Non, Judas n'a pas trahi le Galiléen...
A l'heure où tout le monde glose sur l'Evangile de Judas que le National Geographic vient de traduire, je ne peux m'empêcher de sourire car tout Gnostique sait depuis longtemps que Judas n'a jamais trahi Jésus. N'en déplaise à l'Eglise grecque orthodoxe qui voit là un complot sioniste... je vais même dire mieux, si les idéologues sionistes -qui ne sont pas mes amis et qui sont passés maîtres dans l'art des complots, certes- ont voulu vraiment comploter pour réhabiliter Judas, alors, pour une fois, sans le vouloir ils ont fait une bonne action.
On connaît, de toute façon, l'aversion de l'Eglise Chrétienne pour les textes "apocryphes". Depuis le départ, l'Eglise Catholique Romaine a choisi elle-même quel texte est légitime à ses yeux et tous les autres sont systématiquement mis à l'index. Même s'ils sont de la même époque que les fameuses Evangiles arrangées façon romaine. Quel crédit peut-on franchement apporter à un Saul de Tarse qui n'a jamais cotoyé de son vivant le Galiléen... a persécuté les chrétiens avec les Romains alors qu'il était hébreux ? Que doit-on penser franchement d'un individu qui trahit son peuple pour pactiser avec l'ennemi et qui sur un chemin nommé Damas eu soudain la Révélation ? N'est-il pas pire qu'un Judas que l'on a noirci à dessein pour, une fois de plus, cacher une Vérité qui dérangeait ? Paradoxalement pourtant, ce n'est pas l'Evangile apocryphe de Judas qui permit de découvrir le subterfuge, c'est celui de Thomas. Et en 1981, Emile Gillabert écrivit un livre qui se nomme "Jésus et la Gnose" où un chapitre est consacré à la réhabilitation de Judas en parallèle de son autre livre sur l'Evangile de Thomas. Je possède ce livre et j'ai commencé à vous taper la première partie... on y découvre des choses très intéressantes et qui intéresseront sûrement ceux qui cherche la Vérité... bonne lecture...
Réhabilitation de Judas
par Emile Gillabert
La tradition a dissocié Judas de Thomas pour faire du premier le traître qui livre Jésus et du second l'incrédule qui ose mettre en doute le bien-fondé des bruits qui courent sur la résurrection de Jésus.
Dans l'incipit de l'Evangile selon Thomas, les deux hommes sont réunis dans la personne dénommée Didyme Judas Thomas. Au logion 13, nous retrouvons Thomas, sans autre prénom, et, fait remarquable, il nous est présenté comme l'initié, celui qui détient les clefs de la gnose, celui qui ne peut faire part aux autres disciples de ce que Jésus vient de lui dire sous peine de très graves dangers :
Si je vous disais une des paroles qu'il m'a dites,
vous prendriez des pierres,
vous les jetteriez contre moi ;
et le feu sortirait des pierres
et elles vous brûleraient.
(Log. 13/22-26)
De son côté, Jésus, qui est censé nous rendre les clefs de la gnose que les pharisiens et les scribes ont prises et cachées, nous invite à être prudents comme les serpents et simples comme les colombes (log. 39/8-9) A une autre occcasion, il demande de ne pas donner ce qui est pur aux chiens... et de ne pas jeter les perles aux pourceaux... (log.93). Lorsque le mental fait sien ce qui relève de l'Autre, il opère un renversement complet des "valeurs". En d'autres termes, il blasphème contre l'Esprit (Log. 44/6). L'inversion est totale ; c'est Satan ou le Prince de ce monde qui se substitut à Dieu. L'initié, l'éveillé, devient le diable, le traître, le corrupteur.
Le personnage qui accueille et transcrit les paroles de Jésus, qui apparaît comme l'initié, est par la force des choses Satan aux yeux du monde. Le nom qu'il porte est déjà révélateur : Didyme Judas Thomas. On sait que le terme grec didumos veut dire jumeau. Il souligne d'entrée de jeu le lien, pour ne pas dire l'identité de vision, entre Jésus et Judas Thomas ; ainsi Judas Thomas est l'alter ego de Jésus. Le thème du jumeau est du reste fréquent dans la littérature gnostique. Ainsi, par exemple, le Prince dans le Chant de la Perle a un frère qui ne descend pas en ce monde. Mais c'est surtout dans la gnose manichéenne que nous trouvons le jumeau céleste. Mani, mourant, contemple son Double qui n'est autre que le Christ.
Si donc Judas Thomas est Satan pour le monde, il l'est également pour l'entourage de Jésus qui n'a pas accès à son enseignement "caché". Par contre, aux yeux de Jésus, c'est exactement l'inverse qui se produit. Dans Matthieu (16/22-23) et dans Marc (8/32-33), c'est Pierre que Jésus traite de Satan dans un contexte qui montre que le disciple pense non les choses de Dieu mais celles du monde. Cette réprimande très dure apparaît en filigrane dans Jean, où Jésus se contente de dire l'un de vous est un diable (6/70) ; mais le narrateur a le souci révélateur de préciser : Or, il parlait de Judas fils de Simon Iscariote, car celui-ci allait le livrer (6/71)
Luc omet l'épisode qu'il trouve sans doute trop dur à l'égard de celui qui deviendra le chef de l'Institution, tandis que l'ultime rédacteur johannique le met sur le compte de Judas, ce qui révèle l'embarras de l'un et de l'autre. Mais l'embarras lui-même garantit, comme le souligne le Père Boismard (Synopse des quatre Evangiles, ed. du Cerf, 1972, t.II, p. 247), l'authenticité de cette parole de Jésus contre Pierre. Cependant, il s'agissait de ne pas faire perdre la face à Satan, et Pierre, à la suite de sa profession de foi, sera désigné pour être le chef de l'Eglise. Le triple reniement qui suivra ne renversera plus la situation. Le nom de Judas Thomas sera dédoublé dans les textes canoniques et Judas sera désormais le traître. Le souci quasi-obsédant chez l'auteur de la dernière version johannique de dénoncer le traître montre bien le parti pris d'inverser les rôles de Pierre et de Judas. Il n'est pour s'en convaincre que de relire d'un oeil neuf le chapitre 13 de Jean. Mais Matthieu (26/14-16 et 26/21-25), Marc (14/10-11 et 14/18-21) et Luc (22/3-6 et 22/21-23) désignent à leur tour Judas qui allait livrer Jésus. Livrer, transmettre son enseignement, sa substance vive, san chair et son sang (Jean 6/53-56 ; Thomas 108) ? Ou bien trahir, dénoncer, lâcher, abandonner ? Le mot grec didômi et le mot latin trahere autorisent l'une ou l'autre interprétation, de quoi satisfaire le profane et l'initié. Néanmoins, même s'il faut traduire le mot grec par trahir, il reste que c'est Pierre qui doit être visé puisqu'il va renier dans quelques heures, ouvertement et par trois fois, son Maître. Le gnostique sait qu'il est dans un domaine où l'inversion est totale. Il ne perd pas de vue que l'initié est Satan aux yeux du profane, tandis que Satan est le profane aux yeux de l'initié, tout comme le Serpent de la Genèse est l'initiateur pour le gnostique et Satan pour le profane.
Curieusement, le traitre étant désigné, il n'est pratiquement pas fait mention de Thomas dans les évangiles canoniques. En Jean (11/16), il y a tout de même une réflexion de Thomas qui parle en faveur de son rôle de témoin. Jésus est aux prises avec les juifs qui veulent le lapider et les disciples le dissuadent d'aller au-devant de l'ennemi (Jean 11/8). Là dessus, intervient sans préambule le début de la scène de résurrection de Lazare après quoi on retrouve le fil des évènements. Jésus est en danger de mort ; alors Thomas, qui est appelé Didyme, dit aux autres disciples : Allons nous aussi afin de mourir avec lui (Jean 11/16). Thomas, jumeau de Jésus, est prêt à apporter à son Maître le suprême témoignage de l'amitié et de la fidélité en donnant sa vie pour lui. Thomas apparaît sous ce nom une dernière fois avant la mort de Jésus. Celui-ci, après avoir dit qu'il allait préparer à ses disciples une place dans la maison du Père -passage qui a déjà une connotation apologétique- ajoute : Et du lieu où je vais vous connaissez le chemin. Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment en connaîtrions-nous le chemin ? La réflexion peut à nouveau révéler ou l'initiation de Thomas ou son obscurantisme, suivant le niveau où ces paroles sont appréciées. Cependant, la réponse de Jésus est éclairante : Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne va au Père que par moi. Si vous me connaissez, vous connaissez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez et vous l'avez vu. (Jean 14/6-7)
Il n'y a pas lieu d'aller quelque part puisque Jésus l'a dit et répété, le Royaume est déjà là. La réflexion de Thomas paraît autrement avisée que celle de Philippe qui dit : Seigneur, montre-moi le Père et cela me suffit. Du reste la réponse de Jésus le souligne : Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui m'a vu a vu le Père, comment peux-tu dire : montred-moi le Père ? (Jean 14/8-9)
Si, aux yeux du profane, l'initié est Satan, nous avons toutes les chances de le trouver sous le nom et les traits de Judas. Nous avons vu que celui qui transcrit les paroles de Jésus est Didyme Judas Thomas. Et voici que la philologie vient à notre aide pour nous faire découvrir que le Judas des textes canoniques qui livre Jésus est bien le même personnage que Thomas. En effet, H. CH. Puech, dans son ouvrage En quête de la Gnose, (t?. II, p. 213) précise que Didumos est l'équivalent grec de toma en araméen, de tauma en syriaque... surnom attribué à Jude, Judas, Ioudas. Ce n'est donc pas fortuitement que Jean précise : Thomas appelé Didyme. Qu'il soit appelé par son nom ou par son surnom, que ce soit Thomas ou Judas, il s'agit du même disciple. Dans notre développement, la philologie éclaire l'ésotérisme. Le fidèle témoin que nous avons vu prêt à donner sa vie pour son Maître est l'homme de confiance qui a la "caisse" du groupe (Jean/12-6 ; 13/29). Mais lorsque nous l'apprendrons, il s'appellera Judas et sera déjà le "traître" en puissance, qui livrera Jésus. Cependant le gnostique, qui doit inverser les signes pour rétablir la Vérité, parlera de l'initié qui transmettra le message après la mort de Jésus. Du reste, par une curieuse coïncidence, juste avant la mise en scène pour souligner la "forfaiture imminente du traître", Jésus dit : "En vérité, en vérité, je vous le dis : qui reçoit celui que j'envoie me reçoit, mais qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé (Jean 13/20). La filiation est bien indiquée et assurée ; en effet, quelques instants après, Judas, comme unique ou premier envoyé, va partir seul la nuit (Jean 13/30).
Relevons encore quelques indices qui ne peuvent être compris qu'en fonction de notre ouverture à la gnose car le maquillage de la scène est de nature à satisfaire celui qui voit non les choses de dieu mais celles des hommes (Mat. 16/23 ; Marc 8/33). Le texte dit que Jésus donna la bouchée à Judas (Jean 13/26). Pourquoi ce geste au symbolisme si fondamental ? Pour désigner le traître, laissera croire le texte. Pour que Judas, qui va partir seul la nuit transmettre l'enseignement caché au profane, puisse, tout en recevant les prémisses du repas par une attention qui n'échappe pas au gnostique, se restaurer avant le départ ; le gnostique lira également en filigrane que le départ de l'initié est urgent car Jésus, qui renonce maintenant à se protéger -n'a-t-il pas un continuateur ?- va bientôt être arrêté, d'où la réflexion de Jésus à Judas : Ce que tu as à faire, fais le vite (Jean 13/27). Le narrateur ajoute : Mais cette parole, aucun des convives ne comprit pourquoi il la lui disait (13/28). Et pour cause, Jésus va être arrêté. Il le sait - c'est du reste lors d'une évocation de sa mort, révoltante por Pierre qu'il dira à celui-ci : Passe derrière moi Satan.
Mais la vraie Cène, c'est celle où Jésus donne la bouchée à Judas. L'autre est, par rapport à celle-ci, la contre-initiation, ou, si l'on veut, le simulacre destiné à camoufler la réalité. Tout au plus, peut-on y voir le rite que pratiquait déjà le Maître de Justice chez les Esseniens ; il bénissait avant le repas le pain et le vin. Saint-Paul reprend le rite en y ajoutant ce qu'on peut bien appeler son trait de génie propre, le mémorial de la Passion. L'Apôtre en fait du reste une affaire personnelle : Pour moi, en effet, j'ai reçu du Seigneur ce qu'à mon toure je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, la nuit où il était livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, le rompit et dit : Ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi... (ICor. 11/23-25). L'exégèse confessionnelle fera remarquer que le texte correspondant de Luc (22.19-20) est proche de celui de Paul. Rien d'étonnant à cela quand on sait combien Luc est tributaire de Paul.
Le geste de Jésus en faveur de Judas ne peut pas, honnêtement, être interprété comme une dénonciation. A la rigueur on désigne du doigt le traître, on ne lui offre pas les prémisses du repas. Judas reçoit la bouchée afin que le symbolisme si riche de la chair et du sang reçoive toute sa signification.
Jean et Thomas nous rapportent les paroles de Jésus destinées à nous ouvrir à l'indicible réalité en partant des images les plus suggestives qui soient : le pain et le vin, la chair et le sang, la salive. Ce qui est palpable et visible, ce qui peut être goûté, ce qui exprime le plus intime de l'être nous est offert par Jésus pour que, le recevant, nous soyons identiques à lui. C'est comme si, voulant nous soulager, il nous faisait faire l'économie de l'opération mentale par le passage sans transition du physique au métaphysique. Comme il a réalisé l'unité avec le Père, Jésus veut que nous la réalisions avec lui et il dispose pour nous du Royaume comme son Père en a disposé pour lui (Luc 22/29). Or être un avec Jésus, c'est faire le deux UN, à l'exemple de Jésus et du Père : le Père et moi somme un (Jean 10/30).
Tiré de "Jésus et la Gnose" d'Emile Gillabert page 172 à 177
Posté par Adriana Evangelizt