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4 février 2007 7 04 /02 /février /2007 18:09

Rome, les chrétiens détrônent Jupiter

Par Catherine Salles




Au départ, l'intolérance est du côté chrétien : les adeptes de la nouvelle foi refusent d'honorer l'Empire, ses dieux et ses lois. Leur intransigeance dérange, ils troublent l'ordre public. Les autorités romaines, alertées par les citoyens, finissent par sévir.



Les Romains font une nette différence entre ce qu'ils qualifient de religio, culte reconnu d'un dieu romain ou étranger, et la superstitio, pratique religieuse illicite, qu'ils considèrent douteuse et dangereuse pour l'ensemble de la communauté. Ainsi, pour les autorités romaines, le judaïsme est une religio, et, même si leurs pratiques religieuses sont jugées incongrues et absurdes, les communautés juives sont reconnues par le pouvoir. En revanche, au moment du grand incendie de Rome en 64, Néron fait condamner les chrétiens de Rome - qui sont pour la plupart d'origine juive - pour leur « haine du genre humain » qui relève d'une superstitio.

Pourquoi les chrétiens sont-ils considérés comme subversifs ? Leur culte ne contient rien en lui-même susceptible d'être insupportable pour les autres. On le voit bien dans la correspondance échangée entre Pline le Jeune, gouverneur du Pont-Bithynie, et Trajan à partir de 111. Pline fait part à l'empereur de sa perplexité sur la conduite à tenir face aux communautés chrétiennes de sa capitale, Nicomédie. Ces chrétiens sont fort respectueux des lois et n'ont pour seule habitude que de se réunir à jour fixe pour chanter des hymnes en l'honneur du Christ. Ceux qui ont été arrêtés sous la foi de dénonciations anonymes ont accepté de rendre hommage à la statue de l'empereur. Rien de bien criminel, en somme ! Ce à quoi Trajan répond avec sagesse : « Mon cher Pline, tu as fait ce qu'il fallait dans l'examen des causes de ceux qui t'avaient été dénoncés comme chrétiens. En effet, il est impossible de fixer une règle générale qui ait en quelque sorte une forme fixe. Ils ne doivent pas être poursuivis systématiquement. S'ils sont dénoncés et convaincus de pratiques criminelles, ils doivent être punis. J'y mets cependant une restriction : celui qui aura nié être chrétien et en aura donné des preuves manifestes, c'est-à-dire en sacrifiant à nos dieux, même s'il a été suspect dans le passé, obtiendra le pardon comme prix de son repentir. Quant aux délations anonymes, elles ne doivent être acceptées dans aucune accusation. C'est en effet un procédé d'un détestable exemple, et qui n'est plus de notre temps. » De surcroît, la hiérarchie interne des communautés, avec ses surveillants (episcopoi) et son conseil des anciens (presbuteroi) n'a pas de rôle public : les prêtres ne se manifestent pas davantage que ceux d'autres religions, comme celles d'Isis ou de Mithra, qui s'exercent au grand jour. Ne possédant pas de lieu de culte spécifique, les chrétiens se réunissent dans les demeures de leurs coreligionnaires fortunés. Les femmes jouent dans ce domaine un rôle essentiel : en effet, la plupart du temps, ce sont elles qui prennent l'initiative de prêter leurs appartements pour les réunions hebdomadaires des fidèles.

A ses débuts, il est vrai, le christianisme a été caricaturé par les païens qui font courir des calomnies résultant d'une mauvaise compréhension de leurs rites. On les accuse d'anthropophagie, parce qu'ils « mangent un corps » et « boivent le sang », formules, on le sait, prononcés lors du partage de la Cène. Ils sont présentés comme des « incestueux », ce qui vient des appellations « frères » et « soeurs » utilisées par les fidèles entre eux. Les repas nocturnes des communautés sont évoqués comme donnant naissance à des turpitudes infâmes. Enfin, ce dieu des chrétiens qui n'a pas de représentation figurée est présenté comme ayant une tête d'âne. Ces calomnies ne sont pas l'apanage du seul christianisme. En leur temps, d'autres cultes étrangers ont subi les mêmes attaques visant à les interdire dans le monde romain. D'ailleurs, ces racontars datent des deux premiers siècles de notre ère ; par la suite, le culte chrétien est suffisamment connu pour ne plus se prêter à de telles sornettes. Enfin, les accusations d'impiété contre les hommes qui refusent d'honorer les dieux et l'empereur sont très ponctuelles. De plus, le culte de l'empereur ne devient véritablement obligatoire pour l'ensemble des habitants de l'Empire qu'à partir du IIIe siècle.

Comment expliquer alors que cette superstitio, « secte » obscure du judaïsme peu gênante pour la société romaine, provoque des poursuites judiciaires qui culminent lors de la Grande Persécution lancée par Dioclétien en 303 ? Pendant les deux premiers siècles, les autorités romaines interviennent fort peu pour contrôler les communautés chrétiennes. Bien entendu, la condamnation à mort des chrétiens de Rome par Néron après le grand incendie de 64 a frappé les esprits, mais ne donne pas naissance à une législation particulière, comme le prouvent les lettres de Pline le Jeune et de Trajan. Les quelques martyres du IIe siècle ont pour cause des catastrophes publiques suscitant la colère des foules contre les « athées » chrétiens qui ont irrité les dieux. C'est ainsi qu'à la suite d'un tremblement de terre, pour calmer la fureur populaire, le gouverneur de Smyrne fait brûler vif en 156 le jeune évêque de la ville, Polycarpe. La persécution de Lyon en 177 est le premier exemple d'une condamnation globale d'une cinquantaine de chrétiens, parmi lesquels se distinguent l'évêque Pothin et l'esclave Blandine. Il est encore difficile de préciser le fondement légal de ces exécutions, car il n'y a toujours pas de législation particulière contre les chrétiens et les condamnations relèvent en fait du maintien de l'ordre.

Au IIIe siècle s'ouvre une longue période d'anarchie dans l'Empire romain en proie aux guerres civiles, à une dépopulation grandissante, aux menaces du péril barbare. Pour resserrer les liens entre tous leurs sujets, les empereurs mettent au point une législation antichrétienne qui débouche sur des persécutions, les plus violentes ayant lieu sous les règnes de Dèce (249-251), de Valérien (253-260) et de Dioclétien (284-305). Dèjà les chrétiens représentent plus de la moitié de la population de l'Empire. Peu de temps après la Grande Persécution de Dioclétien, Constantin parvenu au pouvoir proclame la Paix de l'Eglise par l'édit de Milan (313) qui reconnaît la liberté de culte pour tous. Le christianisme devient alors licite avant d'être la religion officielle et seule autorisée sous le règne de Théodose en 391.

Ce n'est pas uniquement la multiplication des conversions qui fait du christianisme au IIIe siècle une force qu'il faut en un premier temps combattre, et en un second temps se résoudre à accepter. Ce qui devient un attrait pour les néophytes, c'est l'originalité des chrétiens face à la société établie : ils contestent les institutions sociales au nom de leur foi et s'affirment en s'opposant. Bien sûr, cette contestation n'a pas été systématique dans toutes les communautés chrétiennes. Cependant, les textes littéraires nous montrent bien comment s'est élaborée peu à peu une éthique proprement chrétienne qui entraîne le refus des us et coutumes du paganisme.

Les controverses s'appuient sur les textes saints de la nouvelle religion. Rappelons que le Nouveau Testament n'est véritablement constitué qu'au cours du IIIe siècle avec les livres canoniques que nous connaissons (Evangiles, Epîtres pauliniennes, Apocalypse). En conformité avec la tendance dualiste de la doctrine chrétienne - opposition de l'Eglise et du Monde, de l'Esprit et de la Chair - s'élabore une morale personnelle et sociable faisant souvent table rase des usages admis. Le fidèle doit renoncer au siècle, bannir le luxe et l'appât du gain, éviter l'immoralité. Bien souvent, les candidats au baptême doivent renoncer à certains métiers liés à l'idolâtrie païenne. C'est le cas des artistes de toute sorte appelés à confectionner des objets représentant les dieux, des professeurs obligés d'évoquer dans leur enseignement la mythologie, des prêteurs à gages qui, au mépris de la charité chrétienne, provoquent des situations dramatiques chez leurs débiteurs. Les communautés chrétiennes n'ont pas toutes la même attitude à l'égard de ces catéchumènes : certaines admettent qu'ils continuent à exercer leur profession, d'autres rappellent que le bon chrétien doit éviter toute compromission avec les cultes païens.

Le domaine de la vie privée et familiale est sans doute le secteur où s'affirme avec le plus de netteté et de façon durable la particularité de la morale chrétienne. Rappelons que, dans le monde romain, le mariage est quasi obligatoire (les célibataires sont soumis à une amende) et, pour les femmes, seules les prêtresses vestales doivent rester vierges pendant leur ministère. Le divorce est facilement pratiqué et n'est guère qu'une formalité qui permet les remariages. Pendant les premiers siècles, les chrétiens prennent à la lettre la prescription de Paul aux Corinthiens : « Il est bon pour l'homme de s'abstenir de la femme... Celui qui marie sa fille fait bien et celui qui ne la marie pas fera mieux encore. » Certains chrétiens vont même jusqu'à dénoncer le mariage comme une fornication légale. Ils ne sont pas très éloignés des règles d'ascèse formulées par des philosophies païennes, épicurisme et pythagorisme. Les honneurs accordés par les chrétiens aux vierges souvent consacrées à Dieu dès leur naissance ne peuvent que choquer.

Contre les excès provoqués par la recherche de la pureté à tout prix, la doctrine chrétienne se précise peu à peu et établit une hiérarchie : la virginité (et en conséquence, le célibat) devient la première vertu, le choix du mariage restant pourtant possible pour ceux dont la chair est faible ! Mais les relations sexuelles entre époux doivent être commandées par la nécessité de la procréation et il leur est vivement recommandé d'observer périodiquement des périodes de continence. Si, pour le mariage, les chrétiens respectent les formes juridiques en usage dans leur lieu de résidence, ils le transforment profondément en le rendant indissoluble. Ils suivent en cela l'enseignement même du Christ : « Si quelqu'un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l'égard de la première ; et si la femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère. » Le divorce est donc formellement banni pour les chrétiens et bien des dirigeants de communauté s'opposent même au remariage des veuves.

Ces règles de morale ne posent guère de problème dans les ménages dont les deux époux sont chrétiens. En revanche, elles sont beaucoup plus difficiles à appliquer dans les mariages mixtes. La plupart du temps, c'est l'épouse qui est chrétienne. Il y a en effet plus de femmes chrétiennes que d'hommes, aussi les Pères de l'Eglise les autorisent à épouser un païen à condition de s'efforcer de le convertir. Mais l'intraitable Tertullien (v. 155-v. 225) interdit formellement de telles unions : « Il est sûr que les fidèles qui se marient à des païens sont coupables de fornication et doivent être écartés de toute participation avec la fraternité chrétienne. » On peut imaginer les difficultés internes à ces unions chrétiennes-païens : le divorce décidé par le mari, la consécration à Dieu par la mère d'une petite fille que son père veut marier, etc.

La femme chrétienne doit être à l'extérieur un exemple vivant pour ses contemporaines. C'est le cas en particulier des aristocrates de Rome qui sont visibles par tous lors des occasions officielles. Saint Jérôme (347-420), qui fut le directeur spirituel des femmes de la noblesse, est intransigeant et interdit aux chrétiennes de céder aux attraits de la mode. Les patriciennes romaines accordent beaucoup de soin à leur toilette : robes multicolores de tissus légers, abondance de bijoux, coiffures extravagantes échafaudant sur la tête boucles et nattes souvent teintes en blond, visages très fardés. Ce maquillage est l'objet des attaques les plus virulentes de Jérôme : « Que font sur le visage d'une chrétienne le fard de la pourpre et de la céruse ? L'une simule la rougeur des joues et des lèvres, l'autre la blancheur du teint et du cou : incendies pour les jeunes gens, aliments des passions, indices d'une conscience impudique. Comment peut-elle pleurer pour ses péchés, celle dont les larmes mettent à nu la peau et tracent des sillons dans son fond de teint ? Ce n'est pas là la parure du Christ, c'est le voile de l'Antéchrist. Comment a-t-elle l'audace de dresser vers le ciel un visage que son Créateur ne saurait reconnaître ? »

Tous les soins du corps sont proscrits et il est méritoire pour une chrétienne de négliger la propreté en ne se rendant pas quotidiennement aux bains comme le font tous les habitants de l'Empire. « Que la saleté des habits, écrit saint Jérôme, dénote la pureté de l'âme, qu'une misérable tunique prouve le mépris du siècle. » Les vêtements doivent être sombres, en tissu grossier, enveloppant hermétiquement le corps et en masquant les courbes. La chevelure, dont les Pères de l'Eglise connaissent la puissance érotique, doit être laissée à l'état négligé et serrée sous un voile épais, selon le précepte de saint Paul : « Que la femme porte le voile. » Pour résumer, une parfaite chrétienne doit être habillée comme une mendiante et être crasseuse !

Femme la plus riche de l'Empire au milieu du IVe siècle, sainte Mélanie a poussé à l'extrême cette recherche spectaculaire du dénuement absolu en ne portant qu'un seul vêtement toute l'année. Lors d'une manifestation publique à Rome, elle rompt avec le protocole qui exige des femmes de paraître la tête découverte. Elle refuse de quitter son voile pour se conformer à l'injonction paulinienne : « Ses habits en effet étaient des vêtements de salut et tout le cours de sa vie était pour elle une prière. Aussi ne supportait-elle pas de découvrir sa tête, même pour un moment, afin de ne pas affliger les anges qui l'accompagnaient. »

Dans la vie publique, les chrétiens sont amenés aussi à témoigner de leur différence. C'est le cas en particulier pour les spectacles, représentations théâtrales, courses de chars et combats de gladiateurs, que tous les auteurs chrétiens condamnent parce qu'ils sont rattachés aux cultes de dieux païens. De plus, les pièces de théâtre ont pour intrigue des situations scabreuses immorales, les travestissements et les fards des acteurs sont des atteintes à l'oeuvre du Créateur. Les combats de l'arène flattent les instincts les plus pervers des spectateurs.

En ce qui concerne le service militaire, les Pères de l'Eglise ont des positions contradictoires selon les références qu'ils adoptent. Pour Tertullien, le chrétien ne peut être enrôlé dans l'armée, car le service est incompatible avec les obligations chrétiennes d'amour mutuel et de respect du repos dominical. Le sacramentum (serment) que doit prêter chaque soldat à l'empereur est aussi un obstacle : « Il n'y a pas d'accord possible, écrit Tertullien, entre un serment divin et un serment humain, entre l'étendard du Christ et l'étendard du diable, le camp de la Lumière et le camp des Ténèbres : une âme ne peut pas servir deux maîtres, Dieu et César. »

Pendant les deux premiers siècles, le service militaire n'est pas obligatoire et les chrétiens peuvent se dispenser d'entrer dans l'armée. A partir du IIIe siècle, pour faire face aux invasions barbares, on enrôle de force des paysans, des fils de vétérans, des esclaves, des étrangers parmi lesquels se trouvent des chrétiens. Ce qui produit des crises dans l'armée ; le jeune conscrit Maximilien, patron avant la lettre des objecteurs de conscience, refuse de prêter serment : « Je ne serai pas soldat. Je ne servirai pas dans les armées du monde. Je suis soldat de mon Dieu. » Il est exécuté pour indiscipline. Le centurion Marcel refuse de participer aux cérémonies en l'honneur de l'empereur pendant lesquelles on invoque les dieux : « Il ne convient pas qu'un chrétien qui est soldat du Christ serve dans les armées du monde. » Il est lui aussi condamné à la peine capitale.

L'acte de rupture le plus spectaculaire de la contestation chrétienne est l'exaltation du martyre. Le supplicié, par un supplice infamant exécuté sous les yeux de la foule, s'identifie à Jésus dans ses souffrances. Le martyr « témoigne » (c'est le sens du mot grec marturos) de sa foi dans le mystère du salut éternel promis par Jésus. « J'aime la vie, affirme Apollonius au proconsul Perennis, mais l'amour de la vie ne me fait pas craindre la mort. Rien n'est meilleur que la vie, à l'exception de la vie éternelle ! » Le choc provoqué par le courage des martyrs entraîne de nombreuses conversions.

La ferveur des fidèles est entretenue par le culte des reliques et la célébration de l'anniversaire de la mort du martyr. Il faut parfois calmer l'ardeur des néophytes dont certains voudraient provoquer les autorités pour connaître l'exaltation d'une fin exemplaire ! A partir de la Paix de l'Eglise, le martyre « rouge » a pour substitut le martyre « blanc », c'est-à-dire le monachisme, qui marque une rupture avec le monde par la consécration de la vie à Dieu.

Dans un Empire qui se signalait par son syncrétisme religieux, c'est-à-dire par une tolérance un peu molle à l'égard de toutes les religions présentes, la contestation des chrétiens a été pour eux une arme de combat. En confrontant la morale de vie induite par les Evangiles à celle de leurs contemporains, ils ont choqué. A long terme, par leur refus d'adoucir leurs pratiques en fonction des critères du monde, ils ont permis à leur foi de devenir celle de l'ensemble de l'Empire.

Comprendre

Syncrétisme


Système religieux ou philosophique qui fait fusionner des doctrines différentes en une seule.


Agrégée de lettres classiques et docteur d'Etat, Catherine Salles a publié Les Mythologies grecques et romaines (Tallandier, 2003), La Rome des Flaviens (Perrin, 2002), Quand les dieux parlaient aux hommes. Introduction aux mythologies grecque et romaine (Tallandier, 2003).

Sources Historia

Posté par Adriana Evangelizt


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