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5 février 2007 1 05 /02 /février /2007 00:07

Pas de pitié pour les hérétiques

Par Anne Brenon



Après la croisade victorieuse contre les cathares, pourquoi s'arrêter en si bon chemin? Le Saint-Siège tient enfin l'arme absolue pour éradiquer "les forces du mal" : la Sainte Inquisition. Tortures et bûchers se multiplient, avec les dominicains aux commandes.



Le XIe siècle, temps de l'éclatement féodal, est aussi celui où monte une force centralisatrice nouvelle : la papauté. Par la réforme grégorienne, elle s'affranchit de la tutelle impériale, fait éclater l'étroit domaine italien où elle était confinée et bientôt affirme son pouvoir, sorte de monarchie pontificale s'élevant au-dessus des royautés européennes en cours de cristallisation. C'est l'idéal de la théocratie pontificale : dominant les souverains laïques, le pape, « vicaire de Jésus-Christ », pose son autorité de droit divin sur le monde, défini comme la chrétienté. En même temps, cette chrétienté a pour devoir de s'opposer au règne ténébreux des forces du mal qui l'assiègent et peu à peu s'incarnent : infidèles sarrasins, schismatiques grecs et, en son coeur même, hérétiques.

De la dénonciation de l'hérésie vers l'an mil à l'établissement de l'Inquisition dans les années 1230, une même logique est en marche, au nom d'une idéologie du grand combat, et du slogan « Dieu le veut » ; les deux fers de lance successifs de cette théocratie militante sont, au XIIe siècle, l'ordre cistercien, dont l'influence aboutira dans la croisade contre les albigeois puis, au XIIIe, l'ordre dominicain, maître d'oeuvre de l'Inquisition.

Au XIe siècle, lorsque l'Eglise commence à dénoncer les hérétiques, elle les fait comparaître devant ses cours épiscopales mais, hésitant sur la conduite à tenir, les désigne en fait à la fureur populaire : accusés d'actes de débauche et de sorcellerie, voire de manger les petits enfants, les exclus sont souvent lynchés par la foule. Au coeur du XIIe siècle, une évolution déterminante se dessine : à Liège, en 1135, les hérétiques sont encore enlevés par la foule. Mais en 1163, à Cologne, cathares et « archicathares » sont brûlés sur ordre de l'inquisition épiscopale. Les autorités religieuses se dotent d'un véritable arsenal juridique de répression, dont la base est le tribunal ordinaire de chaque évêque en son diocèse. Désormais, les hérétiques sont systématiquement recherchés, poursuivis, condamnés. Conciles et décrétales organisent cette inquisition épiscopale et coordonnent les premières mesures antihérétiques à l'échelle européenne, les pouvoirs séculiers devant épauler la répression religieuse.

En 1199, le nouveau pape, Innocent III, champion de la théocratie pontificale et grand juriste, assimile l'hérésie au crime le plus absolu qui se puisse concevoir : celui de lèse-majesté envers Dieu. Les hérétiques sont donc passibles des peines prévues par le droit romain pour crime de haute trahison. L'hérésie n'est plus seulement une erreur ou un péché, elle est un crime.

En Languedoc, dans les comtés de Toulouse et de Foix ou dans les vicomtés Trencavel d'Albi, Carcassonne et Béziers, l'hérésie est ouvertement protégée par les pouvoirs séculiers, seigneurs vassaux des comtes ; le rapport des forces n'y permet donc pas les vagues de répression qui flambent en France et en Germanie. La croisade contre les albigeois (1209-1229) renverse le rapport des forces. La guerre de Rome et de Cîteaux contre les princes méridionaux coupables de protéger l'hérésie aboutit, en vingt ans, grâce à l'intervention du roi de France Louis VIII, à l'élimination de la dynastie Trencavel et des lignages acquis au catharisme, ainsi qu'à la soumission du comte de Toulouse. Désormais, la papauté a les mains libres pour agir.

Sur le plan de la répression religieuse, malgré les grands bûchers collectifs, la croisade a été un échec. Lorsque, en 1229, le comte de Toulouse capitule, l'Eglise cathare, qui passe dans une clandestinité définitive, est encore nombreuse et structurée. Pour le pape et le roi, il s'agit désormais de réconcilier à la foi catholique les comtés méridionaux militairement pacifiés et rattachés à la couronne, tout en exterminant définitivement l'hérésie. Le concile de Toulouse, dès novembre 1229, est le premier acte d'un organisme répressif doté de grands moyens ; parmi ceux-ci, la fondation à Toulouse même d'une université de combat, confiée à des docteurs dominicains. Leurs méthodes musclées préfigurent celles de l'Inquisition, alors en germe.

L'Inquisition se rode en France et en Germanie, où les sanglantes campagnes de Conrad de Marbourg et de Robert le Bougre soulèvent scandale et horreur. Dès 1233, elle est étendue à l'ensemble de la chrétienté, comme un solide maillage de l'autorité du Saint-Siège, par-dessus les pouvoirs locaux des évêques et des juridictions coutumières. A commencer par l'Occitanie militairement vaincue.

L'Inquisition est désormais l'exclusive instance juridique ayant à connaître du crime d'hérésie. Elle supplante la justice des évêques, trop directement liée aux populations locales. Elle fonctionne comme une juridiction d'exception, sans appel, sur délégation directe du pouvoir pontifical, les inquisiteurs ne relevant que du pape.

Les crises jalonnent l'histoire de cette première bureaucratie moderne d'enquête : l'hostilité des évêques à son égard est récurrente. Durant certaines périodes, comme à Carcassonne en 1250, ils parviennent à récupérer au profit de leur ordinaire la juridiction inquisitoriale. Les révoltes populaires sont plus violentes. En 1235, Toulouse, unie derrière ses capitouls, chasse hors de ses murs tous les dominicains, couvent et évêque. En mai 1242, deux inquisiteurs sont exécutés à Avignonnet, en Lauragais, avec toute leur suite de notaires et de soldats, par un commando venu de Montségur. Les registres des dépositions, lourds de délations et d'angoisse, sont déchirés dans la joie et les villageois peuvent croire un temps que « le pays sera libéré ». Bien entendu, l'embellie ne dure guère. En mars 1244, le bûcher de Montségur consume les derniers espoirs politiques occitans. En 1271, à la mort du dernier comte, Toulouse est rattachée à son tour à la couronne de France. L'emprise de la monarchie française est totale sur le Languedoc. Désormais, l'Inquisition sera toute-puissante.

Bien que constituant indéniablement un progrès juridique - par rapport en particulier aux vieilles justices d'ordalie par l'eau ou le fer rouge - l'Inquisition est en effet haïe et redoutée des populations médiévales, comme l'instrument d'une terreur institutionnalisée, cumulant les pleins pouvoirs d'un confessionnal obligatoire et d'un tribunal policier, se réclamant du droit divin pour juger les vivants et les morts jusque dans l'au-delà et pour l'éternité.

Les juges sont d'abord des religieux chargés d'entendre en confession les populations adultes des villages méridionaux (hommes de plus de 14 ans, femmes de plus de 12 ans), afin de les absoudre de toute hérésie et les réconcilier à la foi du pape et du roi, les réintégrer dans la communauté chrétienne, hors de laquelle il n'est nul salut, nulle espérance. C'est leur rôle pénitentiel.

Mais les inquisiteurs sont aussi des enquêteurs, qui utilisent les confessions comme autant de dépositions en justice et érigent la délation en système : ils ont un rôle policier. Contraint à l'aveu et à la pénitence, le témoin, toujours assimilé lui-même à un suspect, n'a d'autre moyen qu'accepter de dénoncer, parmi ses proches, les hérétiques et les amis des hérétiques, afin de prouver à l'inquisiteur, qui cumule les fonctions de confesseur, enquêteur, juge et procureur, la sincérité de son repentir et obtenir son absolution.

Les confessions-dépositions, lourdes d'aveux et de dénonciations, sont enregistrées par écrit par des notaires d'inquisition, constituant ainsi un véritable fichier de l'hérésie, une bureaucratie de la délation. La police religieuse opère ses enquêtes par recoupement des témoignages. Ce système permet aussi de démasquer immédiatement les relaps. Aujourd'hui, paradoxalement, les registres des dépositions et des sentences conservés de l'Inquisition constituent, pour l'Histoire, les seuls documents susceptibles de rendre vie et parole aux populations hérétiques médiévales.

L'Inquisition, police religieuse, a pour office de « sonder les reins et les coeurs ». Elle pèse les âmes, au nom de Dieu. Ainsi distingue-t-elle toujours soigneusement la population des simples croyants, à ramener au bercail par pénitences appropriées, des hérétiques proprement dits : Bons Hommes et Bonnes Femmes capturés, pleinement coupables quant à eux du crime d'hérésie et le plus souvent irréconciliables, sont destinés au bûcher. Les croyants repentis sont réconciliés au moyen de pénitences sévères : condamnation à des pèlerinages ou au port de croix d'infamie, confiscation des biens, prison (le mur inquisitorial) souvent à perpétuité ; mais les relaps - ces malheureux qui, après une première abjuration de toute hérésie devant un inquisiteur, se trouvent à nouveau dénoncés par quelque voisin - sont immédiatement condamnés au bûcher. Qu'ils soient hérétiques impénitents ou croyants relaps, l'Inquisition proclame ne plus rien pouvoir pour le salut des criminels en hérésie ; en conséquence, « en signe de leur damnation éternelle », ces derniers sont « abandonnés au bras séculier » afin qu'ils soient brûlés, comme sont brûlés les corps des croyants morts « en pestilence hérétique » et les maisons qui ont abrité les « cérémonies impies »...

L'inquisiteur, délégué du pape, lui-même représentant de Dieu sur terre, juge et condamne devant l'éternité, se substituant au juge souverain. Le sens profond du bûcher est ainsi de faire passer les impénitents « du feu de ce monde à celui de l'enfer ». L'apparat terrifiant des sentences et des exécutions, au parvis des cathédrales, devant les représentants des pouvoirs publics et religieux, martèle l'horrifique condamnation de l'hérésie pour l'édification du peuple chrétien rassemblé.

L'emprise morale totalitaire de cette bureaucratie vient de ce qu'elle englobe le sacré, le salut de l'âme, l'éternité. Dieu, juge vengeur, plane omniprésent au-dessus des procédures, son oeil est au fond de toutes les consciences : celle du juge comme celle du prévenu, celle du témoin, celle du notaire. Mais l'efficacité la plus redoutable du système est de fissurer, par l'angoisse de la délation, les solidarités villageoises et familiales, de transformer les religieux cathares clandestins, les parents et les amis compromis dans l'hérésie en maudits par qui le malheur arrive. Elle a aussi pour effet de déstructurer le pénitent par l'abjection de l'aveu - l'autocritique. Honte et angoisse posent leur chape, afin que disparaisse l'hérésie.

Après le coup de semonce d'Avignonnet, le tribunal itinérant de l'Inquisition se fixe dans les villes épiscopales, convoquant à son siège les populations villageoises. A partir de 1252, le pape Innocent IV l'autorise à employer la torture. La fin du XIIIe siècle voit encore flamber de violentes mais vaines révoltes contre l'arbitraire inquisitorial. Ainsi la « rage carcassonnaise » des années 1285-1305, soutenue par le franciscain Bernard Délicieux et même par les agents royaux. Lors de ces troubles, les prisonniers des cachots de l'Inquisition sont libérés par la foule, les archives de l'Inquisition partiellement détruites et le couvent dominicain pillé.

Mais à partir de 1305, toute contestation est muselée ; l'appui du pouvoir royal lui étant à nouveau acquis, l'Inquisition lance contre l'hérésie, avec des moyens décuplés, une guerre impitoyable qui sera définitive. Des noms de grands inquisiteurs se détachent : les dominicains Geoffroy d'Ablis (1303-1316) à Carcassonne et, à Toulouse, Bernard Gui (1307-1323), qui rédige le premier Manuel de l'inquisiteur ; en comté de Foix, l'évêque cistercien de Pamiers, Jacques Fournier, futur pape Benoît XII, qui prend le relais entre 1318 et 1325. Ils utilisent mouchards et agents doubles, échangent entre eux dossiers d'enquête et fichiers, mènent des opérations concertées contre des villages entiers, multiplient les bûchers de relaps et les exhumations - et l'un après l'autre capturent et brûlent les derniers Bons Hommes qui, autour de Pèire Autier, tenaient encore le maquis entre Quercy et Pyrénées.

Ainsi, vers 1330, est éliminée toute trace du catharisme en Occitanie. Le redoutable outil inquisitorial a touché droit au but, malgré l'étonnante et souvent héroïque résistance d'un siècle que lui ont opposée les populations croyantes méridionales. Mais la machine est lancée, ne s'enrayera pas. Après les hérétiques, de nouveaux groupes d'exclus - des sorcières aux réformés et aux juifs marranes - ne cesseront au cours des siècles d'être dévorés ; ainsi, par-delà la révolution des Lumières, le colonialisme occidental et les totalitarismes du XXe siècle témoignent-ils encore sans ambiguïté de ce qu'ils doivent d'héritage au christianisme de combat qui, au Moyen Age, élabora l'idéologie de la croisade et la machine de l'Inquisition.



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Archiviste paléographe et diplômée en sciences religieuses de l'Ecole des hautes études, Anne Brenon est conservateur honoraire du Patrimoine de France. Elle a publié : Les Cathares, pauvres du Christ ou apôtres de Satan (Gallimard coll. Découvertes, 1997), Les Femmes cathares (Perrin, coll. Tempus, 2005), Le Choix hérétique. Dissidence chrétienne dans l'Europe médiévale (La Louve éditions, 2006).
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Comprendre

Inquisition


Du latin inquisitio, "enquête". Elle est élaborée par la papauté après la victoire du roi de France contre les seigneurs occitans, ce type de procédure extraordinaire ne pouvant être appliqué que par la force, et sur un pays soumis. Installée à Albi, Carcassonne et Toulouse à partir de 1233-1235, elle représente l'aboutissement d'une idéologie chrétienne de combat qui puise ses racines deux siècles plus tôt, "au temps des moines et des chevaliers", à la source de tous les intégrismes chrétiens.

Sources Historia

Posté par Adriana Evangelizt


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5 février 2007 1 05 /02 /février /2007 00:02

L'Eglise s'affranchit du pouvoir des laïcs

Par Jean Chélini




La désagrégation de l'Empire carolingien provoque en l'an mil une décadence morale et religieuse. Une réforme s'impose. Elle est menée à bien sous la férule du pape Grégoire VII, qui interdit le mariage des prêtres et le trafic des investitures.



Le jeune Othon III, couronné en 996, s'installe à Rome en cette fin de millénaire. Enfermé dans son rêve impérial, il choisit comme résidence l'Aventin. Il introduit dans son entourage l'étiquette byzantine, réorganise l'administration de Rome, promue de nouveau au rang de capitale de l'Empire chrétien, et désigne son vieux maître Gerbert d'Aurillac comme pape sous le nom de Sylvestre II. Ni le pape ni l'empereur n'ont le temps ou les moyens de développer de concert leur politique universelle : en l'an mil, un soulèvement des Romains oblige Othon à s'enfermer dans le château Saint-Ange, puis à fuir en emmenant Sylvestre II, en février 1001. Un an après, il meurt, suivi quelques mois plus tard par le pontife. Dans le siècle qui s'ouvre, l'Empire et la papauté, loin de s'accorder harmonieusement, vont s'affronter violemment, tandis que dans l'Europe chrétienne, qui s'étend vers ses marges géographiques, s'affirment de nouveaux pouvoirs et apparaissent de nouvelles manifestations politiques et religieuses.

Jusque vers 1040, toute la période est marquée par de nombreux signes et prodiges. En 1014, une comète allume des incendies sur son passage. En 1033, une longue éclipse épouvante les populations. La nature se dérègle, il naît des monstres. Les épidémies, le mal des ardents et la famine ravagent les populations, comme cette terrible disette qu'observe Raoul Glaber en Bourgogne, vers 1033. Les clercs dénoncent ce déchaînement de Satan : les bûchers s'allument pour les hérétiques à Orléans et pour les sorcières à Angoulême. En Orient aussi le mal triomphe : dans sa folie, le sultan Hakim a fait détruire au pic et à la pioche le Saint-Sépulcre.

Pour arrêter de tels fléaux, les clercs proposent à leurs contemporains de faire pénitence. Les communautés juives, jusqu'alors préservées de toute persécution systématique, sont accusées en Occident de bafouer le Christ et, en Orient, d'avoir été les instigatrices de la destruction du Saint-Sépulcre. Elles subissent les premiers pogroms. L'antisémitisme chrétien prend alors racine dans la volonté de purification de la chrétienté. Avant de mourir, beaucoup de chrétiens demandent à revêtir la robe monastique pour bénéficier du statut spirituel privilégié du moine et des prières de la communauté. Ceux qui en ont les moyens et la volonté prennent la route de Jérusalem, où le Saint-Sépulcre a été rebâti aux frais des empereurs byzantins entre 1027 et 1048.

Il faut établir un lien très fort entre la volonté de pénitence manifestée par tant d'esprits et le mouvement de la Paix de Dieu qui se développe dans le premier tiers du XIe siècle en Occident. La Paix de Dieu touche surtout la classe en voie de constitution des milites, les hommes de guerre professionnels, les chevaliers comme on prend l'habitude de les appeler. Des conciles de paix se tiennent en France dès la veille de l'an mil, mais connaissent une véritable explosion autour de 1033. Ces assises s'achèvent par la prestation d'un serment des chevaliers présents, énumérant les personnes et les cas auxquels s'étend la Paix de Dieu : les clercs et les églises, les pauvres, les veuves, les marchands et les pèlerins. Dans ce cheminement vers la paix s'introduit une nouvelle exigence : l'arrêt de toutes les hostilités pendant les temps liturgiques les plus importants, comme le chroniqueur Raoul Glaber nous le rapporte vers 1035, c'est la trêve de Dieu !

La désagrégation de l'Empire carolingien, la disparition de l'ordre public provoquent une décadence morale, une résurgence des pratiques païennes, qui se manifestent même en Gaule et en Italie, christianisées depuis plus longtemps. La violence, les actes de cruauté, l'ivrognerie, la vengeance coutumière prolifèrent de nouveau dans toutes les classes sociales, favorisés par le morcellement féodal et les guerres privées. La morale sexuelle et conjugale s'effondre, les princes répudient les premiers leurs femmes et se remarient publiquement.

La société ecclésiastique n'échappe pas à cette décadence. A défaut de la protection impériale ou royale, les clercs recherchent l'appui des grands. Les princes laïques et les féodaux s'emparent progressivement à tous les niveaux des biens des églises sur lesquelles ils étendent leur tutelle. Les autorités religieuses prennent l'habitude de vendre les investitures : c'est la simonie. Certains souverains tirent du trafic des charges épiscopales des ressources lucratives, pratiquement les seules dont disposent les quatre premiers rois capétiens en France : Hugues Capet (987-996), Robert le Pieux (996-1031), Henri Ier (1031-1060) et Philippe Ier (1060-1108). Un autre vice se combine avec la simonie : la clérogamie, le mariage des prêtres, appelée communément nicolaïsme. Cette pratique est chose courante en Allemagne et en France. Une réforme générale s'impose.

Aux Xe et XIe siècles, l'idée de renouveau comme sa mise en oeuvre sont inséparables de Cluny. En réformant le monachisme, Cluny fait jaillir l'étincelle dans l'Eglise d'Occident tout entière. L'abbaye fondée en 909 par Guillaume duc d'Aquitaine, est exempte de toute autorité civile et religieuse et ne relève que de Rome, à qui elle doit payer, tous les cinq ans, dix sous d'or pour l'entretien d'un luminaire ! L'abbé de Cluny gouverne à la fois son abbaye - plus de 400 moines sous Hugues - et l'ensemble de la fédération, soit 1 450 maisons, dont 815 en France, 109 en Allemagne, 23 en Espagne, 52 en Italie, 43 en Grande-Bretagne, et sur plus de 10 000 moines, pour la première fois unis sous un père commun. En pratique, outre la diffusion de la réforme proprement monastique, les abbayes clunisiennes sont des centres d'initiative pastorale et civique. Deux abbés seulement se partagent le gouvernement de Cluny au XIe siècle : Odilon (994-1049) et Hugues (1049-1109). Sous leur abbatiat, l'abbaye bourguignonne atteint l'apogée de sa puissance matérielle et de son rayonnement spirituel.

Le 12 février 1049, l'évêque alsacien Brunon, de la famille des comtes d'Eguisheim, désigné par l'empereur Henri III pour la tiare, devient pape sous le nom de Léon IX (1049-1054). Dès son élection, il décide de tenir des assises réformatrices dans les grandes villes de la chrétienté. Malgré les entraves du roi de France Henri Ier, il réunit un premier concile à Reims ; divers prélats simoniaques y sont déposés. Deux canons y affirment l'indépendance du spirituel : « Nul ne peut s'arroger le gouvernement d'une Eglise, s'il n'a été élu par le clergé et le peuple » ; et la primauté du pontife romain : « Le pontife du siège romain est le seul primat apostolique de l'Eglise universelle. » A Mayence, où Henri III, plus habile que le roi de France, participe au concile, simonie et nicolaïsme sont condamnés.

Entre-temps, sous le patriarcat de Michel Cérulaire (1043-1058), les relations entre Constantinople et Rome se sont brusquement tendues. Les couvents et les églises des Latins à Constantinople sont fermés. Une vive controverse se déclenche à propos de l'usage des azymes dans la communion, dont les Latins se servent pour célébrer l'eucharistie, contrairement aux Grecs qui emploient du pain ordinaire. Le dialogue, mal engagé, s'achève encore plus mal lors de la légation romaine à Constantinople. Les légats, les cardinaux Humbert et Frédéric de Lorraine, ainsi que l'archevêque Pierre d'Amalfi excommunient le patriarche et ses partisans le 16 juillet 1054. Cérulaire riposte par une excommunication générale des Latins. Cette rupture définitive entraîne les autres patriarcats orientaux et les peuples d'Europe convertis au christianisme par les Grecs, c'est-à-dire les Serbes, les Bulgares, les Russes et les Roumains.

L'urgence de réglementer la désignation du pape aboutit à l'adoption du décret sur l'élection pontificale par le concile du Latran d'avril 1059, sous le règne de Nicolas II. L'élection du pape est désormais réservée aux seuls cardinaux, sur proposition des cardinaux évêques. Autant que possible, elle doit porter sur un clerc romain et avoir lieu à Rome. Le clergé et le peuple gardent l'approbation par acclamation du nouvel élu. Le pas décisif libérant le siège de Pierre de la tutelle des laïcs est franchi. Le même concile publie des décrets sévères sur la réforme de l'Eglise : interdiction de l'investiture laïque des églises, interdiction d'entendre la messe des clercs mariés, concubinaires ou notoirement incontinents. A la mort du pape Alexandre II, en 1073, les bases de la réforme générale sont jetées.

A l'avènement de Grégoire VII, en 1073, le courant réformateur en Occident a acquis une puissance et une cohésion considérables. Il possède une équipe dirigeante à Rome, mais aussi des collaborateurs partout, et pour l'essentiel, ces hommes sont d'accord sur un programme réformateur. Le grand mot de la réforme devient libertas, la liberté pontificale. Par là, les réformateurs réclament pour l'Eglise le privilège - c'est le sens du mot libertas - de l'indépendance totale, la totale liberté d'action pour l'Eglise, l'absence de tout contrôle temporel ; en un mot, l'émancipation.

Avec Grégoire VII, âgé d'une cinquantaine d'années, le rythme de la réforme change : il devient rapide, voire saccadé ! Les difficultés sérieuses commencent avec les canons du synode romain de 1074. Les décrets conciliaires, qui prononcent la déchéance des simoniaques, appellent les fidèles à déserter leurs offices et à faire pression sur eux pour qu'ils se soumettent. Les légats, expédiés partout pour veiller à l'exécution des décrets, reçoivent un accueil peu chaleureux. En France, le synode de Paris (1074) déclare la loi du célibat contraire à la raison et dépassant les limites de la nature humaine. En Allemagne, les évêques de Bamberg, Brême et de Mayence prennent la tête de la résistance, appuyés sur les clercs mariés. La noblesse laïque, souverain en tête, soutient son clergé qu'elle a bien en main.

Grégoire VII réagit et, au début de l'année 1075, promulgue 27 brèves propositions appelées les Instructions dictées par le pape. Il est précisé, entre autres, que le pape peut déposer l'empereur et délier de leur fidélité les sujets d'un mauvais prince. Dans l'Empire, l'affaire prend une grande ampleur et tourne à la lutte à mort entre le pape et l'empereur Henri IV. En janvier 1076, ce dernier convoque un synode à Worms où 26 évêques déclarent le pape déposé. Il le notifie à Grégoire VII dans une lettre d'une violence inouïe qui se termine par l'apostrophe célèbre : « Laisse ce Siège apostolique. Moi Henri, par la grâce divine, je te dis avec tous nos évêques : descends, descends, toi qui es condamné à tout jamais. »

Appliquant à la lettre les principes énoncés dans les Instructions, Grégoire VII, en février 1076, excommunie l'empereur, le dépose et délie ses sujets de leur serment de fidélité.Henri IV, dans cette situation désespérée, décide de se soumettre. Il rejoint, en plein hiver, le pontife romain à Canossa, dans le nord des Apennins, où il se présente à trois reprises pieds nus dans la neige, devant la porte du château. Grégoire VII se laisse fléchir et, le 28 janvier 1077, lève l'excommunication, sans rendre le pouvoir temporel. La restauration d'Henri sera décidée après débat avec les princes et sentence arbitrale du pape.

Mais l'absolution de Canossa montre l'impossibilité pour le pape d'être prince et prêtre à la fois. L'évangile commandait à Grégoire de pardonner, mais en obéissant à sa conscience de prêtre, le pape compromet sa victoire politique. L'empereur l'a bien compris : aussitôt absous, il reprend la lutte contre Grégoire VII, suscite un antipape sous le nom de Clément III, assiège Rome. Exilé, ayant abandonné Rome à l'antipape, fuyant vers le sud sous la protection des Normands, Grégoire VII meurt brisé de fatigue et de douleur, le 25 mai 1085 à Salerne.

Sur le plan temporel l'échec du pontife est total. Mais si l'on considère les progrès de la réforme ecclésiastique, il apparaît qu'il a remporté des avantages incontestables. L'accord, qui sera conclu le 23 septembre 1122 entre Henri V et le pape Calixte II, connu sous le nom de concordat de Worms ou pacte de Calixte, scinde en deux l'investiture. L'empereur renonce à la cérémonie par la crosse et l'anneau. Il s'engage à laisser librement se dérouler les élections épiscopales et l'installation par le métropolitain. En échange, le pape accorde à l'empereur ou à son mandataire le droit d'être présent à l'élection et de procéder ensuite à l'investiture temporelle de la masse des biens et des fonctions politiques annexées à la charge épiscopale, symbolisée par la remise d'un sceptre. A l'issue de la longue querelle, le pape est enfin le chef indépendant de l'Eglise catholique.

Entre-temps, la chrétienté occidentale s'est fixé d'autres objectifs. La destruction du Saint-Sépulcre, la conquête de la Terre sainte par les Turcs créent un choc dans les consciences. En 1063-1064, le pape Alexandre II accorde l'indulgence plénière à tous ceux qui participeront à la lutte contre les musulmans. A partir de 1070, plusieurs groupes de pèlerins allemands se rendent en Orient, organisés comme de petites armées dirigées par leurs évêques. Les conditions spirituelles et politiques de la croisade sont réunies. En France, le peuple chrétien n'attend plus qu'un mot d'ordre pour se mettre en marche.



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Professeur émérite à l'université d'Aix-Marseille III, Jean Chélini est l'auteur d'une Histoire religieuse de l'Occident médiéval (Hachette, 2002), Le Calendrier chrétien, notre temps quotidien (Picard, 1999) et L'Aube du Moyen Age, naissance de la chrétienté médiévale (Picard, 1991).
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Comprendre

Mal des ardents
Maladie provoquée par l'ergot de seigle.


Les fausses terreurs de l'an mil

Dans ses Annales ecclésiastiques, le cardinal Baronius, le premier, donne à l'an mil cette coloration terrifiante qu'il a conservée depuis. Les historiens contemporains Marc Bloch, Henri Focillon, Edmond Pognon et plus récemment Georges Duby ont montré l'inanité de la légende. Il faut donc bannir de nos esprits l'image d'une chrétienté terrifiée à l'approche du millénaire de l'Incarnation, dans l'attente de la fin du monde et du Jugement dernier. Dans les textes de l'époque, l'année même de l'anniversaire n'a pratiquement jamais retenu l'attention des annalistes. Mais un état d'esprit eschatologique a bien existé dans les milieux ecclésiastiques et s'est répercuté chez les fidèles. Le chapitre XX de l'Apocalypse de Jean précisait que le démon avait été enchaîné pour mille ans par l'ange, mais qu'au bout du millénaire, il devait être relâché pour un peu de temps afin d'exercer de nouveau son emprise sur les hommes. Or ces textes étaient très commentés en Occident. Othon III, le jour de son sacre, avait revêtu un manteau où étaient brodées des scènes de l'Apocalypse ! Les temps sont donc venus où le diable serait déchaîné.

Sources
Historia

Posté par Adriana Evangelizt

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4 février 2007 7 04 /02 /février /2007 23:57

Mythique Andalousie



Les relations entre musulmans et les autres gens du Livre (juifs et chrétiens) d'Al-Andalus relèvent davantage d'une cohabitation plus ou moins pacifique que d'un multiconfessionalisme assumé.

Chercher à situer dans l'histoire d'Al-Andalus - l'Andalousie -, partie de la péninsule Ibérique sous domination musulmane, un moment particulier de convivencia, d'esprit ouvert à un « multiconfessionnalisme », relève du mythe. Plus exactement, il révèle ce que l'historien Geary dans La Mémoire et l'oubli à la fin du premier millénaire (Aubier, 1996) appelle une manipulation des « fantômes de la mémoire » créés par des générations d'« historiens » au service d'une cause qui touche leur propre époque. A ce titre, deux postures sont possibles : l'un d'elles peut être résumée par ces propos du grand arabisant Jacques Berque (Andalousies dans Les Arabes, Actes Sud, 1981) : « J'appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l'inlassable espérance », conduisant à se dire : « Peu importait donc la réalité historique de l'Andalousie, pourvu qu'elle fournît la matière d'un projet d'avenir. »

L'autre posture est celle de l'historien « classique » qui tente de remettre en place les événements et les concepts dans leur chronologie, en répétant que la signification que l'on donne aujourd'hui au mot « tolérance » n'aurait aucun sens pour un clerc catalan ou asturien du Xe siècle ou castillan au XIIe siècle, ou bien pour un juriste de Cordoue à la même époque. Cette position est plus ardue, car elle demande des explications qui rendent moins réceptives des restitutions qui ne correspondent pas à ce que nos contemporains veulent entendre, comme le thème du paradis perdu, sorte de référence absolue qui rassure l'esprit en un temps d'un affrontement particulièrement fort, « sacro-sainte Andalousie, écrivait Jean Daniel, où, pendant une soixantaine d'années [avait] régné ce phénomène merveilleux et bouleversant qu'on a appelé l'esprit de Cordoue » (Le Nouvel Observateur, octobre 1994). Toutefois, ce procédé est plus utile à ceux qui veulent trouver des repères sérieux dans un passé qui apparaît comme le moment le plus intense de la confrontation entre islam et chrétienté, car il correspond à une réalité humaine possible. Si l'on adopte cette position, à la question : Al-Andalus, creuset multiconfessionnel ? la réponse est négative.

Les lettrés du Moyen Age sont gens de croyance et de droit. Ils nous ont laissé des écrits étayés par ces principes. Au contraire, la réalité du terrain est beaucoup plus difficile à saisir, par l'absence d'archives que ne compense pas l'abondance de la production littéraire. Sur le plan des principes, la réponse semble simple : le multiconfessionnalisme - islam, judaïsme, christianisme - n'existe que par défaut. Si l'on préfère, il est toléré faute de mieux et pour un temps limité, celui qui correspond à ce qui reste comme temps de vie terrestre avant l'échéance apocalyptique. La légitimité des conquérants arabes et musulmans repose sur le respect et la propagation de la charia, dont les souverains sont les garants. Seul l'islam est vérité, les autres religions, erreurs : le judaïsme et le christianisme sont des prophéties d'un même Dieu que celui de l'islam, dévoyées par leurs adeptes. Les paroles coraniques permettent à Mahomet de créer un cadre de cohabitation entre les musulmans et les « protégés » (dhimmî), qui donnent aux juifs, chrétiens et, un peu plus tard, zoroastriens, la possibilité de vivre avec les musulmans, mais selon des conditions qui les placent en situation d'infériorité dans une société soumise à la loi de l'islam par la conquête.

Donc, en principe, il n'est pas question d'une tolérance plaçant les confessions au même plan, mais d'un « arrangement » permettant de ménager les non-musulmans, très largement majoritaires dans les premiers temps de l'islam, à condition qu'ils reconnaissent la prééminence de la loi coranique. Il n'en va pas autrement en Al-Andalus : les juristes malikites, sous la conduite des émirs omeyyades de Cordoue, imposent ce cadre aux juifs et aux chrétiens.

Au-delà de la norme, saisir une réalité de cette cohabitation est beaucoup plus difficile. Dans l'ensemble, en Al-Andalus comme dans le reste du monde musulman, le gouvernement intervient le moins possible dans la vie des communautés. Seul le refus d'obéissance au pouvoir peut révéler leur existence ; les exemples s'avèrent finalement très rares. Au-delà, la situation des minorités évolue différemment. La communauté juive jouit d'une situation favorable, surtout par rapport à l'époque wisigothique ; le judaïsme vit un renouveau sous la bannière de l'islam, en particulier sur le plan des études religieuses et de la littérature sous toutes ses formes. En revanche, les mozarabes (chrétiens d'Espagne de langue arabe) subissent un déclin numérique progressif, plus marqué que dans les régions orientales ; mais l'absence de données chiffrées ouvre sur des postulats hypothétiques.

Ni l'attitude des autorités, ni la pression fiscale, plus forte sur les dhimmî, ni les événements frontaliers n'expliquent véritablement une situation qui touche l'ensemble des communautés chrétiennes en Islam. Pour Al-Andalus, une thèse récente de Cyrille Aillet sur les mozarabes permet de constater que le déclin qualitatif est postérieur au Xe siècle alors qu'on le faisait commencer un siècle plus tôt. En effet, l'arabisation des lettrés chrétiens les a assimilés à la culture musulmane et la perte du latin n'est pas forcément le résultat d'un déclin culturel ; l'adoption de l'arabe est plutôt un signe de dynamisme, d'adaptation comme en Orient à l'évolution culturelle, permettant une diffusion plus ample de leurs écrits, liturgiques en particulier. C'est au XIe siècle, que les premiers signes de déclin, marqué par une production littéraire plus faible, sont nettement visibles.

Qu'est-ce qui explique ce déclin ? Il tient probablement à une pression sociale de plus en plus forte de la population au fur et à mesure qu'augmente la proportion des musulmans ; la proximité de la frontière joue également : dès la fin du IXe siècle, une émigration des élites, cléricales surtout, renforce le mozarabisme dans le nord, mais affaiblit l'encadrement d'Al-Andalus. La guerre sur les frontières, surtout lorsque le rapport des forces s'inverse en faveur des Etats chrétiens, accentue le scepticisme. A ce moment, on note des déclarations qui marquent une crispation des milieux des hommes de loi. A partir du deuxième quart du XIIe siècle, avec la pression des chrétiens du nord, la situation des mozarabes se dégrade nettement : une expédition du roi Alphonse Ier d'Aragon en 1124, impliquant des communautés mozarabes, provoque une réaction légaliste des juges qui condamnent plusieurs d'entre elles à l'exil au Maroc. La proclamation de la fin de la protection des dhimmî, en 1160 dans l'ensemble de l'Empire almohade (Al-Andalus-Maghreb), accusés d'avoir soutenu les ennemis chrétiens, finit de faire disparaître un mozarabisme déjà moribond, et le geste relève plutôt du symbole.

Ce seraient donc les circonstances qui auraient influencé l'évolution des communautés religieuses minoritaires en Islam et plus particulièrement en Al-Andalus. Leurs élites, lettrés, savants, font partie de l'entourage princier et défendent leurs intérêts. Les chrétiens, devenus minoritaires et moins présents au sommet de la société, sont ballottés au gré des relations entre Etats, d'autant plus à proximité des frontières. La diminution de leur nombre et l'éloignement des chrétiens de la cour, surtout à partir du XIIe siècle, sont probablement des raisons fortes de leur marginalisation.

Si la conversion forcée n'existe pas, ils sont « minoritaires » dès la conquête arabe, selon la loi établie à partir des débuts de l'Islam, même lorsqu'ils sont plus nombreux, car les Etats médiévaux se légitiment au nom d'une religion universaliste et eschatologique, où seuls ceux qui sont dans la voie droite peuvent accéder au salut. Il n'y a donc pas multiconfessionnalisme, mais cohabitation temporaire. Après, l'attitude des autorités et des populations varie selon les circonstances : la période d'expansion en Méditerranée conduit les autorités islamiques, qui ont besoin des protégés, à une attitude de recul par rapport à des règles de différenciation qui apparaissent surtout au XIe siècle et au-delà : port vestimentaire distinctif, défense de toute marque ostentatoire, etc. Cette évolution est également le fruit d'une autre mutation : l'Islam s'inspire des modèles politiques et culturels antiques durant les premiers siècles. Avec la domination numérique et intellectuelle de l'islam, les références externes disparaissent peu à peu de la mémoire collective car ils n'ont plus de sens et l'islam, remarquablement servi par des générations de penseurs, se suffit à lui-même. Cette unité de référence est renforcée par une faible attirance pour les courants extérieurs, suspects d'innovation, donc d'hérésie. En revanche, si la « tolérance » n'est pas un concept médiéval, il est vrai que le statut de « protégés » est une nouveauté par rapport au christianisme qui, du coup, s'en inspirera, par exemple après la prise de Tolède en 1085, pour faire cohabiter les religions, avec le même esprit, loin de notre « tolérance multiconfessionnelle ».

Sources Historia

Posté par Adriana Evangelizt


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4 février 2007 7 04 /02 /février /2007 23:51

Le vent de la révolte souffle au Caire



La chute de l'Empire ottoman et la fin du califat renforcent le courant fondamentaliste qui s'est développé dans la mosquée Al-Azhar du Caire. Voici comment. Entretien avec Malek Chebel, anthropologue



Au début du XXe siècle, l'islam vit une situation paradoxale. Le monde musulman vient en effet de vivre une ère de grande effervescence intellectuelle, la Nahda (lire encadré), où les théologiens les plus influents ont démontré toute la modernité du message du Prophète et tenté de réformer l'islam. Pourtant, c'est exactement au même moment qu'une frange non négligeable de croyants se radicalise dans un certain nombre de pays arabes et africains. Ce double mouvement peut dérouter. Pour bien le comprendre, il convient d'examiner comment s'organise alors la communauté des musulmans.

L'islam n'est pas du tout une religion centralisée comme peut l'être le catholicisme romain. L'islam politique ou, du moins, institutionnel, est représenté à l'époque par l'Empire ottoman. Cet Etat, on peine aujourd'hui à en imaginer la puissance. Si je devais prendre une image, je dirais qu'ils sont les Etats-Unis de l'époque. L'influence ottomane est en effet sensible dans l'ensemble du monde sunnite. Du Maghreb aux portes de l'Europe occidentale en passant par le Proche-Orient, « la Sublime Porte », comme on l'a joliment surnommée, offre alors une vision structurée de l'islam à travers l'institution du califat. Adossés à ce califat, protecteur de l'islam, les grands théologiens ottomans passent les décrets, les fatwa qui régissent l'ensemble de la communauté des fidèles (la oumma).

Or, cette très grande puissance ottomane est, depuis quelques années, en train d'agoniser. Rongé de l'intérieur, ce gigantesque empire commence à se fissurer. Istanbul n'est plus que l'ombre d'elle-même. Le pays va devenir « l'homme malade de l'Europe ». Le califat vit ses dernières heures. Si l'on devait dater son acte de décès, ce pourrait être 1908 et la révolution des Jeunes-Turcs. Mais plus sûrement encore 1914. Car c'est bel et bien la Première Guerre mondiale qui va l'achever.

L'Egypte a toujours été l'antithèse de la « Porte ». Et plus précisément la grande mosquée Al-Azhar (la Brillante), au Caire, qui est son principal centre de réflexion doctrinale et philosophique. Cette mosquée, fondée en 970 par le quatrième calife fatimide Al-Mui'zz li-Dîn Allah et dont le nom rend hommage à Fatima Zahra, la fille de Mahomet, abrite l'une des plus prestigieuses universités du monde musulman. Ses recteurs y jouissent d'une autorité morale incontestée. C'est là que sont formés la plupart des muftis arabes et africains. Mais, pendant longtemps, elle a d'une certaine manière vécu à l'ombre de la « Porte ». La chute de l'Empire ottoman va lui permettre de se réveiller en consolidant sa position jusque-là purement symbolique. A la chute du califat, la mosquée Al-Azhar va ainsi prendre, dans un sens, le relais d'Istanbul. L'islam qu'elle incarne est un islam de contestation... Notamment à l'encontre des puissances colonisatrices, y compris vis-à-vis de l'autorité du khédive, considéré par les leaders d'Al-Azhar comme un tyran à la botte des Anglais. Deux figures intellectuelles incarnent ce courant contestataire. Ils ont pour nom : Al-Afghani et Mohammed Abdou.

Le premier, Jamal al-Dîn al-Afghani (l'Afghan) est né en 1838 dans une famille originaire de Kaboul, d'où son surnom. Il a dû quitter son pays en 1868, au moment où se multipliaient les soulèvements contre l'armée britannique, car les autorités coloniales estimaient que ses prédications constituaient des appels à la révolte. Exilé à Paris, il a prêché tout au long de sa vie en faveur du retour au Coran, qui représente à ses yeux l'unique moyen de guidance et la base de toute réforme pour le monde musulman. Mort en 1897, il laisse de nombreux écrits et d'importants fils spirituels. Parmi eux, figure Mohammed Abdou. Cet Egyptien a rencontré Al-Afghani en France. De dix ans son cadet, il milite lui aussi contre le colonialisme européen en appelant à l'union des pays musulmans. Ce qu'il formalisera dans un traité philosophique : Risalât at-Tawhîd (« Théologie de l'unité »). Il est salafiste, en ce sens qu'il affirme que seule la foi des ancêtres est raisonnable et pratique. Mais, bien que l'islam qu'il promeut soit rigoriste, les moyens qu'il met en oeuvre pour le propager sont résolument modernes. C'est ainsi qu'en 1884 il a travaillé au Liban, à l'établissement d'un système d'éducation islamique inédit et qu'il édite parallèlement un journal révolutionnaire appelé Al 'Urwa al Wuthqa, (« le Lien indissoluble », d'après une expression empruntée au Coran).

Après sa mort, en 1905, l'un de ses disciples, Mohammed Rachid Rida, reprend le flambeau. En fondant la revue Al-Manâr (« le Phare » ou « le Minaret »), ce théologien syrien profondément marqué par les théories wahhabites (lire encadré) va s'attacher à lier identité arabe et identité musulmane, et à rapprocher les points de vue des nationalistes arabes et des théologiens d'Al-Azhar. Il va également passer une grande partie de son existence à dénoncer la trahison des Turcs... Car l'abolition du califat par Mustafa Kemal Atatürk et la laïcisation à marche forcée de la Turquie (qui se manifeste non seulement par la dissolution des confréries musulmanes en 1924 mais aussi par l'interdiction du voile) est vécue par nombre de religieux d'Al-Azhar comme une trahison ! C'est en rupture avec le modèle turc que les docteurs de la loi d'Al-Azhar vont développer une vision d'autant plus sourcilleuse et orthodoxe de l'islam qu'Istanbul s'européanise ou s'occidentalise.

Le plus connu de ces religieux à dénoncer cette dérive s'appelle Hassan Al-Bannâ. Issu d'une famille pieuse égyptienne, il est né en 1906 et a été formé au séminaire théologique d'Al-Azhar. Dès son adolescence, il fait preuve d'un très grand rigorisme. N'a-t-il pas créé une « association contre les violations de la Loi » dont les membres faisaient parvenir de façon anonyme des remontrances écrites aux personnes suspectées d'avoir enfreint quelque principe religieux ou moral ? Mystique, il se passionne pour l'enseignement soufi, jeûne le lundi et le jeudi. Muezzin à l'oratoire de l'école de Damâhur, il devient en 1923 instituteur au Caire avant de déménager à Ismaïlia en 1927. C'est là qu'il fonde la confrérie des Frères musulmans (Al-Ikhwân al-Muslimîn) qui ne sera officialisée qu'en avril 1929.

La finalité de ce groupe est politique avant que d'être religieux. Al-Bannâ milite en effet pour la décolonisation de l'Egypte. Mais, à l'instar du mouvement du Soudanais Muhammad Ahmad ibn Abdallah qui avait pris, à la fin des années 1880, le titre de mahdi (homme guidé par Dieu), Al-Bannâ se drape dans un discours religieux et ne dissocie pas idéologie et théologie. Pour lui, l'islam englobe tout à la fois les affaires privées et publiques. C'est plus qu'une religion, c'est aussi une nation, une forme de « citoyenneté ». Les Frères musulmans prêchent avant tout pour un retour à la pratique religieuse et à l'observance de la loi islamique (charia). Ils s'engagent par là même à lutter contre l'emprise laïque occidentale et l'imitation aveugle des Européens. L'originalité de ce mouvement tient au fait qu'il emprunte aux techniques d'agit-prop (agitation-propagande) utilisées dix ans plus tôt par les bolcheviks en Russie pour leur révolution. Les Frères musulmans mettent l'accent sur la formation de leurs militants. A travers des enseignements et des commentaires du Coran, l'étude de l'histoire musulmane et de la vie du Prophète, les membres de cette association sont ainsi rodés à la prise de parole en public et à une certaine forme de prédication. L'audience de ce jeune mouvement grandit rapidement.

A l'automne 1932, le siège des Frères musulmans est transféré au Caire car Hassan Al-Bannâ vient d'être muté dans la capitale. Dès l'année suivante, cette association s'ouvre aux femmes ou, plutôt, crée une structure parallèle dédiée aux femmes : les Soeurs musulmanes. Fort du succès de cette seconde organisation, Al-Bannâ multiplie les écoles dans les quartiers pauvres, les associations de charité, les dispensaires et les bibliothèques à travers le pays. Il cible prioritairement les populations les plus déshéritées d'Egypte. Sa confrérie se développe : 2 000 membres en 1933, 40 000 en 1935, plus de 200 000 au début des années 1940. Proche du grand mufti de Jérusalem, qui soutient Adolphe Hitler, Al-Bannâ étend son influence hors des frontières égyptiennes. Les Frères musulmans s'engagent ainsi, en 1948, dans la guerre contre le jeune Etat israélien.

A cette date, le mouvement compte plus de deux millions de membres en Egypte et commence à inquiéter la monarchie en place. Le gouvernement de Nokrachi Pacha décide donc de s'attaquer à ce mouvement. Le 8 décembre 1948, les Frères musulmans sont dissous pour « menées subversives contre la sécurité de l'Etat ». Quelques jours plus tard, le Premier ministre est assassiné par un « frère ». La réplique ne se fait pas attendre. Le 12 février 1949, Hassan Al-Bannâ est tué à son tour. Mais son mouvement va perdurer. Le ressentiment qui se fera jour dans plusieurs régions du monde contre les puissances coloniales, au lendemain de la Seconde Guerre mondial, constituera un terreau très fertile pour la propagation de cet islam radical. Bien qu'interdite par Nasser en 1954, la confrérie, désormais clandestine, essaimera dans plusieurs Etats arabes. Les Frères musulmans constitueront bientôt un important réseau mondial, comme l'avait rêvé Hassan Al-Bannâ. Et, comme plus tard, des prédicateurs chiites vont tenter de le faire dans les pays dominés par cet islam d'origine iranienne. M

Propos recueillis par Baudouin Eschapasse



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Malek Chebel est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages sur l'islam. Parmi les plus récents : Anthologie du vin et de l'ivresse en islam (Seuil), Manifeste pour un islam des Lumières (Hachette Littératures) et L'Islam et la Raison. Le Combat des idées (Perrin).
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Comprendre

Calife
Littéralement le "successeur" sous-entendu de Mahomet. Son autorité est à la fois spirituelle et temporelle.


Khédive
Titre porté par le vice-roi d'Egypte entre 1867 et 1914.


Salafistes
Les mots "salaf", "salafyia" font référence aux ancêtres, aux prédécesseurs. Courant ultraradical, il s'est fait connaître en Algérie avec les Groupes islamistes armés et le Front islamique du salut. On le retrouve aussi en Afghanistan.



La Nahda

Le mot signifie « renaissance » en arabe littéraire. Et cette période, qui court de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, est effectivement une véritable renaissance arabe : à la fois politique, culturelle et religieuse. L'un de ses promoteurs se nomme Rifa'a al-Tahtawi (1801-1873). Ce religieux envoyé parfaire son éducation à Paris, en 1826, par le khédive égyptien Mohammed Ali, passe quatre ans en France. Témoin privilégié de la révolution de 1830, il revient en Egypte convaincu que de grandes réformes doivent être entreprises (introduction du parlementarisme, réforme du droit des femmes, entre autres). Il dessine les grandes lignes de son programme dans un livre : Takhlis al-Ibriz fi Talkhis Bariz (que l'on pourrait traduire par « La Quintessence de Paris ») en 1834. Un certain nombre des réformes qu'il préconise sera entrepris en Turquie à partir de 1839, sous le nom de Tanzimat et développées par des penseurs comme Boutros al-Boustani (1819-1883).



Comprendre

Sunnites
Orthodoxes se conformant à la sunna, seconde source de l'islam. Selon eux, la succession de Mahomet n'est pas héréditaire, le calife est élu. Ils préférèrent d'ailleurs nommer Abou Bakr, beau-père de Mahomet, plutôt que son gendre, Ali.



Le wahhabisme

Ce mouvement, fondé dans l'actuelle Arabie Saoudite, sur l'enseignement de Mohammed ibn Abd al-Wahhâb (1703-1792), incarne l'un des courants les plus rigoristes de l'islam. S'appuyant sur un texte fondateur Kitab at-tawhid (« Livre de l'unicité »), le wahhabisme se réclame du « salafisme ». Il affirme vouloir défendre l'islam contre toutes les déviances, hérésies et idolâtries du monde moderne. Ses fidèles réfutent toute source de législation autre que le Coran et défendent la foi islamique « originelle ». Se revendiquant comme les seuls tenants de l'orthodoxie, ils interdisent le culte des saints, l'édification de monuments funéraires fastueux ou de mosquées luxueuses.
Ils s'opposent à l'usage des pierres tombales qu'ils jugent comme idolâtre, mais aussi à l'érection de minarets au motif que ceux-ci n'existaient pas du temps du prophète Mahomet, ils proscrivent le tabac, l'alcool, les jeux, qui constituent une offense religieuse. Les plus rigoristes interdisent également l'écoute ou la pratique de la musique et de la danse.



Comprendre

Chiites
Les "partisans" - terme péjoratif donné par les "orthodoxes" - considèrent que l'autorité sur la communauté islamique revient aux héritiers de la famille de Mahomet, dont le premier fut Ali, gendre du Prophète et à ses deux fils Hassan et Hussein. Pour les chiites, l'imam, véritable pontife, possède une autorité supérieure à celle du calife.

Sources Historia

Posté par Adriana Evangelizt

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4 février 2007 7 04 /02 /février /2007 23:47

Tempête dans les bénitiers

Par Baudouin Eschapasse



Il n'a pas fini de faire des vagues, ce concile Vatican II qui, en 1965, a voulu moderniser l'Eglise. Les traditionalistes en ont perdu leur latin. Benoît XVI semble prêt à le leur rendre.



C'est une église un peu spéciale. Et pas seulement parce que sa nef, contrairement aux usages, n'est pas tournée vers l'est. Implantée au coeur du Quartier latin à Paris, Saint-Nicolas-du-Chardonnet est en effet le bastion de l'un des courants les plus conservateurs du catholicisme français. Les visiteurs qui franchissent son portail néobaroque - l'édifice a été construit entre 1656 et 1763 mais sa façade ne date que de 1937 - éprouvent l'irrésistible impression d'effectuer un voyage dans le temps. Les cinq messes quotidiennes y sont dites en latin. Les prêtres de garde, qui y attendent les fidèles en quête de confession, sont en soutane noire. Et les missels utilisés à chacun des offices portent tous un imprimatur antérieur à 1962.

L'abbé Xavier Beauvais, qui préside aux destinées de cette communauté, a beau récuser l'adjectif de fondamentaliste et se présenter, avant tout, comme traditionaliste, son église est aujourd'hui la vitrine de l'intégrisme catholique français. Il suffit pour s'en convaincre de consulter la prose publiée, tous les mois, dans le petit bulletin d'information.

Le curé de cette église y promeut, inlassablement, ce qu'il appelle une « foi intègre ». Il y encourage ses paroissiens à la « refondation » d'un culte chrétien « authentique ». Ce qui passe, à l'en croire, par le rejet des orientations prises par le Saint-Siège depuis les années 1970 et ses « folles doctrines syncrétistes, gnostiques, marxistes [et] démocrates ». Antirépublicain convaincu, il appelle de ses voeux la « destruction [des institutions nées] de la révolution antichrétienne ». Résolument hostile aux institutions laïques qui, à l'entendre, vouent l'ensemble de la société à l'enfer, il espère l'avènement d'un ordre nouveau ; ordre dans lequel les lois seraient directement inspirées par Dieu, seul valant alors un « droit naturel » qui exclut le divorce, la contraception et, bien entendu, l'avortement.

La rhétorique de cet homme d'Eglise est sans équivoque. C'est à une « restauration » des valeurs chrétiennes au plus haut niveau de l'Etat et donc à une abrogation de la loi de 1905 que ce traditionaliste fervent appelle dans ses sermons. Un discours qui n'est pas sans rappeler celui des islamistes. Surtout lorsqu'il évoque la tentation du martyre que peuvent éprouver certains de ses fidèles : « Quelques-uns rêvent parfois de martyre, et c'est très bien », écrivait-il ainsi dans une lettre interne datée de septembre dernier. Ou lorsqu'il récuse une société qui promeut outrageusement la raison et oublie la providence divine.

Si la mouvance intégriste catholique ne saurait se réduire à cette seule paroisse parisienne, l'église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet en est cependant la vitrine la plus voyante. Les mouvements catholiques intégristes rassembleraient aujourd'hui, si l'on en croit certaines sources du ministère de l'Intérieur (en charge des cultes), près de 50 000 personnes à travers le pays. Leurs chapelles se divisent parfois sur des controverses théologiques ou des questions politiques, mais ces catholiques traditionalistes ont en commun de rejeter en bloc les décisions prises par le Saint-Siège depuis la tenue du concile Vatican II.

Le plus radical et le plus connu d'entre eux est sans conteste le mouvement fondé par l'archevêque Marcel Lefebvre. Né à Tourcoing, le 29 novembre 1905, et mort à Martigny le 24 mars 1991, ce curé issu d'une famille nombreuse (huit enfants) et très pieuse (cinq d'entre eux sont entrés dans les ordres) est ordonné prêtre en 1929. D'abord missionnaire au Gabon, il est sacré évêque de Dakar en 1947. L'année suivante, Pie XII le nomme délégué apostolique pour l'Afrique noire francophone, l'équivalent d'un nonce apostolique ayant rang d'archevêque. A son retour en France en 1962, il reçoit le diocèse de Tulle, en Corrèze. C'est à ce titre qu'il participe au concile Vatican II au sein du groupe Coetus Internationalis Patrum, présidé par le cardinal Browne. Mgr Lefebvre s'y montre immédiatement hostile à ceux qui souhaitent moderniser l'institution catholique. Il s'oppose fermement aux conclusions du concile, n'hésitant pas à manifester une forme de réaction à l'encontre des décisions pontificales.

Fondateur, en novembre 1970, de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, il installe dès 1974 un séminaire à Ecône, dans le diocèse de Fribourg, en Suisse. C'est de ce séminaire qu'il appelle l'ensemble des catholiques à un « sursaut » dans un manifeste demeuré célèbre. Ce n'est pas seulement au maintien du rite tridentin qui fait du latin la langue centrale des messes qu'il exhorte alors ses coreligionnaires mais surtout au rejet de l'oecuménisme et de la laïcité, toutes choses qui dévoient, à ses yeux, la foi chrétienne. « Nous adhérons de tout notre coeur, de toute notre âme, à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et des traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons, par contre, et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néomoderniste et néoprotestante qui s'est manifestée dans le concile Vatican II », écrit-il dans cette fameuse déclaration du 21 novembre 1974.

Cette critique, en creux, à l'encontre du pape va motiver la venue d'une délégation apostolique du Vatican, quelques mois plus tard. La curie vaticane souhaite en effet savoir ce qu'il signifie lorsqu'il évoque son refus d'appliquer la modification de la liturgie au motif qu'« à messe nouvelle correspond catéchisme nouveau, sacerdoce nouveau, séminaires nouveaux, universités nouvelles, Eglise charismatique, pentecôtiste, toutes choses opposées à l'orthodoxie et au magistère de toujours », ainsi que sa condamnation de cette « réforme [...] issue du libéralisme, du modernisme, [...] tout entière empoisonnée [qui] sort de l'hérésie et aboutit à l'hérésie ».

Les trois émissaires du pape vont l'auditionner plusieurs heures pour savoir jusqu'où il pousse la désobéissance au souverain pontife. Leurs conclusions sont sans appel. Considérant que ses prises de positions sont incompatibles avec la ligne politique édictée par le Vatican, Paul VI déclare Marcel Lefebvre suspens divinis le 22 juillet 1976. Ce qui lui interdit, en théorie, de dire la messe et d'ordonner des prêtres.

Cette sanction suscite de nombreuses réactions chez les partisans de Mgr Lefebvre. Le 8 août suivant, huit personnalités parmi lesquelles Michel Ciry, Michel Droit, Jean Dutourd et Michel de Saint-Pierre adressent ainsi une supplique au pape pour qu'il revienne sur sa décision. Devant son intransigeance, une centaine de fidèles de l'archevêque « prennent » le 27 février 1977 l'église de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et expulsent l'abbé Pierre Bellego qui veillait jusque-là sur cette petite paroisse. Dénoncée par la hiérarchie catholique, cette occupation sera jugée illégale par les tribunaux français. Mais aucune procédure d'expulsion n'a jamais été envisagée par la mairie de Paris, propriétaire des lieux.

Le divorce entre le Vatican et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X est consommé. La radicalisation de plus en plus poussée de l'évêque d'Ecône aboutira, le 1er juillet 1988, à son excommunication pour conduite schismatique, l'archevêque ayant sacré, la veille, quatre évêques sans autorisation du Vatican.

Depuis son élection, le 19 avril 2005, Benoît XVI semble vouloir renouer avec la congrégation de Mgr Lefebvre. Une commission vaticane, la commission Ecclesia Dei, présidée par l'évêque de Bordeaux Mgr Ricard, vise aujourd'hui à réintégrer les 460 prêtres et 178 séminaristes (formés dans six séminaires) ainsi que les 150 000 fidèles de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X répartis dans 50 pays. De nombreux points de désaccord demeurent cependant entre ces traditionalistes et le Saint-Siège. Parmi ceux-ci, figure la reconnaissance officielle de la liberté religieuse par Vatican II. Cette reconnaissance d'une liberté de choix heurte les fidèles de Mgr Lefebvre pour qui la doctrine de la « royauté sociale du Christ » ne saurait autoriser aucun culte concurrent. La collégialité promue par Paul VI leur pose aussi problème en ce qu'elle dilue à leurs yeux l'autorité pontificale en accordant trop de pouvoir aux conférences épiscopales. Pire ! L'oecuménisme adopté par le Vatican en 1965 et son corollaire, l'abandon du prosélytisme, leur paraissent une erreur fondamentale.

Ces points d'achoppements théologiques empêcheront-ils le rapprochement des deux bords ? Fort de la réintégration en 2002 de la Fraternité Saint-Jean-Marie-Vianney de Campos au Brésil, qui partageait jusque-là les idées de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, le Vatican affiche aujourd'hui sa détermination d'engager le dialogue avec les traditionalistes français. Le 8 septembre dernier, plusieurs anciens abbés proches de Mgr Lefebvre, parmi lesquels Philippe Laguérie, Guillaume de Tanouärn et Paul Aulagnier ont rejoint « la pleine communion avec l'Eglise catholique romaine au sein de l'Institut du Bon Pasteur », selon les propres termes de la nonciature pontificale à Paris. Benoît XVI, dans un signe de conciliation, leur a confié une congrégation nouvellement créée à Bordeaux, l'Institut du Bon Pasteur. Preuve de sa bonne volonté : le pape leur a, en outre, concédé de pouvoir y célébrer la messe exclusivement selon la liturgie traditionnelle de Pie V, donc en latin. Il les a, dans le même temps, invités à une « critique constructive » de Vatican II. La hache de guerre serait-elle en passe d'être enterrée ?


A l'origine de la discorde

Le second concile oecuménique du Vatican, plus couramment appelé Vatican II, a été ouvert par le pape Jean XXIII le 11 octobre 1962 et clos sous le pontificat de Paul VI le 8 décembre 1965. Portant tout à la fois sur l'organisation des célébrations liturgiques, le lien que devait entretenir l'Eglise catholique avec les autres confessions religieuses, et les problèmes théologiques, comme la liberté religieuse et la révélation, ses conclusions ont donné lieu à diverses publications : Dei Verbum (sur la révélation), Gaudium et Spes (sur les rapports de l'Eglise avec le monde moderne), et Lumen Gentium (sur la mission de l'Eglise). L'Eglise catholique y exprime son rejet de toute persécution au nom de la charité chrétienne. Elle affirme solennellement que les juifs ne sauraient être considérés comme responsables de la mort du Christ et affiche son désir de renouer le dialogue avec les protestants et l'Eglise d'Orient. Le Vatican y affirme enfin son intention d'associer plus activement les laïcs aux cérémonies religieuses.



Comprendre

Tridentin
Rite adopté au concile de Trente. Les bréviaires et missels utilisés pour les offices sont en latin.


Pie V
Pape de 1566 à 1572. Défenseur de la réforme tridentine, il impose l'usage du missel romain à toute l'Eglise. D'où l'expression "messe selon saint Pie V".


Pie X
Pape de 1903 à 1914. C'est sous son pontificat que la France adopte la loi dite de séparation des Eglises et de l'Etat, en 1905.


Œcuménisme
Du grec oikoumenikos, "universel". Il préconise l'union de tous les chrétiens en une seule Eglise et encourage le dialogue interreligieux.

Sources
Historia

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4 février 2007 7 04 /02 /février /2007 23:42

Les chrétiens se vouent au martyre

Par Anne Logeay




Pourquoi les Romains, qui comptent parmi les peuples les plus tolérants en matière religieuse, en sont-ils arrivés à persécuter cette religion nouvelle, qui présentait un message de paix ?



On ne saurait compter le nombre des saints dont nous voyons les restes dans la ville de Romulus... ces tombes silencieuses sont couvertes de marbres muets », écrit le poète (chrétien) Prudence, au IVe siècle de notre ère. Jeux du cirque, croix, supplices ou plus « simplement » mises à mort de chrétiens... Comment les Romains en sont-ils arrivés là ?

Au début, les chrétiens, confondus avec les juifs, jouissent du statut d'exception. Mais ils font vite figure de groupe à part, et s'attirent des critiques : en 49, l'empereur Claude chasse les juifs de Rome, parce qu'ils provoquent des troubles « sous l'impulsion de Chrestos ». S'agit-il d'une référence au Christ ? ou aux premiers chrétiens ? Dès cette époque aussi, des auteurs comme Tacite, Suétone ou Pline le Jeune, condamnent cette religion d'un nouveau genre, accusant ses fidèles de crimes et surtout de « haine pour le genre humain ». Toutefois, ces écrivains reflètent une hostilité populaire face au monothéisme intransigeant affiché par les chrétiens, plutôt qu'une politique consciente et organisée contre eux. Même si leur différence les désigne à la vindicte générale, comme après l'incendie qui ravage Rome en 64. Néron détourne les soupçons qui pèsent sur lui en accusant les chrétiens d'en être les auteurs et les livre aux jeux du cirque ou aux supplices. « Ils furent reconnus coupables, écrit Tacite, moins du crime d'incendie qu'en raison de leur haine pour le genre humain. A leur exécution, on ajouta des dérisions, en les couvrant de peaux de bêtes pour qu'ils périssent sous la morsure des chiens ou en les attachant à des croix, pour que, après la chute du jour, utilisés comme des torches nocturnes, ils fussent consumés. Néron avait offert ses jardins pour ce spectacle. » Les apôtres Pierre et Paul font partie des victimes : Pierre est crucifié au pied de la colline du Vatican, et Paul, emprisonné dans l'attente de son second procès depuis 62, est décapité hors des murs de Rome.

Sans doute faut-il voir derrière ces actes de répression une simple action de police : pour être à même d'agir contre les chrétiens, il suffit aux magistrats d'exercer leur pouvoir de coercition à l'encontre du délit constitué par l'existence d'une religion illicite. A ce délit principal s'ajoute au cours des ans la supposition de tous les crimes attribués aux chrétiens : lèse-majesté, refus du culte impérial... Il semble que l'Empire ait tenté de réprimer et de contenir une religion non reconnue, qui troublait l'ordre public.

Eusèbe de Césarée (vers 265-340) et ses successeurs placent sous Domitien la deuxième persécution, peut-être motivée par le refus des chrétiens de payer l'impôt spécifique réglé par les juifs depuis la chute du temple de Jérusalem, le fiscus iudaicus. Dès lors, ils perdent le statut de religion tolérée, concédée au judaïsme. Sous prétexte d'« athéisme et de moeurs juives » (donc chrétiennes), l'empereur fait exécuter plusieurs membres de sa famille et des sénateurs. Les allusions de Jean de Patmos, l'auteur de l'Apocalypse, aux souffrances des chrétiens de son temps, la mention des difficultés rencontrées alors par ceux de Rome montrent que sur tout le territoire méditerranéen, ces derniers vivent désormais dans un climat d'hostilité. Mais, extérieurement, cela ne se traduit que par des mesures ponctuelles. Pas plus que leurs prédécesseurs, les Antonins ne légifèrent contre le christianisme.

La question chrétienne, auparavant limitée à un petit nombre d'individus considérés comme des agitateurs, commence à changer de dimensions : l'expansion de la secte va bientôt requérir des outils plus adaptés. C'est que les chrétiens, vivant à l'intérieur de l'Empire, apparaissent comme des éléments inassimilables en refusant de participer aux cultes publics, et principalement à celui de l'empereur, considéré comme un élément essentiel de la vie civique, et en refusant de prêter serment. Celui qui prête serment jure par tous les dieux du panthéon romain, ainsi que sur l'empereur, grand pontife de la religion d'Etat. Par sa nature même, le serment est incompatible avec le culte, la latrie, que le chrétien doit à Dieu seul. Prêter serment et devenir renégat, et séparé de l'Eglise, ou se mettre en marge de la communauté romaine : tel est le dilemme auquel vont devoir dès lors faire face les chrétiens. Or la prédication chrétienne connaît un succès constant, et gagne progressivement l'ensemble du monde méditerranéen.

Il semble que l'empereur Hadrien ait insisté sur les garanties dont les chrétiens traduits en justice doivent pouvoir jouir, et ordonné de ne les punir que pour des délits précis et dûment prouvés. Mais son successeur, Antonin, sincèrement attaché aux traditions païennes, se montre plus sévère, sans que l'on puisse encore parler de persécution. Sous Marc Aurèle, on signale un certain nombre de cas de martyres. Ainsi Justin, le plus grand apologète chrétien de son temps, meurt-il martyrisé vers 165, et en 177, la communauté de Lyon est-elle durement frappée, épreuve dans laquelle périssent Blandine et ses compagnons, esclaves, artisans et commerçants. Sous Commode, en dépit de nouveaux cas de persécutions, le sort des chrétiens s'améliore, notamment en Afrique : la favorite de l'empereur, Marcia, obtient la grâce des confesseurs envoyés aux mines en Sardaigne. Il ne s'agit pourtant que de concessions ponctuelles.

La guerre juive de 55-70 et la destruction du temple de Jérusalem ont consacré le déplacement du centre de gravité du christianisme à Rome, qui devient « la Mère et la tête de toutes les Eglises », et la prédication chrétienne gagne les couches sociales les plus aisées. Désormais, les Eglises se structurent et mettent en place un clergé. Au même moment, l'Empire romain connaît une crise sans précédent : politique, économique, sociale et extérieure, avec la pression des barbares aux frontières. Or certains chrétiens comme Tertullien (récemment converti avant d'être en délicatesse avec l'Eglise) multiplient les déclarations provocantes : « Rien ne nous est plus étranger que l'intérêt public. Nous ne reconnaissons qu'une république commune à tous : le monde. La seule chose qui importe aux chrétiens, c'est de le quitter au plus vite. » Ou encore : « Il nous faut lutter contre les institutions des ancêtres, l'autorité des traditions, les lois des maîtres du monde, les argumentations des jurisconsultes, contre le temps, la coutume, la nécessité, contre les exemples, les prodiges, les miracles qui ont fortifié cette foi bâtarde. »

Ce langage trouve un écho parmi les adeptes de Montan, partisans de la continence absolue et du refus des services militaire et civil, que Tertullien rejoint par la suite. Dans ces conditions, le développement de l'Eglise apparaît de plus en plus comme un ferment de désagrégation et une menace pour la stabilité intérieure. A cela s'ajoute le mépris envers une religion répandue parmi les peuples des confins, de la Bretagne à la frontière rhéno-danubienne, en Afrique, en Gaule, et jusque vers l'Euphrate. Les empereurs veulent croire que le salut réside dans le retour aux anciennes traditions de Rome qui, dans le passé, avaient garanti sa force et sa stabilité. L'empereur Septime Sévère (193-211) promulgue en 202 un édit interdisant le prosélytisme tant juif que chrétien. Or l'Eglise tire sa force de sa capacité à recruter. D'où la désorganisation de l'école d'Alexandrie dirigée par Clément, le martyre de catéchumènes en Egypte, en Afrique et en Gaule. La persécution s'apaise à la mort de l'empereur : les cas de violence observés en Afrique sous Caracalla (211-217) et à Rome en 222 ne relèvent que d'incidents locaux et non d'une volonté politique.

En revanche, l'empereur Maximin (235-238) voue une haine tenace à tous ceux qu'il soupçonne de refuser de défendre l'Empire : l'Eglise va-t-elle à ce titre faire l'objet de nouvelles mesures de répression ? Maximin cherche à l'affaiblir en s'en prenant à sa hiérarchie. Selon Eusèbe, « ayant ordonné une persécution, il ordonne de mettre à mort les seuls chefs des Eglises, comme responsables de la prédication selon l'Evangile ». A Rome, l'évêque Pontien et son rival Hippolyte sont exilés ; en Palestine, Ambroise et Protoctète, amis d'Origène, connaissent des difficultés ; une persécution éclate en Cappadoce, résultat de violences populaires approuvées par un gouverneur hostile aux chrétiens. Toutefois, l'Eglise connaît ensuite paix et tranquillité au point qu'on soupçonne l'empereur Philippe l'Arabe (244-249) d'être chrétien, mais ses convictions, s'il en a, restent fort discrètes. Et en 249, des incidents à Alexandrie montrent que l'hostilité publique à l'encontre des chrétiens est loin d'être éteinte.

En 250, Dèce (249-251) promulgue un édit enjoignant à tous les citoyens de l'Empire de sacrifier aux dieux. Ce sont les chrétiens qui sont visés : leur demander cela revient à les forcer à abjurer leur foi en un dieu unique et à leur faire rejoindre le peuple des païens. Tous les moyens sont bons : intimidations, emprisonnements, tortures, exils, tentations de toutes sortes. En Asie, en Egypte, sans doute en Gaule, nombre de chrétiens refusent de se soumettre, et vont à la mort : une bonne part du clergé romain disparaît ainsi. Dès 251 cependant, les confesseurs sortent de prison et les évêques reprennent le gouvernement de leurs églises. La répression qui sévit à nouveau brièvement sous Gallus - les chrétiens sont tenus pour responsables de la peste qui ravage l'Empire - ne masque pas l'échec de cette politique : l'Eglise résiste, et garde son pouvoir d'attraction. Même si, le calme revenu, surgit l'épineuse question des lapsi (« ceux qui sont tombés », c'est-à-dire ceux qui ont renié leur foi chrétienne) voulant retrouver une place dans la communauté : une longue pénitence leur est imposée avant qu'ils soient admis de nouveau à communier.

Sous l'influence de son ministre des Finances Macrin, l'empereur Valérien renouvelle une politique de persécution (257-258), assortie de confiscations. Deux édits, en 257 et 258, ordonnent aux évêques, prêtres et diacres, de sacrifier aux dieux de l'Empire sous peine d'exil. Ils interdisent aussi aux chrétiens de pratiquer publiquement leur culte et de se réunir dans les cimetières, sous peine de mort, déclenchant une persécution assez sanglante : martyre des papes Fabien (250), Etienne (257), Sixte II (258), mort en exil du pape Corneille (253), exil de son successeur, Lucius ; en Egypte, Cyprien et Denys d'Alexandrie sont exilés ; en Afrique, l'évêque Cyprien de Carthage subit le martyre ; en Espagne, c'est le cas de l'évêque Fructueux de Tarragone et de deux diacres. Sans doute y a-t-il aussi des victimes en Gaule. La mort de Valérien, fait prisonnier par les Perses en 259, met fin à la persécution et, vers 260, Gallien promulgue un édit de tolérance ordonnant la restitution aux chrétiens des lieux de culte et des cimetières.

L'Eglise connaît dès lors, jusqu'au début du IVe siècle, une période de tranquillité : c'est la « petite paix de l'Eglise » qui se marque par une expansion considérable du nombre de fidèles dans tout l'Empire, la construction de nombreuses églises et la pénétration du christianisme dans les hautes couches de la société.

Mais le 24 février 303, cette période prend brutalement fin. Un édit prescrit la destruction des églises, la confiscation des livres et des vases sacrés, et stipule enfin que les chrétiens occupant des charges publiques seront déchus de leurs fonctions. Un deuxième édit ordonne l'emprisonnement de tout le clergé, un troisième décide du sort des prisonniers ; un quatrième et dernier, en 304, enjoint à tous les habitants de l'Empire de sacrifier aux dieux, sous peine de supplices, de mort ou de déportation aux mines. En Occident, la persécution touche surtout l'Italie, Rome, et l'Espagne ; elle existe aussi en Afrique ; elle est particulièrement grave en Orient : c'est la dernière persécution générale, la plus longue et la plus sanglante, déclenchée par Dioclétien (284-305). Il s'agit toujours de revivifier l'attachement aux traditions religieuses du passé, qui ont fait la grandeur de l'Empire. Cependant, l'opinion publique ne soutient pas la politique impériale : on constate une mauvaise volonté générale à appliquer les ordres venus de Rome et, en 305, avec l'abdication de Dioclétien, la situation commence à s'apaiser jusqu'à l'édit de tolérance de Galère le 30 avril 311, en faveur du christianisme. Cet édit est appliqué dans tout l'Empire. Les fidèles peuvent désormais se réunir afin de célébrer leur culte.

Si, en Occident, l'édit ne fait que consacrer la situation antérieure, en Orient il représente une transformation radicale. En 312, Constantin, qui vient de vaincre Maxence et d'entrer à Rome, et qui se reconnaît publiquement comme chrétien, intervient auprès de Maximin et lui demande de faire définitivement cesser la persécution. Le 13 juin 313, à Nicomédie, Licinius fait afficher, sur les lieux mêmes où dix ans auparavant avait commencé la persécution, une lettre accordant la liberté de culte aux chrétiens et la restitution de leurs biens. Dès 315, les premiers symboles chrétiens apparaissent sur les monnaies et les dernières figurations païennes disparaissent en 323. Devenu seul empereur d'Occident et d'Orient en 324, Constantin engage l'Empire sur la voie de la christianisation. L



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Spécialiste de l'Antiquité, Anne Logeay est maître de conférences en littérature et civilisation latine à l'université de Rouen. Auteur de Les Enfants perdus. La France et les prisonniers d'Indochine 1946-2003 (Perrin).
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Comprendre

Statut d'exception
Les juifs ont obtenu des autorités romaines un statut privilégié et bénéficient d'une protection impériale qui les met à l'abri des avanies que les autorités locales pourraient vouloir leur faire subir. Tant que les chrétiens sont restés membres des synagogues, ils ont profité du statut des juifs.


Latrie
Pour les chrétiens, forme la plus élevée d'adoration, qui ne doit être accordée qu'à Dieu seul.

Sources Historia

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4 février 2007 7 04 /02 /février /2007 23:33

Les réseaux de l'Internationale islamiste

Par Olivier Weber, grand reporter au Point



Récupération par les mollahs radicaux, non-règlement de la question palestinienne, poursuite de la guerre en Irak, instrumentalisation par des Etats, tels la Syrie ou l'Iran : les raisons sont nombreuses pour expliquer la montée du fondamentalisme au sein de la oumma, la communauté des musulmans. Mais bien plus qu'à un choc des civilisations, le monde assiste à la remise en question des pouvoirs politiques des pays musulmans par des groupes se revendiquant de la pureté du message religieux. Cette montée du radicalisme compose d'étonnantes lignes de fracture au sein de l'islam. Et empêche bien souvent, en bannissant l'exégèse, l'adaptation des règles religieuses à la modernité. Voici un tour du monde - non exhaustif - des mouvements fondamentalistes.


Les Gardiens de la révolution en Iran

L'Iran, sous la coupe du président Mahmoud Ahmadinejad, veut imposer une nouvelle vision de l'islam. Dépassant le cadre de la révolution islamique de l'ayatollah Khomeiny, le discours du nouveau pouvoir iranien vise, d'une part, à doter le monde musulman de la puissance nucléaire et, d'autre part, à transcender les clivages entre chiites et sunnites. Piliers du régime, les pasdarans (Gardiens de la révolution) sont chargés notamment de faire appliquer la doctrine. Fers de lance du dogme khomeyniste, les pasdarans, créés le 5 mai 1979 par un décret du Guide suprême, forment un Etat dans l'Etat. Le régime iranien a recours à cette force, à la fois armée, service de renseignement et entreprise doctrinaire, pour deux objectifs : rappeler à l'ordre les Iraniens qui s'opposeraient aux rectitudes du pouvoir (notamment en matière de moeurs) et participer à l'exportation de la révolution islamique. Même si ce dernier objectif a évolué, Téhéran a toujours recours à la déstabilisation. Au Liban, par exemple, les pasdarans disposent de bureaux qui financent des actions politiques et militaires, aident le Hezbollah et dédommagent les victimes du conflit israélo-libanais de juillet 2006.

Mais les pasdarans ne sont pas le seul instrument de Téhéran. Plusieurs fondations, dont celle des mostazaffin (les « déshérités »), contribuent aussi à la montée en puissance de l'Iran dans le monde musulman. Et à sa volonté de légitimité pour « guider » la oumma. Adepte du double discours, Téhéran garde plusieurs fers au feu et a entrepris de financer des oeuvres en Afghanistan afin de mieux s'y implanter.

Les talibans en Afghanistan

Après les opérations américaines contre les camps d'Al-Qaïda, les talibans font un retour en force sur la scène afghane. Ou plutôt les néotalibans, mélange d'anciens disciples du mollah Omar, le chef spirituel des étudiants-miliciens aux turbans noirs, de frustrés de la politique du président Hamid Karzaï et de trafiquants de drogue. Un tiers des provinces du pays est ainsi en proie à l'insurrection. Fait nouveau depuis juillet dernier, les fondamentalistes afghans sont remarquablement armés et bien entraînés. « Ils n'hésitent pas à attaquer les forces de l'OTAN dans des combats de front », confie un officier supérieur des forces étrangères stationnées à Kaboul (30 000 soldats de l'ISAF, Force internationale d'assistance à la sécurité, sont présents en Afghanistan, dont plus 8 000 Américains).

En fait, le mouvement islamiste en Afghanistan est bien plus moderne que le ramassis de supplétifs et de religieux au temps du règne de mollah Omar de 1996 à 2001. Les nouveaux talibans s'appuient notamment sur un rejet de l'Occident et sur un discours islamo-nationaliste. Les services secrets pakistanais (ISI), il est vrai, continuent de leur fournir une assistance matérielle. D'autant que les candidats au nouveau djihad sont nombreux de l'autre côté de la frontière, dans les madrasa, les écoles coraniques, du Pakistan, pays qui compte des millions de Pachtouns, cousins frontaliers séparés par la ligne Durand tracée en 1893.

Avec le retour des talibans, renforcé par le conflit en Irak, on assiste à l'émergence du narco-islamisme, fondamentalisme, malgré les interdits de certains chefs religieux. Le pays est devenu le premier producteur d'opium et d'héroïne (92 % du marché mondial). Plus de la moitié du PNB afghan provient du narco-trafic. Le mouvement des talibans va donc continuer à recruter auprès de populations frustrées par la corruption et le manque de développement économique, créant ainsi un mouvement hybride à base tribale et centré sur une fuite en avant vers le fondamentalisme.

Le Hizb Ul Mujahiddin et le Harkat Ul Mujahiddin au Cachemire

Pour le Cachemire, le Pakistan et l'Inde se sont livrés trois guerres depuis la partition de l'Empire britannique des Indes en 1947. Entre les deux pays, détenteurs de l'arme nucléaire, cette contrée himalayenne sécrète toutes les tensions. Alors que l'Inde souhaite que ce conflit de basse intensité demeure dans une dimension bilatérale, le Pakistan veut internationaliser son règlement. Islamabad considère en effet que cette région à majorité musulmane doit lui revenir, arguant notamment du principe de continuité territoriale imposé à l'époque par Londres. Et tous les moyens sont bons. L'ISI, les très efficaces services de renseignement d'Islamabad, instrumentalise différents groupes fondamentalistes pour relancer la guerre dans cette région montagneuse peuplée de 9 millions d'âmes. Le Hizb Ul Mujahiddin, le Harkat Ul Mujahiddin, le Lashkar I Taïba et le Jaish Muhammed mènent la guérilla côté indien. Même si le président pakistanais Pervez Musharraf a interdit leur existence, ces groupes s'infiltrent par la LOC, la ligne de contrôle qui correspond à la ligne de cessez-le-feu. Un extrémisme encouragé par les nombreuses exactions commises par les troupes indiennes dans la vallée du Cachemire. Les militants cachemiris, appelés combattants de la liberté au Pakistan, disposent de points de repli dans les grandes villes indiennes, notamment Delhi et Bombay. Bien entraînés, financés par de grands commerçants et de généreux mécènes, ces mouvements ont vocation à s'internationaliser. Le tremblement de terre d'octobre 2005, qui a détruit une partie des infrastructures côté pakistanais et frappé les familles des militants, a cependant limité leurs capacités.

Le Lashkar I Jihad et la Jemaa Islamiya en Indonésie

Plus grand pays musulman du monde, l'Indonésie vit une expérience démocratique depuis la chute du dictateur Suharto en 1998. Sur le plan religieux, deux courants apparemment opposés travaillent la population des fidèles de l'islam (90 % des 210 millions d'habitants). D'abord les confréries musulmanes, comme la Muhammadiyah (50 millions d'adhérents !) et la Nadlatul Ulema (35 millions). A la fois organisation réformiste, caritative et éducative, prônant un islam tolérant, celles-ci ont un rôle stabilisateur. Tous les courants de la société y sont représentés. Leurs dirigeants ont réussi à mailler les différents secteurs de la population indonésienne, des étudiants aux militaires, des scouts aux collectionneurs de timbres.

L'autre courant est l'islam radical, encouragé notamment par de jeunes mollahs formés à l'étranger. Le groupe paramilitaire Lashkar I Jihad (la Milice de la guerre sainte) a fomenté de nombreux troubles dans les îles Moluques contre les populations chrétiennes. Ce conflit, qui a duré trois ans, a fait plus de 5 000 morts et un demi-million de déplacés.

Ailleurs dans l'archipel, composé de plus de 13 000 îles, la Jemaa Islamiya (la Société islamique) a commis de nombreux attentats antioccidentaux, notamment à Jakarta, la capitale, et sur l'île touristique de Bali. Un adversaire farouche de la Constitution indonésienne (qui revendique un Etat religieux mais non confessionnel) guide les militants fondamentalistes : Abou Bakar Bachir, impliqué dans différents attentats mais libéré.

Pourtant, à l'origine, l'islam indonésien est un islam « marchand » et non conquérant, qui s'est implanté, au XIIIe siècle, avec l'arrivée des négociants arabes. Il demeure ainsi une religion syncrétique, avec des réminiscences hindouistes et bouddhistes, au grand dam des nouveaux mollahs qui veulent le « purifier ».

Les tribunaux islamiques en Somalie

En juillet 2006, l'Union des tribunaux islamiques a brusquement surgi sur la scène internationale en prenant le pouvoir à Mogadiscio. En fait, ces milices fondamentalistes régnaient dans plusieurs provinces depuis une dizaine d'années. Leur credo : chasser les seigneurs de guerre, qui ont détruit le pays pendant et après la guerre de 1991. Sous la houlette du cheikh Hassan Dahir Aweys et d'un Conseil suprême islamique de Somalie, ces tribunaux se sont imposés dans un pays en proie à l'anarchie et à la famine. Peu à peu ces « talibans d'Afrique » ont imposé la charia. Le pays se replie sur lui-même. Les humanitaires fuient la capitale et les villes où ils oeuvraient, surtout depuis la guerre de 1991. Certes le mouvement s'est d'abord fédéré en réaction au chaos et à la corruption. Mais l'Union des tribunaux islamiques pourrait laisser s'installer en Somalie des plates-formes internationalistes du djihad, de la même manière que les talibans en Afghanistan ont été submergés par les réseaux d'Al-Qaïda et les combattants de Ben Laden.

Un bémol cependant : la milice somalienne, à la recherche d'une reconnaissance internationale, pourrait tempérer ses élans rigoristes. En témoigne l'abordage début novembre d'un cargo des Emirats arabes unis par des miliciens des tribunaux islamiques afin de neutraliser les flibustiers qui exigeaient une rançon d'un million de dollars. Cette opération, autant destinée aux Somaliens qu'à la communauté internationale, permettait de démontrer que tribunaux islamiques riment avec ordre public. La Somalie n'est pas pour autant épargnée par la reprise d'un conflit, les partisans de l'ancien gouvernement menaçant de reconquérir Mogadiscio.

Le Hezbollah au Liban

Le Hezbollah (le Parti de Dieu) a fait son retour au grand jour en juillet dernier avec la guerre du Liban. Déclenchée par Israël, l'opération visait à empêcher les bombardements par la milice chiite, fortement implantée au Sud-Liban. Cette milice dispose de plusieurs milliers de missiles fournis par Téhéran (4 000 roquettes tirées sur le nord d'Israël en juillet et août), de 10 000 soldats et d'un trésor de guerre alimenté par l'Iran. Fondé par le cheikh Sobhi al-Toufayli, le Parti de Dieu est dirigé depuis 1992 par le cheikh Hassan Nasrallah (déclaré ennemi public n° 1 d'Israël) et opère sous la double tutelle de l'Iran et de la Syrie.

Même si le récent conflit a sérieusement amoindri ses capacités militaires, le Hezbollah, qui compte une dizaine de députés au parlement, demeure un parti politico-militaire très structuré. Vilipendé par une partie de la population libanaise, qui le rend responsable de la guerre de l'été, le Parti de Dieu incarne cependant pour nombre d'habitants de la région la résistance du monde musulman face à Israël. Le mouvement peut resurgir militairement à tout instant au Liban, tant Damas et Téhéran ont intérêt à l'instrumentaliser soit pour attaquer Israël soit pour détourner l'attention de la communauté internationale de la montée en puissance du nucléaire iranien.

Pour l'heure, le Hezbollah se restructure et finance les victimes de la guerre de l'été 2006 : 12 000 dollars en espèces pour un propriétaire d'appartement endommagé, 8 000 pour un locataire. Avec ses moyens financiers colossaux, issus non seulement de ses mentors syriens et iraniens mais aussi du trafic de drogue, le Hezbollah, qui dispose de sa propre chaîne de télévision (Al-Manâr TV), se propose de fédérer l'aide aux Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. Même si la force des Nations unies s'est renforcée - 15 000 hommes à terme - pour neutraliser le Sud-Liban, le Hezbollah garde toute sa puissance politique et militaire.

Le Hamas en Palestine

Créé en 1988 après la première intifada (guerre des pierres) dans les territoires palestiniens, le Hamas, à la fois nationaliste, religieux et antisioniste, recrute parmi les jeunes de Gaza et de Cisjordanie. Très structuré, longtemps dans la clandestinité, ce mouvement radical a remporté les élections parlementaires dans les territoires en 2006. Proche des Frères musulmans égyptiens, ses dirigeants sont souvent des Palestiniens éduqués (ingénieurs, médecins, anciens cadres de l'administration). Quand l'Organisation de libération de la Palestine de Yasser Arafat, décide d'entamer des négociations avec Israël en 1991, le Hamas s'engage dans des opérations militaires contre Tsahal, l'armée d'Israël. Ses militants, notamment ceux des brigades Ezzedine al-Qassam, bombardent le sud d'Israël avec des roquettes artisanales. Travaillé en sous-main par les mollahs les plus radicaux, le Hamas, qui dispose d'une base arrière à Damas, veut représenter un courant populaire en Palestine, grâce notamment à un impressionnant réseau d'assistance. Ses dirigeants souhaitent clairement créer un Etat religieux. Placé sur la liste des organisations terroristes par l'Union européenne en 2003, le Hamas peut compter sur un renouvellement constant de ses cadres (chaque dirigeant a un double). Israël envoie régulièrement des commandos pour éliminer les chefs du Hamas et lance des opérations aériennes grâce à des agents travaillant pour Tsahal dans les territoires.

L'ASSRI et l'Armée du Mehdi en Irak

La guerre déclenchée par les Etats-Unis en mars 2003 a paradoxalement renforcé les réseaux islamistes d'Irak. Ils sont complexes, transcendés par deux axes : sunnites-chiites et religieux-anciens partisans de Saddam Hussein. Les mouvements chiites, dont l'ASSRI d'Abdulaziz al-Haqim et l'Armée du Mehdi de Moqtada al-Sadr, disposent du soutien plus ou mois important de l'Iran, même si la communauté chiite d'Irak (60 % des 24 millions d'habitants) entend garder son autonomie. L'autre axe est plus complexe, alliant les réseaux d'Al-Qaïda - composés d'Irakiens et de volontaires étrangers - aux anciens du Baas, le parti de Saddam Hussein. La volonté de Paul Bremer, ancien représentant de Washington en Irak, d'évincer tous les cadres de l'ancien régime a en effet jeté ces derniers dans les rangs des mouvements islamistes.

Ces mouvements comptent non seulement des hiérarchies religieuses et militaires mais aussi de nombreux supplétifs. Au total, plusieurs dizaines de milliers de combattants. Son cloisonnement et son caractère tribal font que cette nébuleuse est difficilement perméable. Comme le déclare à Historia Hoshyar Zebari, ministre irakien des Affaires étrangères : « Ce qui nous manque pour gagner cette guerre, c'est l'information et la pénétration des milices, en bref de vrais services secrets. »

L'efficacité de cette guérilla, nullement entamée par la mort en juin 2006 du chef d'Al-Qaïda en Irak Abou Moussab al-Zarqaoui, a une double conséquence : l'instabilité de l'Irak sur le long terme et un mimétisme à l'extérieur, notamment en Afghanistan. Le président kurde d'Irak, Jalal Talabani, s'efforce cependant d'intégrer les milices dans le processus politique, à la condition qu'elles désarment. Sans résultat pour le moment. Il est vrai qu'elles se financent en grande partie par l'« industrie » du kidnapping (plusieurs milliers d'Irakiens enlevés). Armes, munitions, paiement des combattants, la guérilla irakienne nécessite plusieurs dizaines de millions de dollars par an. L'alliance entre salafistes et anciens du Baas pourrait amener le pouvoir à collaborer avec une partie de cette tendance en gage de stabilité.

La Jamaat al-islamiya en Egypte

L'Egypte est périodiquement la cible d'attentats islamistes, que ce soit dans les stations balnéaires du Sinaï ou au Caire, la capitale. C'est que le pouvoir d'Hosni Moubarak, malgré une forte répression, n'est jamais parvenu à éradiquer la Jamaat al-Islamiya. Ce mouvement est une sorte d'hydre, qui apparaît et réapparaît au gré des circonstances. Il est implanté au Caire, à Assiout, ville à 40 % copte chrétienne mais aussi berceau des islamistes égyptiens, et dans le désert du Sinaï, sillonné par un réseau de Bédouins acquis à la cause fondamentaliste. Créée dans les années 1970, la Jamaat al-Islamiya a pris la relève d'Al Jihad, organisation décimée par les services de sécurité à la suite du spectaculaire assassinat du président Anouar al-Sadate en 1981. La Jamaat, qui s'est affiliée à Al-Qaïda, possède une structure suffisamment souple pour « héberger » d'autres groupes islamistes et terroristes. Ses dirigeants clandestins cherchent avant tout à impliquer l'Etat dans un conflit religieux, quitte à encourager l'assassinat de coptes. Ils appellent à l'avènement d'un Etat islamique en Egypte. La pauvreté d'une grande partie de la population (80 millions d'habitants) et la corruption de l'administration égyptienne lui donnent des arguments. L'efficacité des attaques-suicides de la Jamaat résulte aussi de complicités au sein de l'appareil d'Etat.

Afin de résister aux campagnes de répression, le mouvement s'est davantage cloisonné. Avec, pour conséquence, des dérives tel l'assassinat d'une cinquantaine de touristes occidentaux en 1997 à Louksor. La crainte du pouvoir est que le mouvement s'attaque aux touristes : chaque attentat prive en effet le pays de sources importantes de revenus.

La Jamaat demeure cependant plus active à l'étranger qu'en Egypte. L'un de ses guides spirituels est Ayman al-Zawahiri, médecin égyptien devenu bras droit de Ben Laden, qui se terre dans les zones tribales entre l'Afghanistan et le Pakistan.

Le GIA en Algérie

Il conviendrait de parler davantage « des » GIA que « du » GIA (Groupe islamique armé), tant le mouvement algérien est émietté. Apparue en 1991, cette nébuleuse est particulièrement violente, hostile à toute implication avec le pouvoir politique, contrairement au FIS (Front islamique du Salut). Attentats, assassinats aveugles ou ciblés, trafics de drogue, extorsion de fonds : les militants sont prêts à tout pour imposer la charia. Plusieurs milliers de ses combattants sont passés par les camps d'entraînement en Afghanistan, où le discours s'est davantage radicalisé, notamment avec l'acceptation de l'assassinat de musulmans.

Ces groupuscules s'agrègent pour des opérations spectaculaires, tels les attentats sur la route de Blida ou dans la plaine de la Mitidja. Deux courants principaux animent le coeur du GIA, fort d'un millier de combattants : un courant salafiste, pour le retour à la tradition comme au temps du prophète Mahomet, et un courant djazaariste, basé sur un nationalisme exacerbé. L'espérance de vie des émirs (les chefs de bandes) est limitée (estimée au plus fort de la guérilla à trois semaines en ville, deux mois à la campagne). Leurs remplaçants sont souvent plus jeunes, illettrés et ne connaissant guère le Coran. Il en résulte une sorte de mouvement hybride, fait d'éléments religieux et de jeunes délinquants. L'intégration des groupuscules, la montée au maquis sont souvent motivés par l'envie de revanche contre le pouvoir, rendu responsable de toutes les frustrations, et les éventuelles facilités matérielles. Ce qui explique les dérives du GIA, avec les massacres de civils, destinés à marquer un territoire politico-militaire, à rivaliser avec les autres groupuscules et à s'approvisionner en matériels ou en vivres.

Reste que l'intensité des opérations a décliné ces dernières années, en raison justement de cette violence aveugle qui a coupé le GIA d'une partie de sa base populaire et de la répression menée par les militaires algériens. A noter que les services secrets ont manipulé à plusieurs reprises le GIA, en particulier grâce à des repentis et des agents infiltrés. Des soupçons pèsent sur l'armée, accusée par des politiques et intellectuels d'avoir organisé des attentats afin de discréditer le mouvement islamiste et de justifier la poursuite de la contre-guérilla, qui sert les intérêts économiques de cercles du pouvoir politique et militaire.

Enfin, le jusqu'au-boutisme du GIA a conduit à des scissions, notamment à celle du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), créé en 1998 par Hassan Hattab, alias Abou Hamza, et composé de 300 à 600 moudjahidin (combattants). Aywan al-Zawahiri, le n° 2 d'Al-Qaïda, a affirmé que le GSPC avait fait allégeance en 2006 au groupe fondé par Ben Laden.

Sources Historia

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4 février 2007 7 04 /02 /février /2007 23:26

Etats-Unis : quand la Bible fait loi

Par Sébastien Fath



Les fondamentalistes protestants exercent outre-Atlantique une influence constante sur la vie politique et sociale. Pour autant, les Américains sont-ils prêts à lâcher The Desperate Housewives pour retourner à La Petite Maison dans la prairie ?



La Bible seule ! La Bible dit ! C'est en écho au Sola Scriptura des réformateurs que les protestants les plus radicaux scandent aujourd'hui leurs mantras militants. La science peut plaider pour Darwin, la génétique percer le secret de l'ADN, mais seule la Bible, Parole de Dieu, doit pour eux avoir le dernier mot. Cette insistance obsessionnelle sur les fondements de l'autorité biblique nous rappelle que la radicalité religieuse, chez les protestants, s'exprime moins par l'intégrisme que par le fondamentalisme.

Le fondamentalisme, c'est la manière protestante d'être radical, de pousser à l'extrême un engagement chrétien voulu comme total et sans concessions. Au contraire de l'intégrisme catholique, qui se rattache à une tradition, le fondamentalisme se rattache avant tout à un texte, la Bible, reçue comme inerrante, c'est-à-dire sans erreurs dans ses manuscrits originaux. D'où vient ce mouvement ? Quelle est son histoire ? Quelles stratégies en réseaux a-t-il développées pour peser aujourd'hui sur les affaires du monde ?

Le mot « fondamentalisme » est né au début du XXe siècle en terrain protestant nord-américain. Le terme commence à se répandre aux lendemains de la Première Guerre mondiale, mais le mouvement qu'il désigne préexiste. Il est apparu aux Etats-Unis en opposition aux développements du modernisme théologique. Entre 1910 et 1915, douze fascicules, tirés à trois millions d'exemplaires, sont publiés sous le titre suivant : The Fundamentals : A Testimony to the Truth. Ils comprennent une centaine d'articles théologiques, écrits par les protestants évangéliques les plus en vue de l'époque. Parmi eux, de nombreuses dénominations protestantes sont représentées : on y rencontre le théologien écossais James Orr, le professeur presbytérien à Princeton Warfield, l'évangéliste Torrey, le théologien baptiste du Sud Mullin, ou l'évêque anglican Moule.

Convaincus que les progrès de l'exégèse moderne et du libéralisme menacent de saper les contenus traditionnels de la foi chrétienne, ces auteurs entendent défendre les points fondamentaux de la foi. Parmi ceux-ci, la divinité et l'incarnation de Jésus, Fils de Dieu, la naissance virginale du Sauveur, sa mort expiatoire sur la Croix pour le salut des humains, la résurrection corporelle, la réalité du péché, qui sépare de Dieu et rend l'expiation nécessaire, le salut par la Grâce (et non par les efforts humains), et l'autorité de la Bible, « Parole inspirée de Dieu ». L'unité de ces fascicules n'est pas complète, loin s'en faut. En réalité, les auteurs divergent sur bien des points secondaires, mais ils se retrouvent autour de la nécessité d'une plate-forme commune pour stopper ce qu'ils pensent être un processus de démolition des vérités chrétiennes traditionnelles. Leur positionnement est alors essentiellement théologique, sans grande ambition sociétale et politique.

C'est en référence à ces fascicules et à ce large cercle d'auteurs que s'est structuré le premier fondamentalisme protestant américain, aux ramifications internationales. Porté par plusieurs millions d'Américains soucieux de défendre les enseignements chrétiens traditionnels, ce protofondamentalisme est multiple : maîtres d'oeuvre du Fundamentalist Project, référence en la matière, Martin Marty et Scott Appleby préfèrent même parler de « fondamentalismes protestants ».

Le courant est diffus, disparate, sans unité confessionnelle, comme trans-frontière. Dans la logique protestante, qui relativise l'institution ecclésiale au profit de la relation directe de l'individu avec Dieu, ce fondamentalisme n'a rien d'une armée disciplinée au service d'une sainte cause. Par ailleurs, il n'a pas défendu, à l'origine, de ligne séparatiste, contre-culturelle. Les premiers fondamentalistes entendent au contraire convaincre l'ensemble des chrétiens, l'emporter à l'intérieur des grandes Eglises et dénominations protestantes existantes et terrasser partout le libéralisme théologique comme saint Georges tue le dragon.

C'est dans ce but de conquête qu'est créée la World's Christian Fundamentals Association, en 1919, un an avant que le terme de fondamentalisme entre en usage à la suite de Curtis Lee Laws, éditeur du Watchman Examiner (périodique baptiste). Mais plus dure est la chute. Le rêve de planter le drapeau victorieux de la pureté biblique sur tous les clochers et campus chrétiens s'est fracassé contre le réel, et le courant fondamentaliste, aux Etats-Unis, son principal bastion, comme dans le reste du monde, a graduellement connu une radicalisation qui l'a conduit à renoncer au projet initial. Abandonnant l'espoir de régénérer le protestantisme dans son ensemble, les fondamentalistes ont choisi une option de plus en plus isolationniste, hostile au « monde ».

Quel fut le détonateur de la crise ? Comment cette réaction orthodoxe, aux accents proches du rôle alors joué par le magistère romain dans la crise moderniste catholique, s'est-elle muée en un fondamentalisme vindicatif et dénonciateur dont les médias se repaissent aujourd'hui ? C'est au milieu des années 1920 que s'est amorcé ce basculement, à l'occasion du fameux « procès du singe ». Hostiles à la théorie de l'évolution des espèces de Darwin, les fondamentalistes ont alors voulu faire de la condamnation d'un enseignant évolutionniste, prononcée à Dayton (Tennessee) un symbole de leur influence. Ils gagnent certes leur procès, sous l'impulsion de l'ancien vice-président des Etats-Unis, le démocrate William Jennings Bryan (1860-1925). Mais ils perdent la bataille médiatique. Plus grave encore que les foudres de l'opinion, ils s'attirent le ridicule. Stigmatisés dans la presse, ils passent désormais pour d'obscurantistes bigots hostiles au progrès scientifique.

Dès lors, la cause est entendue pour les premiers fondamentalistes. Après un tel échec dans la conquête de l'opinion, nulle illusion à entretenir sur la conversion de la société tout entière. Finie l'offensive générale au grand jour, place aux tranchées, aux sous-cultures de résistance, réfugiées dans un séparatisme résolu qui relègue le « monde » et ses « péchés » à bonne distance. Poursuivie dans les années 1930, la radicalisation du mouvement fondamentaliste a entraîné des fractures internes. Tirant les conséquences du procès du singe, certains leaders du courant choisissent une stratégie séparatiste. La presse séculière est mauvaise ? Qu'à cela ne tienne, on crée des quotidiens et des périodiques fondamentalistes. L'école publique n'est plus ce qu'elle était ? On la quitte et on fonde ses établissements, du jardin d'enfant à l'université. La radio, puis la télévision menacent les bonnes moeurs ? On crée à leur place les médias audiovisuels demandés par les publics fondamentalistes.

Echouant à transformer l'ensemble de la culture, les fondamentalistes ont choisi l'option de consolider la leur, en nourrissant leurs réseaux locaux de structures alternatives. Mais cette optique contre-culturelle, adossée à une rhétorique dénonciatrice, ne plaît pas à tout le monde. Bien des protestants, compagnons de route du premier fondamentalisme, n'apprécient pas ce nouveau séparatisme, jugé trop belliqueux. Ils souhaitent défendre une doctrine orthodoxe, mais sans politique de séparation et de confrontation agressive avec la culture ambiante.

C'est au sein de ce public critique que se sont affirmées, à partir de 1943 (avec la création de la National Association of Evangelicals), les organisations évangéliques - et non pas « évangélistes », terme impropre. Ces évangéliques sont très puissants aujourd'hui aux Etats-Unis, où ils représentent plus de 70 millions d'Américains, mais aussi dans le monde : au moins 200 millions d'individus sans compter les pentecôtistes, qui feraient au moins doubler la statistique. Mais ils ne peuvent pas être tous assimilés à des fondamentalistes ou des intégristes. Parmi les présidents américains qui se réclament de cette orientation, on compte aussi bien George W. Bush que Bill Clinton ou Jimmy Carter. Si tous les fondamentalistes protestants sont évangéliques, dont ils constituent l'aile radicale, tous les évangéliques ne sont pas fondamentalistes. Cette différenciation s'est faite dans les années 1930-1940 ; et, depuis la Seconde Guerre mondiale, la fracture entre les deux a tendance à s'accroître.

Tandis que les protestants évangéliques s'engagent de plus en plus fermement sur les sentiers oecuméniques, aboutissant à la signature d'un premier document théologique majeur au printemps 1994 avec les représentants du catholicisme américain (Evangelicals and Catholics Together), les fondamentalistes, au contraire, accentuent leur séparatisme avec les autres chrétiens, en durcissant trois éléments qui deviennent leurs signes de ralliement et les piliers de leur mouvement.

Le premier trait consiste en une eschatologie particulière. Elle est à caractère prémillénariste et largement marquée par une vision dispensationaliste de l'Histoire. Pour les fondamentalistes, celle-ci va de mal en pis : seul le retour de Christ, instaurant le Millenium (règne de 1 000 ans), pourvoira à l'attente des élus. D'où une vision pessimiste du monde, qui nourrit les réflexes contre-culturels. A cette conception prémillénariste s'ajoute l'impact du dispensationalisme, doctrine qui découpe l'histoire en sept « dispensations » durant lesquelles Dieu agit à chaque fois de manière spécifique. Selon cette doctrine, qui s'appuie sur la traduction Scofield de la Bible (1909), nous vivons aujourd'hui l'avant-dernière « dispensation », marquée par le « rétablissement d'Israël », prélude immédiat au retour du Christ en gloire. D'où le soutien appuyé des fondamentalistes américains à Israël, envisagé comme conforme au plan de Dieu.

Le deuxième trait qui caractérise le fondamentalisme du dernier demi-siècle est l'inerrance de la Bible. Déjà affirmé précédemment, ce critère postule la Bible « sans erreurs ». Il devient alors obsessionnel. Contrairement à une idée reçue, ce principe d'inerrance ne signifie pas que les versions actuelles de la Bible soient considérées sans erreurs. L'interprétation n'est pas non plus complètement « littérale », car l'exégèse des textes (et leur hiérarchisation sélective) est tout autant pratiquée dans les rangs fondamentalistes qu'ailleurs. Cependant, la valorisation extrême de ce principe d'inerrance entraîne une méfiance croissante pour tout recours aux sciences humaines dans l'interprétation des textes bibliques, stérilisant le débat intellectuel et éthique (notamment sur la question évolutionniste) au nom d'arguments d'autorité. Si « la Bible dit », il faut s'exécuter, sous peine de dévier de la vérité et de s'exposer au courroux divin.

Enfin, la dernière caractéristique de l'évolution fondamentaliste depuis 1945 est l'essor d'une idéologie séparatiste, appuyée sur le verset biblique de la Seconde Epître aux Corinthiens (6, 17) : « Sortez donc d'entre ces gens-là, et mettez-vous à l'écart, dit le Seigneur ; ne touchez à rien d'impur. Et moi, je vous accueillerai. » Elle postule le principe suivant : « Aucune collaboration avec ceux qui collaborent avec les libéraux. » Ils s'opposent frontalement sur ce terrain aux protestants évangéliques, dénonçant par exemple l'apostasie du prédicateur évangélique Billy Graham, qui associe des catholiques dans ses croisades depuis la fin des années 1950. Ces ouvertures oecuméniques passent, aux yeux des fondamentalistes, pour une grave compromission, voire une trahison. Les fondamentalistes post-1945 ont renoncé de fait à toute tentative de transformer les dénominations existantes de l'intérieur, préférant faire bande à part et multiplier leurs propres structures de défense et de formation, portées en particulier par les strictes universités sudistes Bob Jones, Liberty University ou Regent University.

On observe cependant une inflexion au cours des années 1970. Les fondamentalistes sortent alors de leur isolement, non pas pour réinvestir les grandes dénominations, dont ils sont plus que jamais séparés, mais pour influer sur la politique. Depuis 1979, des figures comme les télévangélistes Jerry Falwell (fondateur de la Moral Majority), Pat Robertson (fondateur de la Christian Coalition) ou Ralph Reed (qui incarne la relève de la Nouvelle Droite chrétienne) ont défrayé la chronique par leurs efforts répétés pour faire progresser à Washington leur agenda conservateur. Mais l'hypothétique « majorité morale » qu'ils invoquent s'est réduite à un poids direct d'environ deux millions d'électeurs : suffisant pour peser sur les élections, mais bien trop faible pour infléchir la législation fédérale ou faire triompher un candidat maison. Parmi les fruits de la sécularisation et de la libéralisation de la société états-unienne depuis les années 1960, ni l'avortement, ni la banalisation de l'homosexualité, ni la multiplication des divorces, ni l'abandon de la prière à l'école n'ont subi de remise en cause frontale, que la majorité des Américains n'accepterait pas.

Si les fondamentalistes sont tellement bruyants aujourd'hui, ce n'est pas parce qu'ils sont plus puissants, c'est au contraire parce que le mouvement dominant de la société leur échappe de plus en plus. Quand l'Amérique de La Petite Maison dans la prairie reflétait davantage leurs valeurs, on les entendait moins. C'est parce qu'ils perdent du terrain qu'ils protestent, et non l'inverse. Dans l'Amérique de Desperate Housewives, le fondamentalisme reste bien vivant et exerce une influence partielle, au-delà de son périmètre, sur 70 millions d'Américains. Mais face à la libéralisation de la société, il n'en a pas moins échoué dans sa tentative de renverser la vapeur.



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Sébastien Fath. Chercheur au CNRS, chargé de conférences à l'Ecole pratique des hautes études, il a publié Dieu bénisse l'Amérique. La religion de la Maison Blanche (Seuil, 2004), Militants de la Bible aux Etats-Unis. Evangéliques et fondamentalistes du Sud (Autrement, 2004), et Du ghetto au réseau. Le protestantisme évangélique en France, 1800-2005 (Labor et Fides, 2005).
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Comprendre

Eschatologie
Théorie des fins dernières de l'homme et du monde.


Inerrance
Infaillibilité de la Bible. Si le Saint-Esprit est bien l'auteur premier de l'Ecriture, celle-ci ne saurait nous induire en erreur en quoi que ce soit : l'infaillibilité de la Bible est celle de Dieu lui-même.



Dispensationalisme

Ce néologisme, répandu plutôt dans le monde anglophone, provient de l'idée que l'histoire du monde est divisée en sept âges, ou dispensations. Nous sommes censés vivre actuellement la fin du sixième âge, attendant simplement le retour de Jésus qui inaugurera l'âge final, le glorieux règne millénariste, une période de mille ans. Ce retour sera précédé de l'enlèvement au ciel des vrais croyants (le ravissement), de sept années de grandes épreuves (la tribulation) et d'une guerre au Moyen-Orient qui culminera dans la grande bataille d'Harmagedôn (Ap, 16,16), juste avant le retour de Jésus. Ce schéma très élaboré est censé provenir de la Bible. En fait, il a été imaginé au siècle dernier en Angleterre par John Nelson Darby (1800-1882), un des fondateurs des Frères de Plymouth. C.D.

Sources Historia

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4 février 2007 7 04 /02 /février /2007 22:34

 

 

 

Moïse et le monothéisme

 

 

par Sigmund Freud

1939

9ème partie

............

8ème partie

1ère partie

III

Moïse, son peuple et le monothéisme :

 

II

Période de latence et tradition

 

 

 

Nous admettons donc que l'idée d'un dieu unique ainsi que le rejet des rites magiques et le renforcement des exigences éthiques au nom de ce dieu furent réellement des doctrines mosaïques qui d'abord trouvèrent peu d'adhérents puis, après une longue période intermédiaire, finirent par agir et par prévaloir. Comment expliquer cette action retardée et où trouver ailleurs des phénomènes analogues ?


Tout de suite, nous en voyons surgir dans notre mémoire et nous les retrouvons nombreux en maints domaines très différents. Ils se produisent vraisemblablement de diverses manières plus ou moins faciles à comprendre. Prenons comme modèle le sort réservé à une théorie scientifique nouvelle, celle de Darwin sur l'évolution, par exemple.
Au début, elle suscite l'hostilité et est rejetée ; pendant des dizaines d'années, on en conteste la valeur, mais il ne faut pas plus d'une génération pour que l'on finisse par admettre qu'elle constitue un grand pas vers la vérité. Darwin lui-même a l'honneur d'avoir sa sépulture à Westminster. Un pareil cas n'offre rien de très énigmatique. La vérité nouvelle avait réveillé certaines résistances affectives et celles-ci sont traduites par des arguments grâce auxquels il devient possible de contester les preuves à l'appui de la théorie combattue. Le conflit d'opinions se poursuit durant un certain temps ; dès le début, partisans et adversaires s'affrontent, le nombre et l'importance des premiers ne cessent de grandir et ce sont les adeptes qui finissent par l'emporter. Pendant tout le temps du conflit, nul n'a oublié de quoi il était question. Nous sommes à peine étonnés de constater que l'ensemble du processus a duré assez longtemps ; sans doute ne nous rendons-nous pas suffisamment compte qu'il s'agit là d'un phénomène de psychologie des foules.


Il n'est pas difficile de trouver une analogie complète entre ce phénomène et ce qui se passe dans la vie psychique de tout individu. Prenons une personne à qui se trouve révélé un fait nouveau dont la réalité est prouvée mais qui contrarie certains de ses désirs et offense quelques-unes de ses plus chères convictions. Cette personne hésitera, cherchera des motifs de doute et luttera un temps contre elle-même jusqu'à ce qu'enfin elle soit obligée d'admettre la vérité et de se dire : « Tout cela est pourtant vrai ! mais comme c'est difficile à accepter et quelle peine j'ai à le reconnaître! » Ce processus nous enseigne qu'il faut un certain temps pour que le travail intellectuel du moi réussisse à vaincre les objections suscitées par de puissants investissements objectaux. Toutefois, nous reconnaissons que la similitude entre ce cas et celui que nous étudions ici n'est pas très grande.


L'exemple que nous allons maintenant étudier semble encore plus éloigné du problème. Il arrive parfois qu'un individu sorte indemne, en apparence, d'un terrible accident, d'une collision de trains, par exemple. Au cours des semaines qui suivent, il présente une série de troubles graves, psychiques et moteurs, qu'on peut attribuer au choc, à l'ébranlement ou à quelque autre cause inhérente à l'accident. Le voilà malade d'une « névrose traumatique ». C'est là un fait tout à fait incompréhensible, donc nouveau. Le temps qui sépare l'accident de la première apparition des symptômes s'appelle le «temps d'incubation », terme qui renferme une transparente allusion à la pathologie des maladies infectieuses. Malgré la différence fondamentale des deux cas, nous finissons par observer qu'il y a, sur un point,
concordance entre le problème de la névrose traumatique et celui du monothéisme juif. Cette analogie réside dans ce qu'on peut appeler la latence. Nous sommes autorisés à croire, en effet, qu'au cours de l'histoire de la religion juive, il s'écoula, après la chute de la religion mosaïque, un long laps de temps pendant lequel l'idée monothéiste, la dépréciation des rites et le renforcement de l'éthique cessèrent de se manifester. Tout nous prépare ainsi à la possibilité de chercher, dans une situation psychologique particulière, la solution de notre problème.


Nous avons déjà, à diverses reprises, parlé de ce qui arriva à
Quadès quand les deux parties du futur peuple juif s'associèrent dans une commune religion. Du côté de ceux qui étaient revenus d'Égypte, les souvenirs de l'Exode et du personnage de Moïse étaient restés si forts, si vivaces, qu'il fallut bien les insérer dans toute relation de ces époques anciennes. Parmi ces hommes, certains étaient peut-être les descendants de personnes que Moïse avait pu connaître, quelques-uns se considéraient comme des Égyptiens et portaient des noms égyptiens. Toutefois, ils avaient de bonnes raisons de refouler le souvenir du destin qui avait été réservé à leur chef et législateur. Pour les autres, ce qui primait, c'était le dessein de glorifier le nouveau dieu et de contester son origine étrangère. Les deux parties avaient un intérêt égal à nier l'existence, chez eux, d'une religion antérieure et la nature des affirmations de celle-ci. C'est alors qu'on établit un premier compromis qui ne tarda sans doute pas à être codifié : les gens d'Égypte avaient apporté avec eux l'écriture et le goût de relater les faits historiques. Cependant il devait s'écouler un long temps avant que les historiens n'en vinssent à concevoir un idéal de vérité objective. Auparavant, ils ne se faisaient aucun scrupule d'établir leurs récits suivant les besoins et les tendances du moment, comme si le sens de la falsification leur avait échappé. Il s'ensuivait donc qu'un contraste pouvait s'établir entre la fixation par écrit d'un événement et sa transmission orale, la tradition. Ce qui dans la relation écrite avait été négligé ou altéré pouvait, dans la tradition, demeurer intact. La tradition était, tout à la fois, le complément et l'inverse de la relation écrite, moins soumise aux tendances déformantes elle leur échappait peut-être même en certains points, pouvant ainsi être plus exacte que la relation écrite. Toutefois, la transmission orale d'une génération à l'autre était exposée, plus encore que le récit écrit, à subir de multiples modifications, de multiples déformations. Une semblable tradition pouvait subir des sorts différents mais le plus fréquent était pour elle de se voir étouffée par les écrits, de cesser de s'imposer à côté de ces derniers, de devenir toujours plus vague pour finalement disparaître dans l'oubli. Mais un autre destin pouvait l'attendre, la tradition elle-même faisant parfois l'objet d'une fixation par écrit. Nous parlerons encore par la suite d'autres possibilités.

Comment expliquer le phénomène de latence dans l'histoire du judaïsme ? Nous croyons que les faits, les données véridiques que les relations écrites dites officielles cherchent intentionnellement à nier n'ont, en réalité, jamais été perdus. Leur souvenir survivait dans les traditions restées vivantes au sein du peuple. E. Sellin assure que, même à propos de la mort de Moïse, il existait une tradition qui contredisait nettement la version officielle et demeurait bien plus proche de la vérité. La même chose dut se produire pour d'autres croyances qui, en apparence, avaient disparu en même temps que Moïse, et pour des doctrines de la religion mosaïque rejetées par la majorité des contemporains du prophète.


Nous sommes ici en présence d'un fait remarquable : ces traditions, loin de s'affaiblir avec le temps, devinrent de plus en plus fortes au cours des siècles,
s'insinuèrent dans les remaniements ultérieurs des rapports officiels et, enfin, se révélèrent assez puissantes pour influencer de façon décisive la pensée et les actes du peuple. Les conditions qui ont rendu possible un semblable développement échappent encore à notre connaissance.


Ce fait est à tel point étrange qu'il mérite de retenir notre attention. Tout notre problème est là. Le peuple juif ayant abandonné la religion d'Aton enseignée par Moïse avait adopté le culte d'un autre dieu assez proche du Baal des peuples voisins. Tous les efforts tentés par la suite pour dissimuler ce fait humiliant échouèrent. Mais la religion de Moïse bien que disparue avait laissé des traces, une sorte de souvenir et demeurait, tradition sans doute obscurcie et déformée, tradition d'un grand passé qui continuait à agir dans l'ombre et qui, peu à peu, prit, sur les esprits, un empire de plus en plus grand, pour arriver finalement à transformer le dieu Jahvé en dieu de Moïse et pour rappeler à la vie une religion que ce dernier avait instaurée de longs siècles auparavant et qui avait ensuite été abandonnée. Nous avons peine à comprendre comment une tradition éteinte a pu exercer une telle influence sur la vie spirituelle d'un peuple. Nous nous trouvons ici sur le terrain de la psychologie des foules où nous ne sommes pas à l'aise. Recherchons donc des analogies, des faits de nature semblable jusque dans des domaines différents. Nous allons certainement en trouver.


A l'époque où se préparait, chez les Juifs, le renouveau de la religion mosaïque, le peuple grec possédait un trésor incomparable de légendes et de mythes de héros. On croit que c'est vers le IXe, ou le VIIe siècle qu'apparurent les deux épopées homériques dont les thèmes sont empruntés à l'ensemble de ces mythes. Grâce à nos connaissances psychologiques actuelles, nous aurions été en mesure, longtemps avant Schliemann et Evans, de nous poser la question suivante : où donc les Grecs ont-ils puisé tous ces thèmes de légendes dont se sont emparés Homère et les grands dramaturges pour créer leurs chefs-d'œuvre ? Notre réponse aurait été celle-ci : ce peuple a vraisemblablement, au cours de sa préhistoire, connu une période d'opulence et de floraison culturelle ; cette civilisation a sombré dans une catastrophe qu'a relatée l'histoire, mais une obscure tradition s'en est conservée dans les légendes. Les recherches archéologiques contemporaines ont confirmé cette hypothèse qui, à l'époque, aurait certainement paru audacieuse, et ont permis de découvrir la magnifique civilisation minoenne-mycénienne qui disparut sans doute, sur le continent grec, vers 1250 av. J.-C. Les historiens grecs des époques plus tardives font à peine mention de cette civilisation : une observation à propos du temps où les Crétois possédaient la maîtrise des mers, une allusion au roi Minos, à son palais et au labyrinthe, c'est tout. Rien de cette grande époque n'a subsisté que les traditions dont se sont emparés les poètes.

D'autres peuples encore possèdent des épopées, es Allemands, les Hindous, les Finnois. Il appartient aux historiens de la littérature de découvrir si l'on peut, à propos de ces œuvres, faire les mêmes hypothèses que pour les Grecs. Je pense que de semblables recherches donneraient un résultat positif. A mon avis voilà comment s'explique l'origine des épopées populaires : il existe une période d'histoire ancienne qui immédiatement après sa fin semble importante, grandiose, toute emplie de faits remarquables et sans doute toujours héroïque. Toutefois cette époque se situe dans des temps si éloignés, si reculés que seule une obscure et incomplète tradition en conserve les traces aux futures générations. On s'est étonné de constater que l'épopée, en tant que genre littéraire, ait disparu au cours des siècles, peut-être est-ce parce que les conditions nécessaires à son éclosion ne se présentent plus. Le vieux matériel a été épuisé et, pour tous les événements ultérieurs, l'histoire a pris la place de la tradition. De nos jours, les actes les plus héroïques ne sauraient inspirer d'épopée ; Alexandre le Grand ne se plaignait-il pas déjà de ne pouvoir trouver d'Homère capable de le célébrer.


Les époques lointaines exercent sur l'imagination un vif et mystérieux attrait. Dès que les hommes sont mécontents du présent, ce qui est assez fréquent, ils se tournent vers le passé et espèrent, une fois encore, retrouver leur rêve jamais oublié d'un Âge d'or 1. Sans doute continuent-ils à subir le charme magique de leur enfance qu'un partial souvenir leur représente comme une époque de félicité introublée. Lors que ne subsistent plus du passé que les souvenirs incomplets et confus que nous appelons traditions, l'artiste trouve un grand plaisir à combler, au gré de sa fantaisie, les lacunes de la mémoire et à conformer à son désir l'image du temps qu'il a entrepris de dépeindre. On pourrait presque dire que plus la tradition est devenue vague, plus le poète peut en faire usage. Comment dès lors s'étonner de l'importance de la tradition pour la poésie ? L'analogie avec les conditions nécessaires à l'éclosion de l'épopée nous incitera à admettre plus facilement cette idée singulière que
ce fut, chez les Juifs, la tradition mosaïque qui ramena le culte de Jahvé à la vieille religion de Moïse. Mais les deux cas diffèrent sur un autre point, dans l'un, il s'agit de la production d'un poème, dans l'autre, de l'instauration d'une religion. Or en ce qui concerne cette dernière, nous avons admis que, sous la poussée de la tradition, elle se trouvait reproduite avec une fidélité dont on ne trouve aucun exemple dans l'épopée. Cependant assez de points restent obscurs dans le problème pour justifier notre besoin de trouver de meilleures analogies.

1 C'est sur cette situation qu'est basé le Lays of Ancient Rome de Macaulay. Il y représente un ménestrel qui, déçu d'assister aux violents conflits politiques de son époque, chante l'esprit de sacrifice, l'union et le patriotisme des ancêtres.

10ème partie - L'analogie

Posté par Adriana Evangelizt

 

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4 février 2007 7 04 /02 /février /2007 19:11

La croisade, premier choc des civilisations

Par Xavier Hélary



La motivation des chrétiens est la libération des Lieux saints, et non la destruction de l'islam. S'il arrive que le fanatisme conduise les Occidentaux à commettre le pire, ces expéditions sont aussi l'occasion d'échanges fructueux entre les deux communautés.



De la fin du XIe à la fin du XIIIe siècle, des centaines de milliers d'Européens franchissent, par mer ou par terre, des distances considérables pour atteindre la Terre sainte. C'est souvent au péril de leur vie que ces hommes et ces femmes accomplissent ce voyage. Arrivés sur place, beaucoup prennent part aux combats contre les musulmans. Mais pas tous : certains sont de simples pèlerins dont le seul désir est de se recueillir sur le tombeau du Christ.

Tout commence en novembre 1095. Le pape Urbain II préside un concile, à Clermont en Auvergne. Il y rappelle les principes de la réforme lancée, quelques années plus tôt, par son prédécesseur, Grégoire VII (1073-1085), qui lui a donné son nom : la réforme grégorienne. Le pape profite de la réunion d'un grand nombre de prélats et de quelques nobles laïcs pour lancer un appel en faveur des Lieux saints. Tout au long du XIe siècle, les mauvaises nouvelles se sont accumulées. En 1006, le calife Al-Hakim a ordonné la destruction du Saint-Sépulcre. Plus grave : venus du fin fond de l'Asie, les Turcs se sont emparés de Jérusalem dans les années 1070. Or, nombreux sont ceux qui, depuis des siècles, se rendent sur les lieux où le Christ a vécu. Non sans leur infliger parfois quelques vexations, les Egyptiens se montrent plutôt tolérants à l'égard des pèlerins occidentaux. Les Turcs qui leur succèdent sont beaucoup plus durs. Par ailleurs, ces derniers constituent pour l'Empire byzantin une terrible menace : en 1071, à Manzikert, en Asie Mineure, ils ont écrasé l'armée impériale.

Les relations entre Occidentaux et Byzantins, entre Latins et Grecs, ne sont pas très bonnes. En 1054, le pape et le patriarche, qui veulent chacun la prééminence sur l'autre, se sont mutuellement excommuniés. Pour autant, des deux côtés, en dépit des désaccords et des préjugés, on a le sentiment d'appartenir à la même religion, surtout face aux Turcs. Le sort des Lieux saints et leur accessibilité importent aux uns autant qu'aux autres. Au printemps 1095, une ambassade envoyée par l'empereur Alexis Comnène a imploré l'aide des Occidentaux.

Les historiens se sont longuement interrogés sur les objectifs que poursuivait Urbain II en lançant un appel qui devait changer le cours de l'Histoire. Il est difficile de répondre de façon tranchée. Le but principal est certainement de rendre de nouveau accessibles les Lieux saints aux pèlerins venus d'Europe. Débarrasser la chrétienté des chevaliers pillards des biens d'Eglise, affirmer la suprématie du pontife de Rome sur les pouvoirs temporels, rois et princes d'Europe, dans la lignée de la réforme grégorienne, ou encore encourager l'expansion de la chrétienté ne fait sans doute pas partie des desseins d'Urbain II, même si, de fait, la croisade y contribue. Quant à la guerre contre l'islam, elle n'est pas à l'ordre du jour : il ne s'agit pas pour les croisés d'éliminer l'islam ni de convertir ou d'exterminer les musulmans ; il faut simplement libérer la terre où le Christ s'est incarné.

Relayé par l'envoi de lettres et une campagne de prédication efficace, l'appel du pape connaît un grand succès. Dans le royaume de France et dans toute l'Europe, des milliers de personnes prennent la croix.

Les Etats francs qui se sont constitués après les succès de la première croisade (1096-1099) vont se trouver au contact des Etats musulmans qui les entourent. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, les territoires tenus par les chrétiens s'amenuisent inexorablement. Le dernier port important, Acre, tombe en mai 1291 aux mains des musulmans. L'événement marque les contemporains, sans pour autant susciter un mouvement comparable à la première croisade, deux siècles plus tôt.

La croisade est, de nature, un phénomène religieux. Le monde musulman n'est rien d'autre, pour la plupart des Européens, qu'une vaste « païennerie » : ce n'est donc pas la lutte contre l'islam, méconnu en Occident, qui mobilise les foules. C'est le rappel permanent des dangers que courent les Lieux saints puis, après la perte de Jérusalem, l'insistance sur leur nécessaire reconquête. Le salut de la Terre sainte prend une tournure obsessionnelle.

En un sens, en effet, la croisade est partout en Occident. La préparation de nouvelles expéditions mobilise la diplomatie pontificale et occupe une part non négligeable de l'activité diplomatique entre les cours européennes. De la haute noblesse aux simples fidèles, à tous les niveaux de la société, nombreux sont ceux qui prennent la croix. Cela se voit : ils portent sur leur vêtement une croix d'étoffe. Ils sont dotés d'un statut particulier qui les protège dans une large mesure des poursuites judiciaires, les exempte d'impôts et les dispense même de payer leurs dettes. Leurs privilèges ont une contrepartie : les croisés se sont engagés par un voeu solennel à partir pour la Terre sainte. Seuls le pape et ses légats sont habilités à les relever de ce voeu impératif, moyennant une compensation financière appropriée : les croisés, de ce fait, ne sont plus de simples laïcs.

La dimension religieuse de la croisade conduit les autorités de l'Eglise à accepter, non sans hésitation au départ, la création des ordres militaires. Les chevaliers du Temple et de l'Hôpital, à la fois religieux et combattants, constituent une aberration presque monstrueuse au regard du principe fondamental qui interdit à tout clerc de verser le sang. Présents en Occident, dans leurs fameuses commanderies, Templiers et Hospitaliers illustrent aux yeux de tous le dévouement suprême : la perte de la Terre sainte entraînera la chute des Templiers.

Aux XIIe et XIIIe siècles, la société occidentale est donc largement tendue vers la croisade. Le clergé paie, parfois de mauvaise grâce, des impôts pour le salut de la Terre sainte (les décimes). Les laïcs sont aussi sollicités : il leur faut prendre la croix et, quand ils l'ont prise, partir combattre. Régulièrement, les prédicateurs insistent sur les malheurs qui frappent les chrétiens sur les lieux mêmes où a vécu le Christ, sur le scandale que représente la perte de la Terre sainte. Chroniques et chansons de geste rappellent les prouesses des croisés, en même temps qu'elles font de Saladin un héros aussi preux que Godefroi de Bouillon ou Richard Coeur de Lion.

Cette imprégnation de la société occidentale par l'idéologie de la croisade explique que les manifestations de fanatisme ne manquent pas. Les grandes cérémonies de prise de croix sont particulièrement propices au développement de comportements extrêmes, surtout dans les premiers temps, au début du XIe siècle. Les sermons destinés à exciter le zèle de l'auditoire en faveur de la croisade encouragent ou révèlent le fanatisme présent de façon latente dans toute réunion de masse.

A Clermont, en 1095, d'après les témoignages des chroniqueurs qui en ont rapporté la substance, à défaut des termes exacts, le pape soulève l'enthousiasme de la foule. Un demi-siècle plus tard, Bernard de Clairvaux, prêchant la seconde croisade, parvient lui aussi à électriser son auditoire, au point d'épuiser très rapidement les croix de tissu qu'il a fait préparer et de devoir, dit-on, découper son vêtement pour en procurer de nouvelles. Tant Urbain II que saint Bernard sont des hommes pondérés ; tous les prédicateurs ne sont pas aussi avisés. Galvanisés par les sermons prononcés par des fanatiques souvent en marge de l'Eglise officielle, certains croisés n'attendent pas d'être au contact avec les musulmans : ils s'en prennent aux juifs. Au XIIe siècle, chaque nouvelle croisade est précédée de pogroms contre lesquels l'Eglise s'élève mais qu'elle ne parvient pas toujours à éviter. Les prédicateurs, généralement, ne s'élèvent pas contre les juifs, mais l'excitation qu'ils suscitent dans la population se retourne souvent contre ces derniers.

Au XIIIe siècle, les choses changent quelque peu. Il devient nécessaire de stimuler le zèle défaillant des croisés potentiels. Avant son premier départ en croisade, Saint Louis recourt à un subterfuge pour contraindre les seigneurs de son entourage à prendre la croix avec lui. Chaque année, lors des principales fêtes, le roi récompense ses proches par des manteaux ; cette année-là, Saint Louis fait distribuer des manteaux pliés de telle façon que c'est seulement quand on les met qu'on aperçoit la croix qui les orne : ceux qui les portent ont donc pris la croix sans le savoir...

En 1267, quand Saint Louis annonce sa seconde prise de croix, il n'est guère suivi dans un premier temps : il a pourtant exhibé lors de la cérémonie les reliques les plus précieuses de la chrétienté, celles de la Passion du Christ, particulièrement la couronne d'épines. Mais, dans le courant du XIIIe siècle, la croisade ne suscite plus un enthousiasme aussi massif qu'au siècle précédent. Des critiques se font même jour, parfois teintées d'anticléricalisme : la papauté, qui met en place une fiscalité de plus en plus lourde sur le clergé, est accusée d'utiliser l'argent récolté pour ses propres desseins. D'autre part, à partir du début du XIIIe siècle, les papes donnent à ceux qui combattent pour elle, en Italie et ailleurs, les mêmes avantages qu'aux croisés de Terre sainte : le prestige de la croisade en prend un coup.

Livrées pour libérer, défendre ou reconquérir les Lieux saints, les batailles des croisés sont forcément légitimes. La promotion de la croisade par l'Eglise pousse par conséquent à l'apparition d'une nouvelle conception de la mort comme martyre glorieux. Morts au combat ou sur la route, les croisés sont promis au paradis. Un chroniqueur anonyme écrit à propos du siège d'Antioche auquel il prit part (1097-1098) : « Beaucoup des nôtres y reçurent le martyre et, dans la joie et l'allégresse, rendirent à Dieu leurs âmes bienheureuses. Parmi les pauvres, beaucoup moururent de faim et pour le nom du Christ. Montés triomphalement au ciel, ils revêtirent la robe du martyre en disant d'une seule voix "Venge, Seigneur, notre sang répandu pour toi, qui es béni et digne de louanges dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !"»

Mourir en martyr apparaît naturel et même souhaitable à certains croisés. En 1269, un grand seigneur français, Robert de Résèques, se trouve pris dans une situation difficile : à la tête d'une centaine de chevaliers, il est entouré de combattants musulmans en bien plus grand nombre. A un de ses lieutenants qui le presse de battre en retraite, il répond qu'il est venu en Terre sainte afin de mourir pour le Christ. Il est exaucé. Tous ses compagnons trouvent la mort avec lui. Si cet exemple n'est évidemment pas généralisable, il n'en est pas moins révélateur d'un certain type de comportement, encouragé par l'idéologie de la croisade, alors que celle-ci, à la fin du XIIIe siècle, commence à s'essouffler.

Dans d'autres circonstances, du reste, ce mépris de la mort de la part des croisés permet d'emporter la décision : ainsi, lors de la première croisade, quand quelques milliers de combattants, qui ont parcouru des milliers de kilomètres et défait à plusieurs reprises, en plein territoire ennemi, les armées musulmanes, s'emparent de Jérusalem. Cette attitude face à la mort a des conséquences aussi pour l'ennemi. En 1099, la prise de Jérusalem est suivie par le massacre d'une partie de la population. Il faut cependant se méfier des récits des chroniqueurs : si étrange et invraisemblable que cela puisse nous paraître, ceux-ci trouvent valorisant de signaler que les croisés, ce jour-là, avaient du sang jusqu'aux genoux !

De même, en 1250, racontant les premiers succès de la campagne qu'il a entreprise en Egypte, au coeur du pouvoir musulman, Saint Louis insiste sur le grand massacre des ennemis accompli par l'armée croisée. Il faut faire la part des choses : dans les mentalités du temps, il est nécessaire d'infliger les pertes maximales à l'ennemi, au prix, le cas échéant, d'arrangements avec la vérité. Il est certain que les carnages vantés ou rêvés par les croisés sont loin d'approcher ceux, bien réels et infiniment plus meurtriers, du XXe siècle.

Au demeurant, les guerres entre chrétiens et musulmans ne sont pas toujours si sanglantes. Le plus souvent, même, les ennemis faits prisonniers des deux côtés sont échangés ou libérés contre rançon. Bien loin d'être inexpiable, la guerre telle qu'on la pratique en Terre sainte est, la plupart du temps, codifiée par des règles implicites que ni un camp ni l'autre ne violent. Seuls les Templiers et les Hospitaliers, particulièrement redoutés, sont systématiquement exécutés par les musulmans. En revanche, les seigneurs chrétiens laïques, quand ils sont capturés, peuvent recouvrer la liberté en versant une rançon : c'est le cas de Saint Louis en 1250, ou des Poulains.

Les périodes de guerre sont d'ailleurs séparées par de longs intervalles pacifiques propices au développement de relations commerciales contrôlées par les grandes puissances maritimes que sont les cités italiennes - Venise, Gênes, Pise, Amalfi.

Les relations sont parfois difficiles, du coup, avec les croisés fraîchement débarqués d'Europe. Ceux-ci ne comprennent ni les marchands ni les Poulains ; ils jugent sévèrement leur comportement qu'ils assimilent à de la trahison. En 1291, la chute d'Acre est provoquée indirectement par l'arrivée de centaines de croisés italiens. A peine débarqués de leurs navires, ceux-ci, désireux d'en découdre avec les musulmans, bravent les avertissements des Poulains et attaquent en pleine paix une caravane musulmane qui passait à proximité. Le sultan saisit le prétexte pour suspendre la trêve et lancer l'offensive finale sur Acre, emportée quelques mois plus tard.

En Europe, on prend conscience du risque représenté par l'inconscience de certains croisés. Dans les années qui précèdent la fin de la présence chrétienne en Terre sainte, les « projets de croisade » se multiplient : ils développent, souvent de façon irréaliste ou utopique, les plans les plus élaborés pour reprendre pied en Syrie et reconquérir Jérusalem. Beaucoup s'accordent sur la nécessité de constituer en Terre sainte une armée permanente qui remplacera avantageusement l'arrivée ponctuelle et temporaire de croisés fanatiques, ignorants et parfois pressés de repartir en Occident.

La valorisation du massacre de l'ennemi, musulman et, à l'occasion, juif, la glorification de la mort des croisés assimilée au martyre, l'omniprésence de l'idéologie de la croisade en Occident pourraient accréditer l'idée que ces expéditions et ces guerres sans cesse recommencées sont le fruit d'un véritable intégrisme religieux. Est-ce si évident ?

Les croisades accompagnent la première expansion européenne ; les croisés élargissent leur horizon, expérimentent leur courage et leur esprit de sacrifice, s'y construisent une véritable mythologie. Entre 1099 et 1291 les périodes de paix entre les deux communautés ne sont d'ailleurs pas rares ; les échanges commerciaux sont alors fructueux de part et d'autre ; une société multiculturelle voit le jour en Terre sainte, où se brassent les influences venues de toutes les rives de la Méditerranée. La réflexion et le contact avec l'autre ne sont nullement absents de la société occidentale, structurée par la croisade. Si la bêtise, l'ignorance et le fanatisme caractérisent souvent le comportement des chrétiens, comme celui des musulmans, il serait injuste de ne voir les croisades que sous cet angle exclusivement négatif. Elle fut aussi une épopée fondatrice pour l'Occident.



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Maître de conférences en histoire médiévale à l'université de Paris-Sorbonne Paris-IV, Xavier Hélary est spécialiste d'histoire militaire du Moyen Age.
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Comprendre

Poulains
Occidentaux installés en Syrie. Ils se sont souvent acclimatés : parlant arabe et connaissant l'islam, ils sont plus portés à la cohabitation et à l'entente qu'au conflit ouvert.



Repères

1095
Le pape Urbain II prêche la croisade à Clermont.
1099
Les croisés s'emparent de Jérusalem.
1144
Chute d'Edesse.
1147-1149
IIe croisade : Louis VII.
1187
Défaite des chrétiens à Hattin et perte de Jérusalem.
1189-1192
IIIe croisade : Frédéric Barberousse, Philippe Auguste, Richard Coeur de Lion.
1204
Prise de Constantinople par l'armée de la IVe croisade.
1229
Frédéric II obtient la restitution de Jérusalem.
1248-1254
VIIe croisade : Saint Louis en Terre sainte.
1270
VIIIe croisade : Saint-Louis meurt en Tunisie.
1291
Chute d'Acre.


Sources
Historia

Posté par Adriana Evangelizt

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