec sa soeur paraissent-elles bien plus odieuses que n'importe quelle autre sorte de rapports sexuels? A cette question, en ne manquera pas de nous répondre que tous nos sentiments se révoltent contre un pareil crime, ce qui revient à dire que l'interdiction semble toute naturelle et que les raisons ne s'en peuvent donner.

Comme il est facile de le démontrer, une explication de cette sorte n'a aucune valeur. Ce qui soi disant offusque nos sentiments constituait jadis dans les familles régnantes de l'ancienne Égypte, ainsi que chez d'autres peuples de l'antiquité, un usage répandu et l'on pourrait même dire une tradition sacrée. Il était de règle que le Pharaon trouvât en la personne de sa soeur sa première et principale épouse. Les successeurs des Pharaons, les Ptolémées grecs, n'hésitèrent pas à suivre cet exemple. Nous sommes donc tentés de penser que l'inceste, dans le cas présent l'inceste entre frère et soeur, était une prérogative réservée aux souverains, représentants des dieux sur la terre, et interdite au commun des mortels. Par ailleurs ni le monde grec ni le monde germain, tels que nous les représentent les légendes, ne réprouvaient ces relations incestueuses. Il est permis de supposer que l'attachement de la grande noblesse à la «naissance » n'est qu'un reliquat de cet ancien privilège et nous observons que, par suite de ces unions consanguines réalisées dans les plus hautes sphères sociales pendant bien des générations, les têtes couronnées de l'Europe actuelle appartiennent à une ou deux familles seulement.

L'existence de l'inceste chez les dieux, les monarques et les héros nous permet aussi de rejeter une autre thèse qui tend à donner à l'horreur de l'inceste une explication biologique, en ramenant cette aversion à quelque obscure prescience du danger de la consanguinité. Toutefois il n'est pas du tout certain que ce danger-là existe réellement et bien moins sûr encore que les primitifs l'aient perçu et aient réagi contre lui. L'incertitude dans la détermination des rapports sexuels permis ou défendus ne permet pas non plus d'admettre que la peur de l'inceste émane d'un « sentiment naturel ».

Nos vues sur la préhistoire nous poussent à admettre une autre explication. La loi de l'exogamie, dont l'expression négative est la peur de l'inceste, traduisit la volonté du père et la continua après le meurtre de ce dernier. D'où sa teinte affective si marquée et l'impossibilité de toute explication rationnelle, bref son caractère sacré.

Nous sommes convaincus que si nous examinions tous les autres cas d'interdiction sacrée, nous obtiendrions un résultat analogue à celui que fournit l'étude de la peur de l'inceste et nous constaterions que le caractère sacré n'est originellement rien d'autre que la volonté perpétuée du père primitif. Ainsi quelque lumière serait également projetée sur l'ambivalence jusqu'ici inexplicable des mots qui expriment le concept de « sacré ». C'est l'ambivalence qui régit les rapports avec un père. « Sacré » ne signifie pas seulement « saint », « consacré », mais aussi ce qui se traduit par (maudit », « abominable » ( « auri sacra fames »). Non seulement il ne fallait pas toucher à la volonté du père, non seulement il convenait de l'honorer hautement, mais il fallait aussi la redouter parce qu'elle exigeait un pénible renoncement aux instincts. Lorsque nous entendons dire que Moïse avait « sanctifié » son peuple en lui imposant la circoncision, nous saisissons alors le sens profond de cette assertion. La circoncision est un substitut symbolique de la castration que le père primitif et omnipotent avait jadis infligée à ses fils. Quiconque acceptait ce symbole montrait par là qu'il était prêt à se soumettre à la volonté paternelle, même si cela devait lui imposer le plus douloureux des sacrifices.

Pour en revenir à l'éthique, disons en manière de conclusion qu'une partie de ses lois s'explique rationnellement par la nécessité de délimiter les droits de la communauté en face de l'individu, ceux de l'individu en face de la communauté et ceux réciproques des individus. Mais tout ce qui, dans l'éthique, nous semble mystérieux, sublime, mystiquement évident, elle le doit à sa parenté avec la religion et au fait qu'elle tire son origine de la volonté du père.

15ème partie La part de vérité dans la religion

Posté par Adriana Evangelizt

 

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